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18 mars 2584

L’équipe est prête. Enfin. Après deux mois à se battre pour affirmer mes droits, nous allons décoller vers la mer. Je suis cependant encore amère en songeant à la façon dont l’autorité m’a ignorée. Ils n’ont pas essayé de refuser, non, ils n’en avaient pas le droit, alors ils ont fait comme si rien n’avait été demandé. Mais cette fois ça y est. Nous sommes quatre à nouveau, mais comme je l’ai demandé, une autre équipe m’accompagne. Cette fois il y a une femme et deux hommes. Nous n’avons pas encore eut l’occasion de nous présenter. J’attends d’être dans la libellule pour entamer la conversation et découvrir si cette équipe est aussi conforme que la première. La femme à l’air d’avoir environ mon âge, sans être psy évidemment, l’homme le plus grand semble plus vieux, sa peau est moins lisse. L’autre en revanche doit être aux environ de la femme. Je n’ose pas encore parler, je profite de ce sentiment de partir, cette libération, comme si mes chaînes étaient brisées. Je ferme les yeux pour me concentrer sur ce qu’il se passe en moi. Lorsque je les ouvre je surprends l’homme le plus jeune avec un petit sourire presque imperceptible aux coins des lèvres.

« Je suis Psym. Commençai-je maladroitement, je me sentie un peu bête. Tous me regardent.

- Naleria. Annonce la femme le visage impassible.

- Famio. Dit à son tour l’homme plus vieux, la même expression froide.

- Psykren. Se présente le plus jeune avec un sourire. Je le regarde avec attention. Un psy… Comment est-ce possible ?

- Enchantée. » Finis-je par dire en fixant Psykren.

Tous se perdent à nouveau dans le silence. Mais Psykren a un léger sourire tout en regardant le paysage alors que les deux autres gardent leur visage fermé en fixant un point droit devant eux. La différence est si frappante que je me demande alors si ces autres humains, ces conformes, ces formatés, sont réellement humain et non pas robotisés. Nous arrivons rapidement à destination. Nous descendons du jet, récupérons nos affaires et équipement et le jet repart aussitôt, ce que Naleria et Famio ont l’air de beaucoup regretter. En revanche Psykren semble réprimer difficilement son excitation. Je regarde autour de moi, le vent souffle doucement et le soleil brille de toute sa force, ma peau frémit de plaisir. Je ferme les yeux et alors je l’entends. La mer était là, droit devant nous, surement en bas de ce plateau. Jetant mon sac sur mon dos et détachant mes cheveux, je me mets à courir en riant. Psykren me suit de près se permettant un franc sourire. Les deux autre acceptent l’allure mais semblent en plein exercice militaire, jetant des regards méfiants de tous côtés. Psykren et moi arrivons en même temps sur le haut du plateau pour voir une pente douce se changer en pan d’herbe sableuse et plus loin, une étendue mouvante, bleue, brillante, magnifique, l’odeur du sel, les vagues, les oiseaux. Je réprime un hurlement tant cette vue me bouleverse. Psykren et moi, nous nous regardons et nous fonçons droit sur elle. Arrivés près d’elle nous jetons nos sacs et nous déshabillons rapidement avant de nous jeter à l’eau. La sensation est merveilleuse. J’éclate alors franchement de rire et Psykren m’imite. Après avoir passé la première sensation et être redescendue un peu sur terre, je remarque que nous nous sommes largement éloignés du bord et nos deux acolytes agitent violemment les bras, en proie à la colère et la peur. Nous les rejoignons donc mais je reste dans l’eau alors que Psykren sort rapidement pour remettre sa combinaison, l’air légèrement gêné.

« Psym, vous êtes Psy, vous et notre camarade êtes tout deux défaillants, est-il vraiment très intelligent de prendre des risques aussi grand pour vous amuser ? Demande froidement Naleria.

- Qu’il y-a-t-il de mieux que ça Naleria ? C’est magique, venez ! Dis-je, encore pleine d’excitation et de joie.

- Non. Sortez. Maintenant. Ordonne Famio, légèrement, très légèrement, moins froid que Naleria.

- Vous semblez oublier qui je suis mes chers amis. Pourquoi sommes-nous ici ? Dis-je avec un sourire moqueur.

