Chapitre 38 : Trahison - (1/2)

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Dinan fut conduite dans une petite salle vide de la caserne des gardes rouges où elle resta sous la surveillance de deux plantons. La pièce ne comportait que deux chaises et une table. La stoltzin s’installa sur l’une d’elles, dans une posture nonchalante, les jambes croisées, un bras par-dessus le dossier. Afin de patienter le temps que le roi arrivât, elle examina les lieux. Elle repéra immédiatement la demi-sphère noire fixée au plafond. Ainsi elle était observée. Quelque part dans ce palais, une sentinelle assise derrière un écran ne perdait pas le moindre de ses gestes. Comme elle s’y attendait, ils ne lui avaient pas donné de quoi se couvrir. Une personne normale en aurait été déstabilisée et les questeurs comptaient là-dessus lors des interrogatoires. Mais un tel artifice ne fonctionnait pas sur une Helariasen. Elle reporta son attention sur ses surveillants. Malgré ses pratiques, l’Orvbel était un endroit relativement civilisé. En tout cas, il voulait paraître ainsi. Les gardes n’étaient pas des monstres. Avec son physique d’adulte gardant encore un pied dans l’adolescence, sa beauté, sa tenue – ou plutôt, son absence de tenue – et avec une pointe de suggestion télépathique, elle pouvait les influencer. Marchant sur les traces de sa mère, elle avait négligé cet aspect de la magie au profit de sorts plus offensifs, elle n’avait pas les aptitudes de son père Wotan ou de sa tante Vespef dans le contrôle des esprits. Elle était quand même capable de leur instiller une dose de pitié qui les rendrait moins efficaces le cas échéant.

— Suis-je prisonnière ? demanda-t-elle.

— Nous ne nous permettrions pas de retenir la pentarque du royaume d’Helaria.

Dinan ne releva pas l’erreur du garde.

— Alors pourquoi suis-je enfermée ici ?

— Le Seigneur lumineux désire vous parler.

— Pourquoi ne pas attendre dans ma suite ? J’y serais plus confortablement installée.

— Jamais le Seigneur lumineux n’entrerait dans vos appartements sans invitation.

N’ayant aucune occupation, elle commença à leur instiller des sentiments positifs à son égard.

Si on tenait compte du fait qu’il avait été réveillé en pleine nuit et qu’il avait dû s’habiller, Brun se révéla étonnamment rapide à arriver. Il jeta un coup d’œil circulaire sur la salle d’interrogatoire.

— Pourquoi notre invitée a-t-elle été enfermée en un lieu aussi sordide ? demanda-t-il au surveillant. Ne pouviez-vous la conduire à mon bureau ?

— C’est la procédure, répondit stoïquement le planton.

Dinan n’était pas dupe. Elle avait souvent utilisé cette mise en scène. D’ailleurs, Brun n’insista pas ni ne s’énerva contre son subordonné.

— Nos hommes nous ont dit qu’ils vous ont trouvée dans les jardins du harem.

— Je voulais m’isoler un peu en profitant de la tranquillité de la nuit.

— Vos appartements comportent un jardin qui leur est réservé.

— Les plates-bandes et les massifs de fleurs sont magnifiques. En revanche, il est totalement dépourvu d’arbres. Et il n’est pas très grand.

— Suffisamment pour s’y allonger.

— Oui. Cependant, il est impossible de réellement s’y isoler. Là où vos eunuques m’ont réveillé, seule la nature m’entourait. Je ne voyais aucune construction.

— Nous comprenons, compatit-il, mais vous n’auriez jamais dû y aller seule. Vous nous auriez demandés, nous nous serions fait un plaisir de vous les montrer. Nos jardiniers en sont très fiers, ils regrettent que ces trésors soient cachés au plus grand nombre.

Dinan esquissa un sourire.

— Le but était de m’isoler, dit-elle, m’y promener en visite guidée, accompagnée d’une escorte ne me convenait pas.

La porte s’ouvrit et un soldat entra. Il portait sur son bras un manteau. Celui-ci, en lin, était décoré comme il seyait à un monarque tel que Brun avec des boutons de nacre, broderies au col et aux revers.

— Nous avons pensé que ceci pourrait vous permettre de préserver votre pudeur.

— Merci, dit-elle simplement.

Elle n’esquissa pas le moindre geste pour le prendre. Elle avait remarqué l’écusson brodé sur la poitrine, celui de l’Orvbel, témoignage de la propriété de Brun sur son porteur. Il n’était pas question qu’elle endossât une tenue la désignant comme une esclave.

— Vous nous posez un problème, continua Brun. Normalement, une personne ayant commis votre faute serait punie. Nous ne nous serions même pas déplacés, Chenlow s’en serait chargé.

