Hier

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Léo était chez Adrien depuis trois jours. Elle était très énervée. Il la faisait tourner en bourrique avec ses questions et ses murs qui l'empêchait d'aller au bout de sa pensée de façon cohérente, tant il l'a frustrait. Elle était assise en tailleur, sur la balancelle d'osier en forme de goutte suspendu dans la véranda, de bois, de vitre, chaude de soleil matinal. Son menton carré posé sur ses petits poings. Léo attendait que le jeune homme se lève tout en tentant de se répéter son discours afin qu'il la laisse enfin partir. Et surtout, l'empêcher de dévier de nouveau sur d'autres sujets, qu'elle ne pouvait s'empêcher de prendre à cœur, voulant répondre et lui faire comprendre ses arguments. Elle pensait aussi à ce qu'elle devait prendre. Plus elle y réfléchissait, plus elle voyait à quel point elle avait des lacunes. Le plus pratique était d'être autonome, du moins au niveau du couchage. Du voyage, il lui fallait une carte, une boussole, il lui fallait une tente, une couverture, de quoi s'éclairer en cas de besoin, ne serait-ce que pour lire. Elle bougea doucement, avançant lentement ses bras devant elle, les liens aux doigts, paume vers l’extérieur. C'est alors qu'Adrien se montrât enfin à la porte vitrée de carreaux de diverses tailles.

« Déjà debout ? Demanda-t-il, baillant dans son sourire, son t-shirt froissé sur un jogging trop grand.

- Oui. J'ai à te parler, sans que tu ne m’interrompes. Il eut un mouvement de sursaut. Se détournant vers la fenêtre pour s'étirer, il tourna la tête vers la petite rousse dont les yeux noirs attendaient avec méfiance.

- Je suis à toi dans un café.

Il sortit pour rejoindre la cuisine. Elle ne devait pas lui laisser le temps de réfléchir, aussi décida-t-elle de le suivre. Elle passa la porte, devant l'escalier en colimaçon en fer forgé noir, traversa le salon ne comportant que deux canapés, une table basse, un tourne-disque. Le bois du sol et les murs peint en un orange crépusculaire, étaient blanchît par ce qui pouvait être prit pour de la farine. Mais alors, Léo passa devant un bloc de pierre, aux formes encore floues, marchant toujours d'un pas décidé sur les traces de son ami. Elle passa une arche de pierre et se retrouva devant un bar en bois brut derrière lequel se tenait une cuisine rustique. Le rocaillement douloureux du moulin à café se mit en marche. Elle devait attendre encore. Elle prit une chaise à taille du bar, s'accouda, attendit. Une fois le moulage finit, il mit le café dans sa cafetière Italienne, mit de l'eau, vissa, jeta un coup d'œil au poêle dont le ventre ronflait d'un feu fraîchement ravivé. Des œufs et du lard cuisaient lentement dans la graisse. Adrien les accompagna de la cafetière. Enfin, il se tourna vers l'enfant.

- Je pars aujourd'hui. Et comme tu as refusé que je prélève les ressources abondantes de l'orphelinat, je me vois dans l'obligation de prélever les tiennes.

- Ainsi que ma tente et une couverture ? Un sac pour les y mettre aussi peut-être ? Et puis je te dépose au bord du chemin des grands pèlerins, et bon vent ! L'enfant parût ravie.

- Oui ! A l’expression d'Adrien, Léopoldine perdit le sourire. Et pourquoi pas ? S'énerva-t-elle. Tu n'es en rien responsable de mes actes !

- Mais Léo, tu as neuf ans bordel ! Bien sûr que si ! Il y a des règles que je ne peux ignorer, prends ça pour un instinct de conservation de l'espèce, je n'en sais rien. Mais je ne peux pas te laisser partir toute seule !

- Et alors quoi ? Tu vas me laisser enfermer ici à cause de ces stupides règles ? C'est une blague !

Tu ressembles à ma prof de langue autorisée. " La langue française a des règles, il faut les respecter, c'est la base de la civilisation." Quoi ? Sérieusement ? Les règles ? Bah moi, je m'ennuie mortellement en suivant vos putains de règles !

- Léo !

