Chapitre 41 : La dernière tentative de Larein - (1/3)

9 minutes de lecture

TW : attention, certaines scènes violente pourrait heurter la sensibilité.


Une bonne journée de travail qui s’achevait ! Dursun jeta un coup d’œil satisfait sur ses planches nettes de mauvaises herbes.

— Oui, il est beau, lui lança Nëjya depuis la barrière à laquelle elle s’était accoudée.

Depuis son agression par Larein, l’année précédente, Dursun ne se rendait plus jamais seule dans le potager. Récemment, c’était dans le bassin des concubines qu’on avait tenté de la noyer. Et sans la présence de Lætitia, elle aurait passé un sale moment. Ce n’était pas toujours Nëjya qui l’accompagnait. Les eunuques prenaient le relais lorsqu’elle n’était pas disponible. Toutefois, quand Nëjya la surveillait, elle éprouvait le besoin de se mettre à l’aise. Et elle n’ignorait rien de l’effet que sa poitrine nue, luisante de sueur, produisait sur son amante. Elle n’avait aucune chance de sortir de l’enclos sans avoir à donner de sa personne. Aujourd’hui, malgré la fraîcheur ambiante qui s’était installée depuis quelques douzains, elle avait très chaud et elle voulait se laver avant la bagatelle. Peut-être que si Nëjya l’avait imitée et ôtée sa robe, elle n’aurait pas pu lui refuser, mais là elle s’était contentée de la lorgner.

Dursun prit la serviette posée sur la barrière juste à côté de Nëjya. Elle commença à s’essuyer le visage, puis la poitrine.

— Je m’en occupe.

Elle s’empara de la pièce de tissu et entreprit de nettoyer son amante. Bien vite, les caresses changèrent de nature. Bien trop tôt à son goût, Dursun y mit fin. Elle attira sa compagne à elle et l’embrassa rapidement sur la bouche.

— Attends-moi dans la salle des tempêtes. Je prends une douche et je te rejoins.

— Tu es sûre ? Ici, nous sommes seules. Là-bas, il y a toujours des gêneurs.

— Fais confiance à Deirane, on ne sera pas dérangé.

— Promis ?

— Promis.

— Si tu n’es pas sortie de la salle de bain dans un calsihon, je viendrai t’y chercher.

— J’y compte bien.

Nëjya consentit à libérer sa compagne de son étreinte. Dursun ramassa sa tunique posée sur la barrière. Au lieu de la mettre, elle la jeta sur son épaule. La jeune femme était loin de se montrer aussi pudique que Deirane et se promener nue dans le harem ne la gênait pas. Puis elle s’éloigna en direction de la salle des tempêtes, moyen le plus rapide de rejoindre le palais. Elle hésita un instant à passer par le hall d’entrée qui devait être bondé à cette heure-ci. Depuis que sa silhouette s’était étoffée, elle prenait du plaisir à la montrer. Elle croyait comprendre pourquoi Mericia ne s’habillait jamais. Toutefois, elle risquait de tomber sur cette concubine et elle ne voulait pas que les autres occupants des lieux pussent les comparer. Elle estimait que ce qui attirait les regards sur elle était son exotisme plutôt que sa beauté, que ni les compliments de Nëjya ni ceux de Deirane n’étaient objectifs. Même les demandes incessantes de Sarin qui désirait la voir poser comme modèle ne parvenaient pas à la convaincre. De plus, le temps s’était bien refroidi depuis son arrivée quelques années plus tôt. Une petite brise fraîche la fit frissonner. Elle, qui avait grandi dans un environnement de savane quasi désertique à la chaleur étouffante pendant la journée, choisit finalement le trajet le plus court vers les bâtiments.

Un instant plus tard, elle se délassait sous le jet bienfaisant de la douche. Tout en laissant l’eau couler sur sa peau, elle se demandait comment elle allait rejoindre Nëjya. Irait-elle à son rendez-vous totalement nue ? Ou au contraire allait-elle mettre une tenue légère que son amante prendrait plaisir à lui retirer ?

La porte de la salle de bain s’ouvrit et quelqu’un entra. Décidément, la Samborren était bien impatiente. Elle avait échoué à se retenir et venait la retrouver sous la douche.

— Nëjya ! appela-t-elle.

L’interpellée ne répondit pas.

— Ah tu la joues comme ça ! S’écria-t-elle. Tu vas voir !

Joyeuse à l’idée de rencontrer son amante un peu plus tôt que prévu, elle tira le rideau. En découvrant le petit groupe de femmes qui se tenait face à elle, elle éprouva une profonde panique. Elle ne connaissait pas ces concubines, à l’exception de Terel, la lieutenante de Larein, qui menait le groupe.

