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Il arriva au virage où les deux piliers de pierre marquaient l’entrée du domaine, s’engagea sur le chemin de terre battue, Othilie ayant toujours refusée d’y mettre du goudron. En arrivant devant la demeure il remarqua que sa sœur avait laissé la lumière du perron allumée à son intention. Etait-elle sortie aujourd’hui ? Il se gara, coupa le contact de l’auto-plasma, et la musique par le même geste. Lorsqu’il sortit, deux chiens vinrent lui faire la fête, il les caressa joyeusement, appréciant les compagnons de vie d’Othilie qui, eux, savaient toujours lui donner le sourire. Il se dirigea ensuite jusqu’à l’entrée, monta les trois marches du perron, mais s’arrête une demi-seconde devant la porte : la tristesse de sa cadette était palpable. Il respira profondément et poussa le lourd battant de bois. Un doux parfum d’encens vint saisir ses narines alors qu’il scrutait le salon parsemé de bougies. Elle était allongée sur le tapis, au centre de la pièce. Les canapés en velours capitonnés, ainsi que tous les autres meubles, sofas, table basse, guéridon, avaient été repoussés contre les murs. Elle ne leva même pas les yeux. Il fit rentrer les chiens avant de fermer derrière lui, à leur approche Othilie réagit. Elle s’assit en tailleur et leur offrit caresses et sourire, ce qui fit s’étirer celui de son frère qui vint la rejoindre sur le tapis.

« Que s’est-il passé ? Demanda-t-il, amusé.

- J’avais besoin de respirer… Murmura-t-elle, gratouillant Doowie, le plus âgés et affectueux des deux quadrupèdes, ses yeux malins en totale adoration devant le visage d’Othilie. Taowen, le plus jeune, alla s’installer sur un canapé, la queue battant son bien-être.

- Et ça a marché ? Elle lui sourit tristement.

- Plus ou moins… Je sens… une certaine amélioration.

- C’est super ! Tu sors un peu ?

- Oui, avec les chiens on va se balader dans le bois derrière, au moins je suis sûre de ne rencontrer personne.

- Au moins tu sors, et la forêt est une excellente thérapeute !

- C’est vrai. Je peux y méditer et tenter de percer quelques mystères…

- Lesquels ? Demanda Sixoïl, soupçonneux.

- Tu n’as pas confiance en mes explorations intérieures ?

- C’est plutôt en tes explorations alchimiques que je ne fais pas confiance.

- Tu sais bien que j’essaierai.

- Othilie ! Tu es folle ! S’exclama durement son frère.

- Je t’emmerde ! Répliqua-t-elle. Et toi ?! Explosa-t-elle, faisant fuir Doowie aux côtés de Taowen. As-tu la moindre idée de ce que je vis ? As-tu vécut ne serait-ce que d’une façon infime, une histoire telle que la nôtre ?! Nous ne nous sommes pas séparés pendant trois cents ans !

- Et à la première décennie d’absence il t’a trompé ! Cingla Sixoïl.

- C’est un mâle, ses pulsions…

- Certaines femelles se conduisent ainsi aussi, pas toi cependant. Et Solec ? L’interrompit-il, toujours aussi dur. Nous ne sommes pas tous ainsi.

- Tu en es un bon exemple ! Ironisa Othilie, blessée et en colère.

- Je suis toujours honnête envers mes amants, ils ne sont jamais floués ! Et si je leur brise le cœur par inattention, je tente réparation ! Je leur dit toujours, TOUJOURS, le vérité ! Le silence se fit alors que la tension montait. Les cheveux blancs et crépus de Sixoïl devenaient électriques, alors que la lumière sous la peau d’Othilie chatoyait.

- Tu ne le connais pas…

- Et toi ? Elle le fixa un instant, puis baissa ses yeux verts qui s’assombrirent.

- Je ne sais plus…

- Notre quête de nous-mêmes est bien loin derrière nous. Nous avions cru avoir trouvé tous les secrets, toutes les facettes que recélait notre conscient et notre subconscient, nous nous targuions d’avoir trouvé le chemin de la paix intérieure ! Ah ! Mais à quand remonte notre dernière méditation collective ? A quand remonte notre dernier groupe de parole sur nos ressentis, sans critiques ni jugements ? Quand était-ce la dernière fois que nous sommes allés faire notre pèlerinage de gratitude en nous mêlant aux humains, leur offrant notre aide sans contrepartie pour le seul plaisir de donner ce que l’univers nous a donné ? Tu avais raison, l’autre jour à l’assemblée, nous ne valons guère mieux que ceux que nous traitons comme inferieur. Sur le visage d’Othilie coulait des larmes à présent, scintillants légèrement à la lueur des bougies. Sixoïl en recueillit une, et la porta à ses lèvres. Il s’immobilisa, figé, les yeux agrandis de stupeur.

- Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle, agacée, les yeux empreints de défi.

- Ta larme… Il replongea dans le silence, plus pâle qu’il ne l’était déjà.

- Et bien quoi ma larme ?

- Othilie… Est-ce que tu as… ? Othilie ?

- Pose clairement ta question Sixoïl ! S’impatienta la sœur.

- T’es-tu transfusée avec du sang humain faisant de toi une hybride ? Demanda gravement le frère. Othilie rit jaune.

- Ce n’est pas si simple… Malgré les quelques changements, les résultats sont médiocres. Elle paraissait très déçue alors que la colère montait dans le cœur de son frère.

- Paloma t’as…

- Oui, bien sûr ! Je ne peux pas prendre de décision seule n’est-ce pas ? La pauvre petite Othilie au cœur brisé, si malléable ! Elle voulait m’en empêché ! Laisse-la en dehors de ça !

- Tu es devenue complètement folle ma pauvre fille ! Eclata Sixoïl.

- Vraiment ? C’est ce que tu penses ? J’en suis bouleversée. Son ton ironique fit tiquer son frère. Il respira profondément pour retrouver son calme.

- Je sais ce que tu… ce que nous pensons des humains… Mais de là à vouloir…

- Quoi ? Faire évoluer nos espèces vers une véritable équité ? Une réelle fraternité ? N’est-ce pas pour cette raison que nous manions les ficelles ? Parce que NOUS en sommes capables ? Laisse-moi te dire que si nous nous mettions plus dans la peau de ceux que nous gouvernons, peut-être serions-nous plus éclairés! Au moins il y a-t-il quelques uns d'entre nous qui essaie! Même Naïa utilise ses pouvoirs pour faire pousser son jardin, c'est bien plus facile! Alors que si nous étions comme eux, ou que nous essayions d'apprendre et de leur apprendre, nous serions vraiment égaux! Ils font vivre les trois quart du monde vivant sans magie, ou avec une part infime, car nous avons gardés les secrets que les aideraient à évoluer, et nous nous ne faisons plus rien sans alchimie! Rien! C'est trop f… Un crissement de pneu l’interrompit. Les deux bipèdes et les deux quadrupèdes levèrent la tête vers l’extérieur.

- Qui cela peut être ? Demanda Sixoïl. Othilie haussa des épaules. Quatre portières d’auto claquèrent, les deux chiens se mirent à gronder, c’était des inconnus. Ils se ruèrent en aboyant sur la porte lorsque la cloche d’entrée tinta, une voix s’éleva aussitôt.

- Othilie Van GeaYust ! Veilleurs ! Ouvrez où nous ouvrirons de force ! Othilie se leva et alla ouvrir, fuyant le regard interrogateur et inquiet de son frère. Othilie fit taire les quadrupèdes et ouvrit la porte. Othilie fit ce qu’elle put pour que son frère n’entende pas la conversation qu’elle avait avec les veilleurs, mais celui-ci put saisir quelques bribes, les veilleurs n’étant pas si discrets. Il alla les rejoindre prestement quand il entendit que sa jeune sœur était accusée de séquestration et d’homicide, alors qu’il arrivait à la porte, deux hommes en uniformes noirs plaquèrent Othilie contre le mur et lui passèrent des menottes. Sixoïl voulut séparer les deux individus de sa sœur, mais un picotement dans le torse et l’abdomen retinrent son intention : il le tasait les bougres ! Il tomba à genoux, soudainement très las, étonné aussi, car il n’était pas sujet aux mêmes faiblesses que les humains normaux. Il sut que c’était Othilie qui usait de ses pouvoirs pour l’immobiliser, alors qu’il n’entendait ni ne voyait plus grand-chose, il avait conscience qu'ils emmenaient sa soeur et luttait pour retrouver sa lucidité. Mais le temps qu’il reprenne ses esprits, l’auto des veilleurs quittait l’allée pour prendre la route et l’angoisse avait formé un étau dans sa gorge et son plexus.

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