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« L’important est de te faire disparaître. Annonça son hôte sans ménagement.

- Vraiment ? Demanda Illo. On en est là… Soupira-t-elle, lasse à présent.

- Oui ma chère, il te faut dire au-revoir à tout ce qui t’es connu pour renaître ailleurs.

- Ne puis-je pas rester cachée ici ? Dans ce plan ?

- Je suis un des membres des êtres qui permettent aux plans de tourner, chacun suivant…

- … Son grand Ordre et sa Règle. Je connais. Coupa-t-elle, impatiente. Et alors ?

- Tu es aussi bien trop informée en tant qu’humaine.

- Humaine ? Vous êtes quoi vous ? Des dieux ? Elle était ironique et cinglante, peu lui importait, il allait tout lui prendre.

- Je vais te permettre une nouvelle vie sur un nouveau plan et pour cela je vais modifier ta mémoire, afin que tu te sentes chez toi là où tu vas. Psymio sentit dans son ventre un monstre révolté hurler et rugir, il hurlait son nom…

- Non. Dit-elle en se levant, Adsa l’imita, attentive à sa bipède.

- Tu garderas ton animal, n’aie crainte. La rassura-t-il.

- Tout ce que j’ai connu, tout ce que j’ai vécut, traversé… Tout ce que je suis va disparaître ?

- Pas exactement, disons que ce sera des modifications. Les grandes lignes de ta personnalité seront préservées, je ne peux pas tout changer sans faire des dommages à ton esprit.

- Mais certaines choses disparaîtront pour toujours ?

- C’est inéluctable. Elle savait qui faisait partit de l’inéluctable, et quoi. Ils ne pouvaient la laisser aussi informée s’ils voulaient continuer leur projet. Elle n’avait pas le choix. Elle ne savait pas où il était, et il ne voulait plus d’elle, de ce qu’ils étaient. Il avait prit sa décision. C’était son tour. Elle se mit à examiner les tableaux accrochés aux murs de briques blanchies. Des œuvres diverses, qui avaient une certaine chronologie, quand on connaissait un peu d’art. Du XVII au XXXIII ème siècle après le grand néant.

- Il y a un jardin où tu pourrais réfléchir ? Elle baissa les yeux vers lui, il ressentit son dédain. Il en fut indifférent.

- Oui. J’y vais. »

Elle n’attendit pas de savoir où, elle savait où trouver de l’herbe, de l’eau, de l’air. En bas de l’escalier elle chercha les portes fenêtres aperçut à son entrée. Elle la trouva et l’ouvrit. Ils ne se refusaient rien. Le jardin ressemblait plus à une large prairie entourée d’une forêt de fruitiers. Elle entendit le ruisseau et décida de s’y rendre. Elle enleva d’abord ses chaussures, qu’elle laissa à l’intérieur, et se mit à courir. Adsa sur les talons, elle traversa la prairie et s’enfonça sous le bois à vive allure. Elle fuyait ce qu’elle n’arrivait pas à entendre. Pour vivre elle devait renoncer à elle-même. Pour survivre, il lui fallait se perdre et être autre que soi. L’animal dans son ventre ruait, griffait, hurlait. Elle atteignit la rivière et s’y laissa glisser dans l’élan de sa course, la chienne n’hésita pas. Elle se laissa dériver quelques minutes, la chienne à sa suite, quelque peu inquiète du courant.

Psymio mit pied à terre quand sa compagne jappa. Elle planta ses pieds dans la terre granuleuse du lit de la rivière et attrapa la quadrupère. Cette dernière ne se laissa pas porter bien longtemps, elle rua et sortit de l’eau pour courir follement sur la berge. Psymio rit de bon cœur et se laissa gagner par les sanglots. Elle pleura quelques minutes puis replongea sous l’eau pour s’immerger, luttant contre le courant pour rester sur place. Elle refit surface, remonta un instant sur la berge pour se débarrasser de ses vêtements, puis plongea dans le sens du courant pour, à nouveau, se laisser dériver. Une joie indicible l’habitait alors. La joie ! Pas seulement le plaisir, la joie qui est aussi tristesse, chagrin, bonheur, reconnaissance, gratitude, une émotion qui rend vivant, qui donne cet émerveillement d’être vivant malgré les chagrins. Et elle rit encore, elle sait qu’en elle c’est fort, elle le sent bouger, pour l’envelopper. Elle se laisse flotter. Puis aperçoit Adsa qui lui court après, sur la berge. Elle la rejoint, se remet à courir, nue, euphorique, elle court le plus vite possible, ses pieds s’écorche quelque peu. Elle court. Elle court. Et tombe sur les limites du domaine. Un haut mur de pierre brute, soudée et électrifiée par un ruissellement constant d’une eau perpétué par un moulin alimenté par la rivière. Au moindre incident, la rivière pouvait être électrifiée. De quoi tuer plus d’un visiteur non désiré. La bête dans son ventre alla jusque dans son thorax pour mugir dans sa gorge. Elle était enfermée. Elle ne pouvait plus faire machine arrière. Elle recula de quelques pas et se laissa tomber au sol. Adsa vint lui lécher le nez. Elle songeait qu’en dedans ça mordrait plus, qu’elle pouvait le laisser partir. Il n’y aurait plus de demain avec ces touts faits de riens. Son cœur faisait le tambour, le sang pulsait dans son réseau veineux. Il n’aurait jamais existé. Elle se releva en vitesse, fit quelques pas à quatre pate et vomit. Adsa semblait intéressée. Elle lui ordonna de laisser et la chienne obéit, elle partit en sautillant et prit un morceau de branche dans sa gueule. Psymio soupira, se leva et se décida à regagner la maison.