— Surprise ! s’écria cette dernière.

Tétanisée, terrorisée, Dursun n’arrivait pas à réfléchir.

— Larein avait raison, continua Terel. Bien qu’elle n’ait pas beaucoup de formes, elle est très jolie.

— Ouais, enfin, il n’y a pas grand-chose pour s’amuser, déplora une autre.

Par réflexe, Dursun croisa les bras sur sa poitrine.

— Que voulez-vous ? demanda-t-elle d’une voix peu assurée.

— Renvoyer l’ascenseur, répondit Terel.

— Renvoyer l’ascenseur ? répéta-t-elle hébétée.

— À cause de ce que ta salope de chef a fait à Larein. Et à Cali aussi.

— Ouais, répliqua une autre, rendons-lui la monnaie de sa pièce.

Dursun ne comprenait pas. À part la correction que Deirane avait infligée à Larein quelques mois auparavant, Deirane n’avait rien entrepris contre elle. Larein se tenait tranquille depuis, on ne la croisait même plus dans les parties communes. Si Terel se référait à cet événement, Dursun allait passer un sale moment. Elle commençait à regretter de n’avoir pas été plus assidue lors des leçons de Naim.

— Nous n’avons pas tout notre temps, on doit partir avant que la garde vienne voir pourquoi leur œil n’envoie plus d’images.

Donc personne ne se doutait que Dursun se trouvait en mauvaise posture. Elle allait prendre une sacrée correction sans personne qui la secourrait. Ce fut quand Terel sortit la barre de fer qu’elle cachait dans son dos que Dursun comprit. Elles ne voulaient pas se contenter de lui donner une raclée. Elles allaient la tuer !

Sous la panique, Dursun tenta de s’enfuir. Une agresseuse l’attrapa et la plaqua contre elle. Deux autres lui empoignèrent les bras afin de l’empêcher de se protéger. Elle essaya de hurler, celle qui la maintenait lui masqua la bouche d’une main. Terrorisée, elle vit les concubines brandir toutes un objet lourd destiné à la blesser.

— Même si tu t’en sors, je doute que ta Nëjya veuille encore de toi après ! menaça Terel.

Dursun roulait des yeux affolés. Totalement réduite à l’impuissance, elle ne pouvait rien faire, même pas appeler au secours.

Nëjya nageait tranquillement dans le bassin de la salle des tempêtes en compagnie de Deirane et des enfants. La Samborren jetait des regards fréquents vers la porte qui menait à l’aile des chanceuses.

— Ne te montre pas si impatiente, lui lança Deirane, elle ne tardera plus à venir.

— Je la trouve quand même un peu longue.

— Elle veut juste se faire belle aux yeux de l’élue de son cœur.

— Elle n’en a pas besoin. Elle est déjà belle.

— Quand on aime, ce n’est jamais suffisant.

Nëjya nagea jusqu’au bord du bassin. Elle hésita à sortir, mais elle renonça.

— Elle attend peut-être que tu la rejoignes, suggéra Deirane.

— Non, je saurai me montrer forte ! pontifia Nëjya.

Deirane adressa un sourire de connivence aux fillettes qui chahutaient dans l’eau. Elles comprirent le message. Toutes les trois ensemble, elles se précipitèrent sur Nëjya et la firent basculer. La jeune femme se retourna face à ses assaillantes. Et bientôt, une bataille s’engagea au milieu des rires. Deirane ne tarda pas à les rejoindre.

Un hurlement interrompit les jeux. Deirane hésita un instant, se demandant qui l’avait poussé. En revanche, Nëjya était déjà en train de regagner le bord. Il provenait de la direction où se trouvait sa compagne, même si ce n’était pas elle qui l’avait émis ; elle aurait reconnu sa voix. Sans prendre le temps de se sécher, elle se précipita vers le couloir qui menait aux chambres. Avec retard, Deirane lui emboîta le pas.

Nëjya n’eut aucun mal à localiser l’origine des cris. Une domestique se tenait devant la porte de la salle de bain, poussant des hurlements hystériques. Elle risqua un coup d’œil dans la pièce. Elle découvrit Dursun inerte, allongée sur le carrelage au milieu d’une mare de sang.

— Dursun ! cria-t-elle.

Elle se serait jetée sur le corps, si Deirane ne lui avait attrapé le bras.

— Ne la déplace pas, lui ordonna Deirane, tu risquerais d’aggraver ses blessures.

