Chapitre 46 : Le Secret de Larein - (1/2)

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Finalement, Deirane et Dursun n’avaient pas réintégré le palais. Aucune des deux n’avait envie de se retrouver enfermée entre quatre murs. Elles s’étaient déniché une pelouse bien dégagée et s’étaient allongées l’une contre l’autre. Dursun s’était blottie contre son aînée. Elle avait posé sa tête sur la poitrine de son amie et n’avait pas tardé à s’endormir. Deirane, en revanche, n’avait pu trouver le sommeil. Elle avait passé la nuit à fixer les étoiles.

L’agitation matinale du palais la tira de ses réflexions. Fenkys allait bientôt se lever même si aucune lueur n’apparaissait encore à l’horizon. Elle secoua Dursun pour la réveiller. L’adolescente, hébétée, redressa la tête, elle avait du mal à se situer. Puis elle se souvint et les larmes recommencèrent à couler. Nëjya était partie et elle ne la reverrait jamais.

Deirane la réconforta en l’enlaçant. Puis, quand les sanglots se calmèrent un peu, elle l’aida à se relever.

— Il est temps de rentrer, suggéra-t-elle.

Elle ramassa la canne de son amie. Cependant, au lieu de la lui donner, elle préféra la tenir par la taille, une excuse pour prolonger le contact.

Tout en rejoignant la salle des tempêtes, elle croisa Terel accompagnée de quelques suiveuses de Larein. Non. Cette femme était trop stupide. Elle n’avait pas pu prendre le contrôle de la faction.

Deirane les laissa passer avant de quitter la cachette que lui avait constituée le tronc d’un arbre. Elle les regarda s’éloigner puis elle reprit sa marche vers le palais. Quand elle se retourna, elle manqua de sursauter. Chenlow se tenait devant elle, les mains sur les hanches.

— Alors comme cela, on conspire au petit matin, ironisa-t-il.

Sa plaisanterie la rassura. Comme beaucoup d’occupants du harem, il avait du mal à pardonner la mort de Cali. Mais sa colère était retombée. Et il semblait montrer de meilleures dispositions envers la petite concubine. Il faudrait encore du temps, cependant, avant qu’ils retrouvassent leur complicité.

— Je me demandai qui avait repris la faction de Larein, répondit-elle.

— Tout le monde se pose la question. Quelle que soit cette personne, elle se montre très discrète.

— Je pensais à Terel, mais…

— Aucune chance ! s’écria l’eunuque. Le Seigneur lumineux ne supporte pas sa présence. Malgré sa beauté, il la convoque rarement dans sa couche.

Elle jeta un dernier coup d’œil au petit groupe. Il était loin maintenant. Il avait raison, Terel était remarquable avec ses cheveux blonds – l’une des huit du harem à en avoir – qui cascadaient en boucles lâches jusque sur ses reins, sa peau très pâle et sans défauts, sa silhouette fine d’athlète qui rappelait Saalyn, et son visage aurait été magnifique si elle n’avait pas adopté en permanence une expression crispée destinée à lui donner l’air dur.

— Je pense que Terel la connaît, suggéra la jeune femme. Cette cheffe doit bien communiquer avec elle et je n’ai constaté la présence d’aucune nouvelle dans le groupe.

— C’est une idée intéressante, approuva Chenlow. Mais reprendre la faction sans contestation de la part de ses membres aurait nécessité une personne assez proche de Larein.

— Une compatriote peut-être.

— J’en doute. Les Sangärens ne sont pas portés sur l’entraide entre tribus, sauf quand ils subissent une attaque de l’extérieur.

— Pardon !

Deirane tombait des nues. Elle ne s’était jamais renseignée sur l’origine de Larein, de toute façon, la concubine n’aurait pas répondu si elle lui avait posé la question. Et sa couleur de cheveux originale, aussi rare que dispersée dans l’ensemble du monde, ne lui donnait aucune indication.

— Larein était une Sangären ? s’écria-t-elle.