- Pour vous servir et exaucé le moindre de vos désirs. » Récitèrent les deux autres alors que Psykren restait silencieux.

Je leur souris puis m’éloigne à nouveau. L’eau sur ma peau, le soleil qui me réchauffe, l’âme en liesse, l’esprit libre, la vie en couleur, de vraies couleurs. Je ferme les yeux et me laisse couler. Le silence. Le doux silence. J’ouvre les yeux et découvre des poissons de toutes les couleurs, les plus vives que je n’ai jamais vues. Je nage au-dessus d’une forêt de plantes dures que je ne connais pas, remplies de poissons. Je dois remonter respirer. Un coup d’air, je replonge. J’ai envie de me couler en un courant. Ne plus jamais ressentir l’apesanteur de la terre, rester dans l'eau. Flotter infiniment dans cet endroit silencieux. Mais un moment plus tard, mes pas alourdis affrontent à nouveau le sol. Je me sens lourde, je m'allonge sur le sable. Il brûle ma peau doucement, chaque petit caillou qui le forme me caresse. Le soleil est bienveillant et je peux rester exposée aussi longtemps que je le désire, car la pandémie a eut cela de merveilleux, la terre a guérie, le trou de la couche d'ozone est totalement fermé. Mais je décide de découvrir les environs pour trouver un endroit où installer notre campement. Naleria et Famio surveillent de tous côtés, la moindre feuille se soulevant sous la brise chaude de la plage les met en émoi. Mais Psykren semble, lui, partager mon enthousiasme.

Je pense vraiment que l'autorité doit avoir fait une erreur, les psys se rencontrent, certes, mais par hasard, et cela est rare. Et au jour d'aujourd'hui j'en connais deux. Je pense à la chance. Ses traits sont fins et sec à la fois, ses yeux n'expriment presque rien d'autres qu'une intense satisfaction d'être ici, avec moi. Ce qui n'a jamais été le cas des autres. Nous traversons une grande partie de la plage avant de trouver une grotte immense dans laquelle nous aurions pu aisément vivre avec une dizaine d'autres individus. Famio et Naleria trouvent d'emblé l'endroit désagréable et avec un fort potentiel de risques mortels. Ils choisissent de monter leurs tentes à l'extérieur pendant que Psykren et moi-même nous nous installons à l’abri de la roche couleur de rouille qui forme les galeries de la grotte. Les deux autres ont passé la soirée dans leur tente, jetant un coup d'œil aux alentours de temps à autres, leur poste de garde du corps leur tenait bien plus à cœur que ma sécurité propre. Psyban sait ce qu'il fait, du moins ceux engagés à le contenter, si jamais il m’arrive malheur, ils doivent pouvoir récupérer mon corps pour l’acheminer aux mains de l‘artiste. Je regarde le ciel parsemé d'étoiles et respire l'air pur et salés, je me sens vivante et forte. A part entière. Singulière aussi. Je me mets à sourire bêtement à la lune, Psykren me regarde étrangement de côté. Je me tourne vers lui, une chose semble le tourmenter mais il ne sait comment l'exprimer car il reste là, ses yeux dans les miens, le regard interrogateur, les lèvres mi-ouverte sur une phrase qui se casse la gueule, déjà. Un enfant. Innocent. Je lui tends un regard qui l'invite à poser la question.

« Psymio… Vous et Psyban. Vous êtes des défaillants comme moi. Pourtant vous arrivez à vous élever de sorte que vous vous grandissez grâce à votre état de défaillant. Comment faîtes-vous? Je le regarde un moment, évaluant ce qu'il veut exactement.

- Comme tu le sais, pour ma part, mon élévation demande un certain sacrifice. Je lui souris, utilisant le "tu" pour nous rapprocher. Il me regarde un moment à son tour.

- Tu vas mourir pour t'élever… Tu seras ensuite immortelle, et tous connaîtront ton histoire et ton nom. Ainsi que celui de Psyban. Psyban qui lui, a du talent. Mais par où commencer?

- Tu es, certes, dans de mauvaises dispositions puisque tu travaille pour l'Autorité. Tu dois avant tout faire ce qui te fait te sentir en vie. Ce qui te fait te sentir heureux.

- Heureux ?

- Oui, heureux.