Adsa courut, revint, lança le bâton, le rattrapa. Lui donnant le sourire. Elles seraient ensemble au moins. Elle retrouva ses vêtements, les enfila tant bien que mal. Se retrouva dans la clairière, devant le haut mur de pierre blanchies à la chaux, croisa ses chaussures, les laissa là. Monta à nouveau les marches de l’escalier imposant, ouvrit la porte du bureau et se campa debout face à l’être qui devait la mener loin d’elle.

« Si Adsa reste avec moi, je n’ai aucune objection à votre… plan.

- Ce fut plus rapide que je ne l’espérais…

- Tant mieux, ne perdons pas de temps.

- Du calme jeune fille. Il y a quelque chose que j’aimerai que tu fasses avant de renaître. Elle commença à éprouver de la méfiance.

- Accepterais-tu de te joindre à quelques membres de ma fratrie ainsi qu’à ma personne pour dîner ce soir ? Elle resta un moment silencieuse, le dévisageant.

- Je ne comprends pas. J’ai un moi à tuer et à créer. Je ne pense pas être d’humeur à participer à des mondanités.

- C’est un repas de famille. J’aimerai que certains te rencontre, pour les autres ils ont leur propre motif de curiosité. Tu es rare comme personne. Une humaine qui traverse les mondes et connait leurs secrets. Du moins, jusqu’à demain.

- Vous en avez assez du trivial pursuit ?

- Drôle ! Non, c’est une opportunité aussi pour toi de nous confronter et de semer quelques graines dans les esprits. S’il te plait Psymio, accepte mon invitation.

Elle réfléchit encore un moment, suspicieuse. Puis elle se dit qu’elle n’avait rien à perdre. De plus, elle aussi était curieuse.

- Vous avez sans doute ce qu’il faut pour m’amener présentable ?

- Evidemment.

- Evidemment. Bien. Ok. Je viendrai. Seulement le dîner c’est dans quelques heures et j’ai faim maintenant. Il fut contrarié de sa franchise, elle en fut ravie.

- Oui, j’imagine. Il y a une chambre d’ami à deux portes de celle-ci, va t’y installer. Je t’enverrai Sam, il t’amènera de quoi manger et de quoi te changer.

- Je peux me faire à manger.

- Tu auras tout ton temps pour ça après. Profite de mes privilèges, tu n’en seras que plus critique. Du moins, pour quelques heures. »

Il semblait à Psymio qu’il jouissait de son sort. Dans sa voix et la lueur de ses yeux, quelque chose de triomphale transparaissait. Elle le quitta sans autres verbes. Elle trouva bien une chambre, grande, avec un grand lit et des grandes fenêtres. Des grands rideaux et un grand tapis. Et derrière une autre porte, une grande salle de bain avec une grande baignoire. Elle laissa ses habits trempés sur le parquet et se fit couler un bain. Une demi-heure plus tard elle sortait, ne voyant plus ses loques, trouvant ce qu’il fallait sur le lit. Un pantalon souple et ras du corps et une longue tunique en lin teint en prune. Elle remarqua des bottes de cuir fin, souple, près de la porte. Sur ce qui pouvait sembler être un bureau, un plateau garnis de fruits, de salade, de graines, de fromage et de viandes froides. Elle engloutit le tout alors qu’Adsa dégustait un plateau d’os déposé au pied du bureau.

Elles passèrent le reste de la journée dans la chambre, Psymio lut un livre et s’endormit l’esprit dans l’histoire qu’elle avait terminée en deux petites heures. Les grognements d’Adsa la réveillèrent.

« Il y a quelqu’un ?

- Il est l’heure ma chère. Psymio laissa son regard errer dans la pièce puis se poser sur la chienne.

- Je reviens dans quelques heures. Je t’aime. » Elle se leva, l’étreignit quelques secondes et alla rejoindre son hôte.

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