— Vous m’en voyez honorée.

— Seulement, vous êtes fille de pentarque et ambassadrice. Il serait de mauvais goût de vous administrer une correction avant de vous renvoyer chez vous.

Brun minimisait l’importance de Dinan, la traitant comme une sale gosse indisciplinée. Pourtant, Dinan n’était pas dupe. Le bateau qui lui servait d’escorte transportait plus de soldats que ne pouvait en aligner l’Orvbel. Et cela ne représentait qu’une partie des forces totales de l’Helaria. Sans compter que Brun ignorait le niveau de ses capacités de combattante et sa maîtrise de la magie offensive. Il devait penser que si elle n’avait qu’une fraction du talent de sa mère, elle risquait d’être difficile à neutraliser. Brun ne pouvait rien faire contre elle, aussi bien physiquement que diplomatiquement, et cela l’enrageait.

— Le temps que vous preniez votre décision, je vais aller me reposer, annonça Dinan.

Elle se leva et se dirigea vers la porte.

— Où allez-vous ?

— Dans mes quartiers, rejoindre mes compatriotes.

— Nous n’avons pas fini de discuter, protesta-t-il. Même si vous jouissez d’un rang élevé, vous avez violé les lois de l’Orvbel, un État souverain…

Elle ne tint aucun compte de la remarque de Brun.

— Vous me trouverez dans ma chambre à attendre votre verdict, assena Dinan.

Elle quitta la pièce sans que personne n’osât l’arrêter. Le sergent lui adressa un regard plein de respect. Elle était désarmée et nue. Et pourtant, elle tenait tête à Brun avec assurance.

Une fois seul avec ses gardes, le roi se retint de lancer une remarque acerbe. Il congédia ses hommes d’un geste. Puis il s’assit, le temps de reprendre ses esprits.

Brun débarqua en trombe dans les appartements de Dayan. La porte était verrouillée de l’intérieur ; il n’eut qu’à présenter son bracelet devant la plaque de contrôle pour qu’elle s’ouvrît. À une heure aussi tardive, le ministre dormait. Cali était à moitié étendue sur lui, ses cheveux éparpillés sur la poitrine de son compagnon. Brun ne les avait vus qu’emprisonnés dans son chignon de danseuse. Il ignorait qu’ils étaient si longs.

Il secoua légèrement l’épaule du vieil homme. Dayan ouvrit les yeux.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il d’une voix endormie.

— Lève-toi, il faut qu’on parle, ordonna Brun.

Reconnaissant son souverain, le ministre obéit aussitôt. Il repoussa délicatement Cali. Ce faisant, il la réveilla. Quand elle aperçut Brun dans la chambre, elle se redressa rapidement dans le lit, puis elle remonta le drap sur son corps nu.

— Seigneur lumineux, commença-t-elle.

— Rendors-toi, l’interrompit Brun, c’est au Seigneur de la marche supérieure que je dois parler.

Il employait le titre du ministre au lieu de son nom. Voilà qui ne présageait rien de bon.

Dayan s’était déjà levé. Il avait pris un peignoir de soie pendu près du chevet. Une fois présentable, il suivit Brun dans la pièce d’à côté.

— Que se passe-t-il ? s’inquiéta Dayan.

— Les eunuques ont trouvé cette garce de serpent dans les jardins du harem ! s’écria Brun.

— La panarque ?

— L’autre, Dinan. La tueuse.

— C’est sa mère la tueuse.

— À mon avis, la fille vaut bien la mère. D’ailleurs, je commence à me demander si nous sommes bien en présence de la fille ou si c’est la mère qui se fait passer pour elle.

Dayan réfléchit un instant.

— Ça ne serait pas impossible, remarqua-t-il. Avant aujourd’hui, aucune des deux n’était venue chez nous. Si elles échangeaient leur rôle, nous ne nous en rendrions pas compte. Comment a-t-elle contourné les sécurités du harem ?

— C’était ton travail de la surveiller. Pour autant que je sache, elle peut voler ou traverser les murs.

— Les gardes rouges ne peuvent pas la surveiller partout. Les chambres ne sont pas équipées de caméras.

— Comment cela se fait-il ?

— Les Helariaseny connaissent la technologie des feythas. Ils les auraient découvertes, ce qui nous aurait mis dans une position difficile.

— Ce n’est pas faux. Mais comment une Helariasen peut-elle se promener dans mon harem sans que personne ne la remarque ?

— Qu’est-ce que j’en sais ? Si ça se trouve, elle peut se rendre invisible.

— Arrête de dire des inepties.

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