- Vous pensez vous sentir vivante une fois poupée de cire? Je lui souris à nouveau. Il avait réutilisé le "vous", montrant ainsi son incompréhension et son jugement.

- Non. Mais à cet instant oui. Et cela n'aurai pu être sans mon envie de vivre en tant qu'œuvre.

- Psyban m'a dit que vous vouliez mourir sur l'instant lorsque tu t'es offerte à lui. Il hésite entre le « tu » et le « vous », ne sait comment m’aborder. Je baisse les yeux un moment, tâchant de me remémorer l'état dans lequel mon esprit se trouvait à cet instant.

- Rien ne m'a paru plus vivant que ces femmes dans toute mon existence. Rien ne me plaisait alors, je ne voulais plus vivre depuis un temps. L'occasion m'a été offerte de cesser de vivre pour quelque chose en quoi je crois. Cela me semblait évident.

- Lorsque je te vois, je ne vois rien de plus vivant… Il avait murmuré, non comme un aveu honteux, mais comme un secret. Un petit secret qu'il ne fallait pas bousculer. Je ris doucement et commence à installer ma couche pour la nuit. Il en fait autant. Nos deux corps s'affaissent doucement sous le sommeil et se touchent.

19 mars 2584

Nous partons en expédition dans la forêt qui borde la plage sur plusieurs centaines de kilomètres. Elle s'élève sur les hauteurs, des cascades doivent se trouver quelque part. La marche est rude et longue pour certains. Elle doit durer trois semaines. Mais je ne vois rien passer. Psykren et moi, nous arrêtons souvent. Détaillant, scrutant toute beauté ou étrangeté, s'émerveillant de toute chose comme des enfants en éveil. Je me sens bien avec lui. Je le sais comme moi. Comme si nos âmes se connaissaient déjà. Nous rions beaucoup, et parlons autant. Il aime l'art aussi. Mais peu de choses de notre époque. L'art avant l'épidémie, c'est cela qu'il appelle de l'art. Pas tout, certainement, mais beaucoup. La musique, la littérature, la sculpture,… Tout était plus riche et sublime avant. Et cela se perd. Nous évitons le sujet de Psyban, sans se concerter, un accord silencieux. Je lui demande si sa mère l'a élevé, il me répond que oui. Il a eu beaucoup d'amour. Il se sait chanceux pour ça. Plus je lui parle, et plus mes yeux m'offrent une image de lui comme jamais je n'ai vu quelqu'un. Même Psyban. Il me semble qu'une lumière étincèle autour de lui, comme l'aura d'un ange. J’ai lu quelques ouvrages sur les croyances humaines avant l'épidémie. Il reste aussi des films, des peintures, qui décrivent ces personnes pures qui aident les hommes dans la quête de leur destin. Ses boucles blondes, presque blanches, ses lèvres pleines qui encadrent un sourire innocent, ses yeux jaunes, presque or. Je me perds peu à peu dans une douce mélodie. Un chant lointain, presque inaudible, qui semble venir d'une corde en moi, dont lui joue. Sa voix a comme un résonnement qui m'appelle. Je ne peux m'empêcher d'être tournée vers lui. Comme une fleur se tourne vers le soleil. Mais je ne comprends pas ce que cela signifie. J'aime sa compagnie et la recherche. Nous nous entendons comme peu de personne s'entende encore. Famio et Naleria désapprouvent tout. A chaque instant ils semblent sur le point d'abandonner. La peur les ronge. Le voyage leur parait vide de sens, incompréhensible.

Aussi nous formons très vite deux couples, marchant en parallèle pour cesser les discutions et disputes qu'ils perdent sans cesse, puisque à mes ordres. Cela les rend encore moins disposés à nous êtres agréables. De plus, nous sommes des défaillants. Nous sommes forcément à moitié fous, peut-être même dangereux. L'état n'a pas été doux dans notre portrait quand l'anomalie fut découverte. Nous le payons encore. Psyban est l'un des seuls à bénéficier d'une certaine confiance. Puisque c’est un artiste. Les autres ne sont qu'un poids de la société qui fut magnanime envers eux pour leur avoir donné le droit de vivre malgré que leurs gênes ay eut une mauvaise mutation.