- Quoi ? La base de l'être humain, ce n'est pas l'orthographe et cette salope de grammaire ! C'est le langage commun. Un outil de compréhension ! Si je t'écris phonétiquement une phrase, que peut bien te faire les fautes d'un ordre établis par des tourneurs en rond chercheurs d'élites et de suffisance. C’est quand même dingue ! Il est impossible de vivre sans règles ? C’est ce que tu penses ?

- Léo, évidemment qu’il faut des règles, sinon tout partirait dans tous les sens ! S’énerva Adrien en gesticulant, Tu crois que tout ces êtres humains vivraient en paix ensemble si les règles n’existaient pas ?

- Oui !

- Tu as neuf ans Léo, je te comprends. J’aimerai pouvoir avoir ton âge et recommencer à croire en la gentillesse, la générosité, la bienveillance de l’humain.

- Arrête ! Mes croyances ne sont pas moindre que les tiennes, il suffit d’y croire, c’est tout. Et je crois que des choses extraordinaires m’attendent dehors ! Des aventures comme dans les livres, mais en mieux ! Alors, s’il te plaît, laisse-moi partir. Adrien continua de soutenir les yeux noirs de la petite, des yeux troublants sur son visage encore si jeune, son petit nez retroussé, ses petites lèvres pleines, mais dans son expression, une détermination hors norme habitait ses traits angéliques.

- Reste là. Ordonna-t-il en se levant,

- Non ! Bondit-elle, furieuse et rapide comme une fauve.

- Pas longtemps, deux heures maximum et je te laisserai partir. Capice ? » Elle sembla hésiter, lançant de fréquents coup d’œil par la fenêtre, puis, elle finit par abdiquer, boudeuse mais résignée, elle alla se rasseoir, bras et jambes pliés. Adrien se dirigea vers l’entrée, mit son pardessus beige, son chapeau et sortit. Il prit son vélo, réfléchit un moment, puis s’élança, tout sourire. Léo l’avait observé, méfiante. Mais elle se trouvait mauvaise de penser que son ami pourrait prévenir la police, il n’avait rien dit lorsqu’ils étaient venu frappé à sa porte pour lui poser des questions sur la disparition de la jeune Léopoldine Hugo, orpheline et interne du pensionnat des saints-sous-bois. Alors parler maintenant serait… L’ultime moyen pour l’empêcher de partir. Elle secoua la tête. Elle devait faire son sac, aussi, si la police débarquait, elle pouvait toujours fuir par le jardin sans se retrouver démunis dehors. Elle fouilla un peu partout, sans pour autant mettre le bazard, rangeant soigneusement tout ce qu’elle déplaçait. Elle eut de la chance : une carte du monde en plit zoommable et commandable par interface disposé sur la carte elle-même. Cette carte était vieille et valait de l’or, peu devait avoir eut le droit d’en garder pendant la dictature. Elle trouva aussi une boussole, qui faisait office de montre à gousset, un sac, une tente, une couverture, une veste imperméable, des conserves et des médicaments. Elle prit ce dont elle pensait avoir l’utilité, reposant le reste. Il s’en rendrait compte, bien sur, mais elle l’avait prévenu. Il la connaissait assez pour comprendre son mode de fonctionnement. Une fois prête à partir, elle posa son sac près de la porte vitrée de la véranda donnant sur le jardin et le labyrinthe au fond duquel elle sauterait la palissade et se retrouverait dans les Bois du Doux Limier. Elle resta ainsi longtemps, alerte, à l’écoute du moindre bruit suspect, à l’affût du moindre mouvement étrange. Mais au bout des dîtes deux heures, Adrien rentra seul sur son vélo, Enfin… L’enfant décela autre chose. Alors qu’elle se figeait, Adrien entra. Ce n’était, non pas un policier, mais un chien qui l’accompagnait. Un chien magnifique. Grand, fin et souple.

Il semblait encore jeune malgré sa musculature et sa taille. Son pelage blanc crème couvrait tout son corps, or son collier et sa tête. La fourrure autour du cou puissant caramélisait sur plusieurs traits, comme sur ses oreilles et le haut de sa tête. Léo s’approcha lentement, hypnotisée, se mit à genoux alors qu’elle rencontrait les yeux bleus du jeune chien.

- Voici ma condition, je te laisserai partir, mais seulement si tu prends ce chien avec toi. Annonça Adrien comme une sentence de jugement dernier. Léo avança sa main fine vers la truffe du canidé qui remua aussitôt la queue en s’avançant, tout de même prudemment. Il renifla à plusieurs reprises cette main qui lui était tendue, puis plongea à nouveau ses yeux presque blancs dans les yeux noirs de l’enfant.