La peur de faire courir davantage de danger à sa compagne s’avéra assez forte pour la retenir. Mais Deirane sentait ses muscles tendus comme des ressorts prêts à jaillir, la rage qui ne demandait qu’à exploser. Elle la lâcha malgré la crainte qu’elle commît une bêtise. Nëjya parvint à se maîtriser. À la place, elle s’appuya contre le mur. Ses jambes, rendues molles par la terreur de perdre l’amour de sa vie, n’arrivaient plus à soutenir son corps. Elle se laissa glisser jusqu’au sol.

Deirane s’accroupit près de l’adolescente. Délicatement, elle posa sa main sur la poitrine. Un moment, elle eut peur. Elle ne sentait rien, aucun battement. En changeant de position, elle perçut quelque chose. C’était léger, fragile. Pourtant, bien là.

— Elle vit ! s’écria-t-elle. Elle est vivante !

Nëjya releva son visage baigné de larmes.

— Elle vit ? répéta-t-elle incrédule, avec tout ce sang autour d’elle ?

— Occupe-toi d’elle. Je vais chercher de l’aide. Ne la déplace surtout pas.

Elle n’eut pas à répéter. La Samborren se précipita à quatre pattes vers son amante et s’allongea auprès d’elle malgré le sang.

Deirane se releva. Elle aussi s’était maculée. Elle n’y prit garde. Elle rejoignit en deux pas la domestique. Celle-ci avait cessé de hurler, mais était en état de choc.

— Allez chercher Chenlow ! ordonna Deirane. Immédiatement !

Elle ne bougea pas, fixant toujours de ses yeux effarés le corps meurtri de Dursun. Deirane l’attrapa par les épaules. Par chance, la domestique n’était pas grande. Puis elle la secoua violemment. La panique compensait largement sa petite taille. Elle enfin la réaction qu’elle attendait. La domestique se mit à sangloter en regardant Deirane ; au moins elle avait repris contact avec la réalité. Le prénom de la jeune femme lui revint soudain.

— Tea, allez chercher un eunuque, ordonna Deirane.

La domestique hésita, puis elle s’élança vers la salle des tempêtes. Si elle ne revint pas, Chenlow ne mit pas longtemps à arriver. Elle avait donc rempli son rôle à moins que ses cris eussent été entendus ailleurs que dans l’aile.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il. Ton envoyée était incohérente. Je n’ai pas compris.

Le ton était sec, sans chaleur. Et ce fut tout juste s’il accorda un regard à la concubine. Il ne lui avait pas pardonné la mort de Cali. Y parviendrait-il un jour ? Le cœur gros, Deirane s’effaça et l’invita à entrer.

Depuis que Deirane était arrivée au harem, Chenlow s’était toujours montré impassible. C’était la première fois, elle le voyait exprimer une émotion. Il se précipita et s’accroupit juste devant Dursun.

— Que s’est-il passé ? s’enquit-il.

— Elle a dû se blesser en tombant, répondit Deirane. Quand elles sont mouillées, ces dalles deviennent très glissantes.

Rapidement, Chenlow la palpa. Il semblait savoir ce qu’il faisait, Nëjya s’écarta et le laissa ausculter sa compagne. C’était la première fois que Deirane le voyait toucher une concubine. Quand il eut fini son examen, il se releva. Il eut du mal, alors qu’à l’arrivée de Deirane, quelques années plus tôt, il se montrait encore alerte.

— Elle n’a pas glissé. Elle a été battue.

Il s’adressa à l’un des eunuques qui l’accompagnaient.

— Rends-toi à l’infirmerie et rapporte une civière, ordonna-t-il.

Sans discuter, l’homme s’éloigna, presque en courant.

— Battue ! s’écria Nëjya quand Chenlow put lui accorder toute son attention, vous en êtes sûr ?

Chenlow s’accroupit à nouveau. Il montra l’hématome sur le genou.

— Ça, c’est une barre ou un bâton, expliqua-t-il. Et vu l’état de la rotule, en métal. Et ça, ce sont aussi des coups de bâton.

Il désigna successivement plusieurs autres marques sur le corps.

— Indépendamment, ces coups pourraient correspondre à une chute. Tous ensemble, c’est impossible. Et l’empreinte de chaussure dans le dos et sur la poitrine ou la trace de torsion sur le sein, il n’y a aucune chance.

— Assez ! s’écria Nëjya.

Chenlow interrompit ses explications.

— Assez, répéta-t-elle en sanglotant. Ce n’est pas d’un morceau de viande que nous parlons. C’est ma compagne, la femme que j’aime.

Malgré son âge, Chenlow réagit plus rapidement que Deirane. Il enlaça la Samborren et la serra contre lui. Nëjya laissa libre cours à ses larmes.

— Elle n’est pas encore morte, lui assura-t-il, nous allons la sauver.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Laurent Delépine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0