— Oui. Tout comme sa sœur. Elle vient d’une tribu peu éloignée au nord-ouest d’ici. Je ne vois pas en quoi cela te surprend, le Sangär est si proche, un quart des concubines en proviennent. On y trouve facilement de belles femmes à un prix modique. Et de types très variés puisque les Sangärens sont une mosaïque de peuples plutôt qu’un peuple unique.

— Et quand Larein est arrivée, combien de Sangärens l’accompagnaient ?

— Juste elle et sa sœur. Une femme magnifique elle aussi, dommage qu’elle n’ait pas toute sa tête.

— Larein n’était pas très âgée, fit-elle remarquer, plus jeune que Mericia.

— Elle a un an de plus que toi. Et a intégré le harem quatre ans avant toi.

— Quatre ans ? Comment a-t-elle pu accéder au poste de cheffe de faction si jeune ?

— Tu étais jeune toi même quand tu l’es devenue.

— J’avais douze ans¹⁵, pas huit¹⁶! s’écria-t-elle. Elle était plus jeune que Dursun quand elle est arrivée.

— Mericia nous a rejoints à six ans3¹⁷, fit remarquer Chenlow.

— Mericia n’est pas devenue cheffe tout de suite.

— Elle avait onze ans en effet.

Deirane réfléchit un moment.

— Je sais qui commande la faction de Larein, déclara-t-elle enfin.

Chenlow croisa les bras.

— Qui ?

— Plus tard, éluda-t-elle. Je dois d’abord vérifier.

Elle laissa Dursun aux soins du vieil eunuque et se précipita vers le palais. Chenlow dépêcha deux hommes qui se lancèrent à sa poursuite. Ce fut quand elle arriva dans la salle des tempêtes qu’elle se rendit compte qu’elle avait gardé la béquille de son amie.

Deirane réintégra le harem, grimpa jusqu’au dernier étage, puis emprunta le couloir qui faisait face au sien, de l’autre côté de la cour de l’école. Elle se dirigea sans hésiter vers une des chambres. Prise d’un doute, elle rajusta sa tenue, se donnant le temps d’une réflexion supplémentaire. Si elle se trompait, elle risquait de perdre une alliée. Mais elle était si sûre d’elle. Et puis le visage de Dursun, altéré par une cicatrice qui ne partirait peut-être jamais, s’imprima dans son esprit. Par égards envers son amie, elle devait en avoir le cœur net. Elle prit une longue respiration avant de frapper.

Une voix douce l’invita à entrer. Elle tomba sur Kathal, la domestique de Bilti. La vieille femme était assise dans un fauteuil à se reposer. Quel contraste avec Loumäi, constamment active. Deirane avait toujours trouvé étrange que cette concubine disposât de personnel attitré alors qu’elle ne possédait pas un rang très haut dans la hiérarchie du harem. En fait, on la croisait très peu dans les jardins. Elle comprit en voyant Kathal prendre ses aises. On avait donné à une domestique vieillissante la chance de finir ses jours avec un poste tranquille.

— Je cherche Bilti, s’enquit Deirane. Sais-tu si elle est à proximité ?

— Elle dort encore, répondit la femme de chambre. Je vais la réveiller.

— Inutile de la déranger. Je peux attendre.

Ignorant cette dernière remarque, la domestique se mit debout et quitta le salon. Un instant plus tard, la porte s’ouvrit à nouveau et la Sangären entra.

En effet, elle venait juste de se lever. Elle n’était ni coiffée ni habillée, à peine voilée d’une simple nuisette transparente qui révélait l’ensemble de son corps. Deirane en profita pour la dévisager, elle n’avait jamais eu l’occasion de voir la concubine entièrement nue. Même si elle s’habillait d’une façon qui laissait peu de place à l’imagination, ses tenues lui masquaient toujours la poitrine et le bas-ventre. Elle ne fréquentait pas non plus la piscine ou la plage qui l’auraient obligée à se dévêtir. Et pourtant, elle était magnifique, comme toutes les femmes retenues en ce lieu, et cela malgré le fait qu’elle avait largement dépassé les vingt-cinq ans4¹⁸ et approchait des trente ans¹⁹.

