Hier

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Léo parcourait les rues de la cité de Hasmaha à la recherche de nourriture, la manche n’avait pas donné grand-chose et aujourd’hui plus qu’un autre jour, elle aurait aimée bien manger. Aujourd’hui Léo fêtait ses treize ans. Enfin, passait sa treizième année, car rien ni personne ne fêtait ce jour, même pas elle. Elle avait vu la date sur le tableau de l’école du village en tentant de se faufiler dans la cantine, mais on l’avait tout de suite remarquée, sale et puante, entre les enfants civilisés. Ici les maisons étaient faîtes en terre paille, le soleil brillait souvent, il faisait chaud, le sol était en terre battue, la végétation s’asséchait et ne résistait pas aux hautes températures, hors quelques palmiers et yucca. Elle ne savait pas exactement combien de temps s’était écoulé depuis le naufrage, même depuis le début du voyage. Souvent elle pensait au vieil homme qui l’avait amené au capitaine. Lui aussi vivait dans la rue, vendait des toiles pour manger, quelque chose dans le genre. Elle ne lui avait pas beaucoup parlé en fait, il semblait seulement la guider, d’un endroit à l’autre, tel Charon, mais comme ça, pour rien. Elle se sentait tout aussi perdue que ce jour là, souvent elle espérait le recroiser, sa moustache fine et son monocle doré. Mais la population ici était différente de celle qu’elle avait quittée, la plupart avait la peau foncée, leur peau s’adaptant au soleil pour se protéger. Ils portaient pour la plupart de longues tuniques ou de longues robes, avec des turbans ou des châles sur les têtes. Rien de ce qu’elle connaissait. Ils étaient aussi plus souriants et chaleureux lorsqu’ils parlaient, même si elle ne comprenait pas la langue. Elle avait réussit à se faire offrir un genre de sari par une marchande qui l’avait prise en pitié. Elle ne savait plus non plus depuis combien de temps la caravane était partie, et donc depuis combien de temps elle portait les mêmes vêtements. Elle se sentait sale, malsaine, telle une vermine. Elle avait besoin d’aide.

Alors qu’elle ouvrait une énième poubelle elle tomba sur un sachet où se trouvaient un sandwich, une bouteille de thé glacé et une tarte aux dates. Elle fut tellement ravie qu’elle ne trouva pas cela étrange de prime abord, elle prit son larcin et se réfugia dans sa grotte : un renfoncement sec dans une bouche d’égout à quelque pâté de maison de là. Elle s’endormit aussitôt son repas terminé, épuisé par sa quête et la digestion, elle n’avait plus l’habitude de manger autant d’un coup. Le lendemain elle décida de retrouver cette poubelle, afin de vérifier si celui ou celle qui avait jeté ce qui semblait être son déjeuné du midi, d’école ou de travail, en faisait une habitude. Elle passa par le parc où elle ramassa quelques mégots qu’elle fuma sur une balançoire. Elle avait prit ce défaut avec Osman, un voyageur pauvre, quarantenaire, de passage quelques jours et qui parlait un peu sa langue. Il avait été gentil et avait essayé de la convaincre de bouger, mais malgré le malheur qu’elle vivait en ces lieux, elle ne pouvait se décider à partir, à explorer ce monde inconnu où elle ne comprenait ni la langue, ni les mœurs. Les falaises où « Le Cirque » avait échoué se trouvait à dix sept kilomètres. Elle avait marché jusqu’au village le plus proche, et elle n’arrivait pas à se résoudre à partir, tirant pour de bon un trait sur l’équipage. Elle espérait encore, malgré le temps écoulé, qu’un membre réapparaitrait comme ça, soudainement, au détour d’une rue. Alors que midi passait, asséchant l’air et les gorges, elle reprit sa marche vers la poubelle. Surprise, elle trouva un deuxième sac, similaire à celui de la veille. Elle du jeter le dessert cependant, qui semblait à base de fromage, la chaleur l’avait fait tourné. Elle décida de ne pas retourner à sa grotte et d’espionner la personne qui se débarrassait de son déjeuner avant de partir. Elle attendit un moment cachée derrière un bosquet et vit un jeune homme, d’environ seize, dix-sept ans, sortir de la maison. Il jeta un sac en papier dans la poubelle, le fameux déjeuner. Mais Léo, au lieu d’attendre et de se servir, pleine des précédents déjeuner, se laissa entraîner par la curiosité. Elle se mit à suivre le jeune homme qui marchait tranquillement, d’un pas souple, vers les terres. Allait-il au collège s’instruire ?

