P6- Jour de chasse| 1-3

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Arès

1-3

Entre Vigiles et laudes

— A-t-on idée de réveiller ses gens avant le soleil, nom d’un Zeus ! Laissez-moi dormir à la fin, pfff, la chasse attendra !

Le valet qui venait d’allumer le chandelier du connétable n’eut pas le loisir d’entendre la plainte, il se dirigeait promptement vers la chambre suivante du corridor du premier étage, couvert de son lainage, un bec à huile au bout des doigts. Il en avait cinq autres à éclairer puis il descendrait rejoindre les servantes qui s’affairaient dans les cuisines au rez-de-chaussée.

En aucun cas la chasse n’attendrait, cela allait de soi. Bien au contraire. Monsieur le baron s’en faisait une joie toute particulière. Ce plaisir hebdomadaire non seulement le divertissait de ses contraintes coutumières, mais donnait surtout au manoir la viande de la septaine* ainsi que des réserves quand la récolte avait été généreuse. On cuisait, on salait, on pendait dans la fraîcheur des greniers et on conservait de la sorte de quoi pour les jours sans.

Seul le palefrenier assurait lui-même son réveil à la paille de sa couche et avec çà généralement sur pieds avant tout le monde. Veillant certes et surtout obligé : douze chevaux étant à l’attendre dans la grande écurie des soubassements, à nourrir, à ferrer, à brosser, à équiper comme il se doit puis à faire monter dans la cour intérieure où ils attendaient patiemment, sagement attachés, alignés en double rangée, dos à dos, devant les abreuvoirs. C’était là ou avant la sortie que le connétable intervenait pour la revue. Ce qui expliquait de fait la sale humeur de son incompréhension quand on venait systématiquement le sortir du sommeil le premier.

Les quatre autres hôtes permanents, en plus de lui et du maître, étaient deux jeunes messieurs ennoblis par hérédité et leurs dames, à savoir : le fils du comte que le baron servait autrefois et un cousin aux dents longues, qui comptait avec assiduité sur le partage de l’héritage du domaine après l’enterrement tant espéré du propriétaire des lieux…

Ajouté que l’on attelait six montures supplémentaires pour ceux du dehors qui se joignaient à la chasse, assez souvent changeants selon les invitations et sans nécessairement garantir que tous viennent comme prévu. Dans ce cas, les chevaux préparés en vain retournaient à leur foin et pouvaient servir de remplacement ou de dépannage.

C’était donc une affaire bien rodée cette chasse depuis que le territoire s’était fait baronnie ! Si bien que les déluges du ciel, ses tempêtes et les froidures, eux seuls, étaient à même d’annuler ce jour immanquable. Et quiconque s’y essayait, ne serait-ce qu’indirectement, trouvait à se frotter au mécontent :

— Freyn ! – apostropha le connétable enfin debout, bras croisés sur le torse devant son seuil, levé après tout le monde, pour interpeller son baron qui passait en bout de couloir.

— Quoi encore !? Vous savez qu’il n’y a que vous qui se fait entendre à la ronde avant de descendre, les jours de chasse !

— Je le sais. Pourquoi me faîtes-vous toujours réveiller avant les autres ?! Vous savez que je ne vais aux écuries ou à la cour qu’au dernier moment !

Le baron avisa de la direction qu’il allait prendre et vint jusqu’à l’insolent, à grandes foulées dynamiques... là, face à lui :

— Pardon, pardon. Rappelez-moi, s’il vous plaît, qui commande ici ? Au nom de quoi vous permettez-vous de remettre mes directives en question, Alfred ? Dois-je vous rappeler votre rang ? – À ces mots, tenant le front relevé pour le toiser.

— Et bien… « Et bien restez coi, préparez-vous et rejoignez-nous à la collation ! Sans quoi il vous en cuira ». Sur quoi il repartit sans laisser l’autre répondre.

Voilà le genre de scènes qu’il n'était pas rare de rencontrer entre les personnalités fortes de cette maison. Et à dire vrai, le connétable se trouvait être environ le seul à oser défier de façon frontale l’autorité. Les autres se préférant caressants, calculateurs, hypocrites, retenus ou dociles.

Par exemple un cousin rompu à l’exercice du rond de jambes, fort en flatterie généreuse souvent outrancière, la servitude habilement ajustée aux circonstances les plus prometteuses, pas moins avide de récompenses et sans trop le montrer de positions avantageuses acquises par le mérite en guise de retour. Autrement : le fils du comte, ivre de rancoeurs, de cupides envies, de jalousies mal placées ou d’arrivismes aux desseins divers et tant qu’on le voyait soit casser du sucre sur le dos des malappris pour se faire valoir, soit dénoncer contre d’heureuses faveurs convoitées, soit trahir pour faire expulser ses indésirables... et mille autres stratagèmes afin de briller et monter dans l’estime du seigneur autant que possible.

Quant aux serviles on les rencontrait principalement aux écuries, aux cuisines, aux jupes des dames et aux convives des premières fois. Et comment pouvait-il en être autrement si l’on ne voulait pas perdre sa place, ou ses privilèges ? En bref : aucun ancien ne se faisait ami sans un gain envisagé et nul nouveau ne revenait sans un gain obtenu.

Quand on savait la rudesse de vivre dans les vallées alentours et le péril de survivre dans les montagnes qui les cernaient, il était vite fait de préférer servir un noble, même sévère, même impitoyable, qui voulait de nous et de se mettre en quatre afin qu’il nous garde à son service. Quels qu’en fussent le prix et les sacrifices.

A suivre...

* * *

* Septaine (sans certitude/dites-moi ce que vous en pensez s.v.p) :

pour remplacer le mot ‘’semaine’’ ou ‘’hebdomadaire’’.

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