Son visage s’éclaira d’un sourire en reconnaissant la petite concubine.

— Serlen ! s’écria Bilti, cela fait plaisir de te voir. Tu ne m’as jamais rendu de visite aussi matinale.

— J’avais besoin de te parler et c’est urgent, répondit Deirane.

— Assieds-toi, l’invita-t-elle en désignant le fauteuil que Kathal occupait quelques instants plus tôt. Veux-tu du thé ?

Tout en posant la question, elle actionna un cordon qui devait correspondre à une cloche dans le quartier des domestiques. Quelques concubines jouissaient d’un tel avantage, mais pas toutes. Deirane par exemple, n’en bénéficiait pas.

La domestique devait déjà être en route puisqu’elle arriva immédiatement.

Deirane accepta l’offre et s’assit, tout en surveillant l’esclave qui les servait. Elle ne l’avait jamais vue. Elle connaissait bien peu d’entre elles en fait, disposant d’une femme de chambre qui lui était dévolue. Pourtant Kathal n’avait pas pris le relais comme Deirane s’y était attendue. La jeune femme versa du thé dans une grande tasse et la tendit à Deirane. En la remerciant, cette dernière la posa sur le guéridon qui jouxtait le fauteuil.

— Ça te gêne si je me prépare en t’écoutant ? s’enquit Bilti en se levant.

— Pas du tout, répondit Deirane.

La concubine se plaça au centre de la chambre et laissa la domestique opérer. Pendant qu’elle lui enlevait son léger vêtement de nuit, Deirane commença.

— Tu te souviens quand tu m’as demandé ce que je connaissais aux Sangärens ?

— Oui. Et tu m’as répondu : rien du tout.

— En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. Pendant mon enfance, j’en ai rencontré à deux reprises, ce qui ne me permet pas de dire que je les connais.

— C’est intéressant ça, commenta Bilti.

Entièrement nue, elle se dirigea vers la salle de bain. Deirane se déchargea de sa boisson sur une étagère de la desserte et la suivit. Elle regarda Bilti prendre place dans la douche. Elle n’avait pas encore remarqué que sa consœur était entrée derrière elle. Ce fut en se retournant qu’elle la découvrit.

— Kathal, appela Bilti, tu viens.

À la grande surprise de Deirane, la domestique n’apparut pas.

— Elle a dû s’endormir quelque part, plaisanta-t-elle. Elle n’est plus toute jeune. Celle-là fera l’affaire en attendant.

— Veux-tu que je t’aide ? proposa Deirane.

— Tu veux m’assister pendant ma toilette ! Pourtant je croyais que ce n’était pas ton genre. Et ce n’est pas le mien non plus d’ailleurs.

— Ne t’inquiète pas, je n’ai pas l’intention d’abuser de toi.

Deirane prit le poignet de la domestique et la repoussa vers la porte.

— Vous voulez bien nous laisser seules ?

— Mais qui va…

— Je m’en charge.

— Et l’habillage ?

— Déposez une robe sur le lit, je m’en occuperai.

— Bien madame.

L’esclave lança un regard interrogateur à sa maîtresse qui resta silencieuse. Elle sortit. Deirane referma la porte derrière elle.

— Ce que tu as à me dire nécessite tant de discrétion que cela ? demanda Bilti.

— Moins il y a d’oreilles, mieux c’est.

— En effet. Je constate cependant que je suis à mon désavantage. Je suis nue alors que tu es habillée. Savais-tu que c’est une technique de déstabilisation utilisée lors des interrogatoires ?

— Dursun m’en a parlé, en effet.

Bilti ouvrit l’eau et se laissa asperger par le jet.

— La première fois que j’ai fait connaissance avec les Sangärens, j’avais trois ans²⁰. Ils commercent beaucoup avec Ortuin, et passer par Gué d’Alcyan est plus discret qu’emprunter la route du nord. Tout au moins jusqu’à ce qu’ils créent cette déviation qui permet d’éviter Sernos quand on veut aller de l’est vers le nord.