- Tu aurai envie de m’accompagner p’tit gars ? De partir sur mes basques, toute voile dehors, où le vent voudra ? Le chien s’approcha d’avantage à l’écoute de la voix qu’il appréciait. Il vint renifler son visage, remua la queue, la lécha.

- Nous avons un deal je crois ? Léo quitta son nouvel ami des yeux pour les fixer dans ceux de celui qui venait de lui offrir le plus grand bonheur de sa vie.

- Je crois. Répondit-elle, souriant à pleine dent.

- Tu devrai lui donner un nom. C’est un chien magnifique hein ? Il est croisé avec un loup tchèque, alors forcément ça fait peur aux gens, il est resté enfermé au moins quatre mois. Le grand air ? L’aventure ? Il n’attend que ça !

- Un nom ? Elle interrogea l’animal qui lui répondit de son regard énigmatique. P’tit gars, c’est bien non ? Le chien remua la queue. Ça lui va p’tit gas.

- Ça me va aussi dans ce cas. Adrien finit par entrer plus avant dans sa maison, laissant le chien et l’enfant s’apprivoiser, ayant l’idée de préparer le déjeuner.

Il remarqua le sac, près de la porte-fenêtre ouverte. Elle tenait vraiment à se tirer cette gosse. Comment ne pas la comprendre ? Mais cette anticipation valait un retour de regard sur le comportement des dits « adultes ». Il se retourna vers l’enfant et le chien. Elle caressait l’animal, couché sur le dos, sourire aigu aux babines, avant de se relever joyeusement pour lui lécher le visage. Ses trente kilos la secouant un peu au passage.

- Dis moi ? Tu devrai rester au moins un jour ou deux, le temps d’apprivoiser la bête, et puis…

- Non. P’tit gars et moi, on a assez attendu de pouvoir être libre. Adrien, tu as dis…

- Je sais, je sais oui ! Il s’agenouilla près d’eux, tenta de prendre la main de la petite, mais p’tit gars grogna. Il laissa tomber sa main, étonné de cet attachement immédiat, mais se lança. Je t’en prie, Léo, fais de ton mieux pour éviter les merdes d’accords ? Surtout, reste attentive, sur tes gardes. J’ai confiance en p’tit gars pour veiller sur toi, mais ne vous mets pas dans une situation difficile. Je crois en la gentillesse des gens et en ton instinct petite. Soit brave, pour toi et p’tit gars. Mais au moindre souci, tu as mon adresse, tu écris ! D’ailleurs, juste pour des nouvelles, ma boîte aux lettres sera ravie de servir un peu! L’enfant rit, des larmes aux yeux. Elle se leva et prit le jeune homme dans ses bras, le serrant aussi fort qu’elle le pouvait.

- Je te le promets. Elle le lâcha au bout d’une minute, alla ramasser son sac de randonnée qu’il avait acheté un an auparavant pensant se ressourcer… Il semblait immense et sacrément lourd sur ce petit dos où se balançait une longue tresse, bientôt écrasée elle aussi sous la charge. Elle revint vers lui, chancelante, mais décidée,

- Merci pour tout, j’ai tout ce qu’il me faut. Et je ne serai jamais seule grâce à toi. »

Il resta à genoux alors qu’elle claquait de la langue en ouvrant la porte d’entrée, P’tit gars sauta sur ses talons sans qu’on le lui redise. L’enfant lui lança un dernier sourire et ferma la porte sur un éclair de fourrure crème. On dit souvent à celui qui quitte la quiétude de son foyer pour l’incertitude des routes, qu’il est courageux, voir enviable, mais ce n’était pas du courage qui faisait battre les tempes de Léo, plutôt ce sentiment de force face a l’inconnu qui lui venait du ventre. Presque de la peur, c’était de la folie, la folie douce de celle qui mènent un homme à parler aux inconnus et à dormir la où la fatigue le prend. Et puis, se dit Léo à elle-même en lançant un coup d’œil au chien qui la suivait, tantôt la dépassait, à nous deux nous sommes forts. Ainsi elle marcha bien, des heures durant, en imaginant leurs futures rencontres, le cœur avide.

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