Il y avait il dans cet endroit des denrées bien meilleures qui l’amenait à délaisser ce que lui préparaient ses parents ? Mais alors qu’il sortait du village, laissant derrière lui les dernières maisons, Léo le vit se diriger sur un chemin qui menait à une forêt. Une merveille, un miracle, dans ses terres arides, qu’elle n’avait pas eut le courage d’aller admirer. D’ailleurs, cachée derrière la dernière maison en terre-paille du village, elle laissa la silhouette du jeune homme disparaître, paralysée par la peur. Elle ne pu bouger. Elle le laissa seul donc, revint sur ses pas, prit le déjeuner dans la poubelle et retourna dans sa bouche d’égout, les mains et le cœur tremblant.

Quelques jours plus tard, elle se décida à surmonter ses peurs, elle n’irait pas bien loin de toute façon ? La forêt était à peine à une dizaine de kilomètres, elle pouvait revenir au village à tout moment, tout irait bien. De plus, ce jour là le ciel était voilé de nuages, il allait bientôt pleuvoir, aussi n’aurait-elle pas trop chaud, même si leur destination se trouvait encore plus loin. Elle reprit sa surveillance et suivit le jeune homme une nouvelle fois, jusqu’à la frontière du village. Elle déglutit, respira profondément, et quitta sa planque derrière la dernière maison. Elle resta à bonne distance pour ne pas être vu. Elle voulait connaître ce personnage qui la nourrissait, malgré lui, depuis plus d’une semaine à présent. Qu’allait-il faire dans ce bois chaque jour ? Et pourquoi ne mangeait-il pas son déjeuné ? Elle arriva aux premiers arbres, se cacha derrière l’un d’eux dès qu’elle vit le jeune homme qui parlait : « Regarde. Tout en haut, l’astre luit, émeut de clarté, derrière le coton des nuages. La forêt s’est réveillée. Agitée par les rêves de pluie, elle fait craquer les cyprès, se promener les agrobates et alouettes. Frêle et piquante, on l’entend feuler. Elle se défend encore, les gargouilles salivent. Elle sait néanmoins que la peur les enlise. Elle sait se montrer crédible. Surtout. Oh ! Toi douce Sylvia… Etait-ce à toi que le poète criait ses mots d’amour ? Qui ne les vaudrait mieux que toi ! Ah ! Je sais, je te taquine en flatteries. Mais ces belles paroles sont un brin ressassées. Ca sent le renfermé. » Le jeune homme s’interrompt. « Ca te fais marrer gamin que je jacte à une forêt ? » Léo ne bougea pas d’un cil. Il l’avait vu ? Vraiment ? Elle resta immobile, le fixant alors qu’il regardait un peu trop sur sa gauche. « Rigole va, il ne vous reste que ça. Où en étions-nous douce Sylvia ? Pardonnes-moi, je suis perdant. Je perds énormément. Mes mots. Mes idées. Mes chèvres. Moi-même aussi. Souvent. Enfin ça arrive. Tu m’accueilles en ton sein molletonné ? Il fit quelques pas dans la forêt, leva les yeux et sourit aux cimes. Merci majesté. Dans tes yeux immortels, à quoi puis-je ressembler ? Ah, si tu pouvais conter. Tes histoires inonderaient le monde de ta sagesse infini. Qui serait-il alors, lui ? Tu es pleine de secret, prudente, tu te donnes à pas feutrés. Que verrait-on en forçant les fenêtres de ton âme ? Abandonne-moi tes mystères, je veux tout savoir ! Un long moment, plus d’une heure semblait-il, le jeune homme resta silencieux. Ah… comme l’amant jaloux, j’échoue à te forcer. Et ton souffle à raison des mes dernières défenses. » Il sortit alors du bois avant de se tourner à nouveau vers sa douce Sylvia. « Je ne puis te contrer, belle divine, tu te pare pour le proche printemps. Tu danseras l’équinoxe sous sa flûte, et me livreras, seul et désossé, à mon humaine destinée. Je ne me confondrai pas en paroles maladresses. Mais je m’en reviendrais jouer. » Il partit sur le chemin du retour, Léo tourna autour de l’arbre pour qu’il ne puisse la voir, si toutefois il ne l’avait pas déjà remarquée. Il fut bientôt humide de pluie. « Je n’ai jamais aimé les parapluies. Superstitieux. J’imagine mon infirmité, ce bout de ferraille finissant mon bras. » Il rit comme un enfant et continua sa route. Léo cru alors qu’il était fou, voilà tout. Le fou du village. Elle était un peu déçue, pourtant, elle ne voulait pas lâcher l’affaire. Elle resta un instant elle-même dans la forêt, les arbres la protégeant de la pluie qui tombait à présent. Elle ne comprenait pas ce qui l’avait tant terrifiée, pourquoi elle avait eut tant de mal à quitter le village poussiéreux alors qu’ici, enfin, elle respirait, comme lorsqu’elle était à l’orphelinat. Avait-elle été tellement enfermée que cela devenait sa zone de confort ? Elle crut vomir à cette pensée. Puis vint le froid humide, elle ne devait pas tomber malade. Elle suivit les pas du jeune homme, rentra dans sa bouche d’égout et se promis que dans les prochains jours, elle lui parlerait.

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