— Et ?

— Un jour, un groupe s’est arrêté à la ferme et a demandé l’autorisation de camper dans la grange. Mon père a accepté. Le soir, on a mangé tous ensemble dans la cour. Leur chef s’appelait Mudjin. Et son fils aîné l’accompagnait. Il avait à peu près mon âge.

— Tu connais Mudjin ! s’écria Bilti.

— J’avais trois ans, objecta Deirane.

— C’est jeune en effet.

La concubine coupa l’eau. Deirane enfila un gant en tissu éponge qu’elle recouvrit de crème moussante. Puis elle commença à frictionner vigoureusement le dos de Bilti. Cette dernière écarta les bras afin de laisser sa consœur travailler.

— Il y a quelques douzains, quand je suis sortie hors du harem, j’ai croisé un Sangären. Il s’appelait Atlan et se disait fils de Mudjin. Et je crois que c’était l’enfant que j’avais rencontré cette première fois. Parce que lui aussi m’a reconnue.

— Comment le sais-tu ?

Sous la poigne légère de Deirane, elle se retourna afin de la laisser procéder sur sa poitrine et son ventre.

— La façon dont il m’a regardée. Il ne parvenait pas à me quitter des yeux. Au début, je croyais que c’était Mericia. En fait, c’était bien moi qui l’intéressais.

Deirane préféra passer sous silence ce qui s’était déroulé pendant la nuit qui avait suivi.

— Il n’avait nul besoin de te reconnaître. Ta particularité attirerait le regard de n’importe qui, signala Bilti.

— Je l’ai pensé, avant de changer d’avis. Et toi, tu en penses quoi ?

— D’abord que tu me fais mal.

Deirane frictionnait en effet les seins avec autant de vigueur que le reste du corps. Toutefois, en dehors de ces quelques paroles, la Sangären n’avait pas réagi, n’esquissant pas le moindre geste de protection. La jeune femme se montra plus attentionnée.

— Et c’est cela que tu avais à me dire de si urgent ? ironisa Bilti.

— J’y viens. La deuxième rencontre me semble plus intéressante. Vers six ans, j’ai commencé à accompagner mon père lors de ses visites à Ortuin. Deux fois par an, il allait y vendre une partie de notre production et acheter des choses qu’on ne trouvait pas à Gué d’Alcyan. Un jour, pendant un trajet, on est tombé sur un groupe de Sangärens. Ils ont chevauché avec nous un moment. J’étais plus âgée et j’ai retenu l’essentiel de notre discussion. Un membre de leur clan avait été assassiné et sa veuve violée. Ils étaient en quête du responsable pour se venger. C’est à cette occasion que j’ai appris que si les tribus sangärens étaient toutes en concurrence, à l’intérieur de chacune la solidarité était extrême. Malgré leur réputation de brutalité, les Sangärens punissent le meurtre, le viol et tous les autres crimes.

— Tu nous considérais comme quoi ? protesta Bilti. Bien sûr que nous réprimons les crimes. Nous sommes des nomades, pas des barbares.

Deirane éluda la question.

— Quand Larein est morte, son clan aurait dû la venger. Seulement, sa faction n’est pas son clan. En dehors d’elle et de sa sœur aînée, elle ne comportait aucune Sangären. Personne ne pouvait officiellement lancer une vendetta. Aussi, lorsque les attaques ont commencé contre Dursun, j’ai pensé à une tentative de me déstabiliser. Au début, ignorant la mort de Larein, j’ai cru qu’elle cherchait à se venger, sur l’élémént le plus faible de mon groupe, de la raclée que je lui ai flanquée. Je n’ai pas compris tout de suite que le but n’était pas de la martyriser, mais bien de la tuer. C’était des tentatives de meurtre. La première fois, dans la piscine, Laetitia est intervenue. Puis, c’est la présence de Dinan qui lui a sauvé la vie. J’ai cru sur le moment que c’était pour venger la mort de Cali. Je me trompais.

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