17 avril 2584

La pluie s'abat sur l'île. Le temps est au chaud cependant. Nous nous abritons dans un arbre creux dans lequel nous pourrions tenir à une dizaine, tout en ayant un espace suffisant. Quelque chose rode dehors. Un prédateur qui nous suit depuis deux jours. Je le sens dans l'odeur qu'amène le vent. Je l'entends frôler les végétaux derrière nous. Je l'entends grogner doucement parfois. Nos deux amis sont terrifiés, bien qu'ils tentent de le cacher. Leur plus grand désir est de partir d'ici au plus vite. Nous avons réussit à faire un feu dans notre arbre après quelques essai catastrophique. Il fait chaud et nous pouvons manger tranquillement sans craindre une attaque. Pas cette nuit. Pas encore. Je me place auprès de Psykren qui pose une main légère sur la mienne, joue un instant avec nos doigts, avant de la retirer, rougissant. Il me sourit, ses yeux brillent intensément. Je le lui rends avec beaucoup de chaleur dans le corps et dans l’âme. Les deux autres ne cessent leur grimace mécontente.

25 avril 2584

Nous sommes retournés sur la plage sans nous en rendre compte. Famio est mort hier soir, mordu par un serpent venimeux. Naleria semble peu troublée par cette perte. J'ai pleuré malgré le peu de liens que nous avions. Nous étions tout de même ensemble, une équipe. Tout ce qu'elle veut c'est rappeler la libellule pour que nous rentrions rapidement. Je refuse. Il y a encore trop à découvrir. Mais elle ne nous laisse pas le choix et contacte les autorités. Psykren est aussi malheureux que je le suis. Alors que nous nous installons pour notre dernière nuit, je décide de rejoindre Psykren dans son dôme. En quelques heures nous nous décidons. Nous ne retournerons pas dans les villes plastiques. Une heure de plus s’écoule et nous quittons notre campement, chacun son sac sur le dos. Naleria rentrera seule, nous continuerons, s’il le faut sans l’aide de l’autorité. Une immense joie nous habite alors que nous prenons notre liberté, enfreignant l’Ordre et la Règle. Fugitif de l’ennui pour une vie aussi terrifiante qu’exaltante.

28 août 2584

Nous avons passée une étrange porte, comme une anfractuosité dans l’atmosphère, j’ignore comment. Cela fait trois jours que nous marchons dans une terre très semblable et pourtant très différentes de celle où nous étions. Il y a un résidu dans l’air désagréable, qui nous pique les muqueuses. J’ai de plus en plus de maux de tête et mes rêves sont étranges. J’ai le sentiment qu’ils ne sont pas seulement des rêves, mais des bribes de souvenirs. Comment est-ce possible ?

Je me sens perdue et terrifiée à certains moments, mon enfance connue semble superposée par une autre, plus vive, plus violente. Psykren semble aussi perturbé à des moments. Il me dit qu’il a des rêves lui aussi, comme les miens. Il dit que l’autorité était là avant nous, que nous n’avons pas choisis d’en faire partie, d’appartenir au grand Ordre, que nous naissons et mourrons sous lui, sans choisir d’appartenir à cet état d’obéissance généralisée. Soit on doit accepter ce pacte implicite, soit nous devons disparaître, d’une manière ou d’une autre, que cela est une injustice fondamentale. Ses yeux sont de plus en plus empreints de colère et de ressentiment, il commence à parler de vengeance, il pense que l’autorité nous a prit quelque chose et moi je veux seulement trouver une oasis où nous installer quelques jours afin de reprendre nos esprits. Je suis exténuée. Pourtant, ni l’un ni l’autre ne regrettons notre décision. Etrangement, nos présences mutuelles nous donnent de la force et une étrange chaleur dans le corps et l’âme. De plus nous ne sommes pas si seuls, depuis plusieurs semaines, deux animaux, ressemblant à des chiens, nous suivent de loin. Je soupçonne que cela dure depuis plus longemps. Depuis la veille de la mort de Famio. J’ai envie de les apprivoiser. Psykren est ragaillardis par cette idée. Notre route est alors plus enjouée et nous tentons des astuces pour les faire approcher. J’ai de l’espoir. Je ne me souviens toutefois plus de mon nom. Ni du sien. Nous continuons d’avancer.

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