Chapitre 33 : L'Ambassade - (2/2)

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Ce fut quand l’envoyée helarieal s’accroupit devant elle qu’elle reprit contact avec la réalité. La distribution des présents avait commencé. Salomé et Lætitia avaient déjà reçu le leur. Elles arboraient maintenant une paire de boucles d’oreille en diamant noir pour la première et émeraude pour la seconde. Elle prit l’écrin que la femme lui tendait. Suivant le protocole que lui avait inculqué Orellide, Deirane la remercia d’une inclinaison du buste. Elle se demandait quelle couleur ils lui avaient choisie.

Si elle avait eu des doutes, ils étaient évaporés. Le cadeau était celui que Calen lui avait offert et qu’elle avait laissé derrière elle à la ferme de Dresil, quand elle avait été enlevée. Les doigts maladroits, elle attacha les deux perles à ses oreilles. Le drow qui l’avait tatouée ne s’était pas montré exhaustif dans son choix de pierre. C’était les paroles mêmes de la belle aveugle, que Saalyn lui avait fidèlement retransmises, lorsqu’elle avait acheté ce cadeau.

Une fois les présents remis, Dinan reprit sa place en face du monarque. Brun fit un geste de la main. Deux domestiques apportèrent un siège. La stoltzin s’assit. Deirane se demanda quel âge elle avait. Elle était encore apprentie. Elle n’avait certainement pas atteint la trentaine, ce qui chez un stoltz correspondait à la fin de l’adolescence et au début de l’âge adulte.

— Si nous en venions à notre affaire, reprit Brun.

— Je pense que mon panarque vous en parlera mieux que moi, répondit Dinan

— Ne pouvez-vous pas me donner quelques indications ? Une catastrophe qui touche le monde entier, ce n’est pas rien.

— Je ne connais pas les détails. La Bibliothèque a prévu une récolte insuffisante cette année, et que l’année prochaine il n’y en aurait pas du tout.

Brun se rencogna dans son trône.

— Voilà qui me paraît inquiétant. L’Helaria exporte de la nourriture et bientôt vous estimez ne pas pouvoir assurer vos propres besoins. Que vont devenir des nations comme la nôtre qui ne produisent pas assez ?

— C’est la raison de notre passage ici. En associant nos efforts, nous alimenterons nos deux populations. Nous aurons peut-être faim, mais nous aurons quand même à manger.

Brun hocha la tête. Il avait compris. Les deux pays connaîtraient le même destin. C’était collaborer ou mourir ensemble.

— Excusez-moi, intervint Deirane, comment un simple volcan peut-il provoquer une famine ?

— Ma future reine soulève un point intéressant, releva Brun.

L’envoyée helarieal dévisagea longuement la petite Yriani. Elle paraissait surprise. Pourtant elle ne posa pas de question. À la place, elle répondit.

— Je ne sais pas, je ne dispose pas de ces connaissances.

— Votre panarque les possède, la contredit Dayan.

— Et elle y pourvoira lorsque vous vous rencontrerez.

— Pourquoi pas maintenant ?

— Comment ?

— Vous portez une gemme, dit-il à Dinan. Vous avez donc hérité des capacités de vos parents, dont la télépathie. Je suis sûr qu’elle assiste à cette visite.

Par réflexe, la jeune stoltzin leva la main jusqu’au pendentif fixé à son cou.

— Elle ne se tient pas dans mon champ de vision.

— Est-ce utile ? Je croyais que c’était l’établissement d’une communication qui nécessitait de la voir. Si votre panarque n’est pas un sensitif, la maintenir demande une concentration de tous les instants ; elle se coupera dès que vous serez trop fatiguée ou que vous vous endormirez. Toutefois, c’est possible.

— Vous me surestimez, répondit-elle, ce n’est pas parce que je ressemble à ma mère que je dispose de ses capacités. Dans quelques douzaines d’années, certainement. Actuellement, je manque encore d’entraînement. En magie, je fais même le désespoir de mon père, ajouta-t-elle en souriant.

— Vous avez déjà beaucoup pris de votre mère, intervint Brun, on ne peut pas tout avoir.

— Elle possède tout, elle : la beauté, l’intelligence et la maîtrise de la magie.

— Je crois que vos parents n’ont commencé à lancer des sorts que fort tard. Vers cinq ou six cents ans.

— Vous avez raison. Seulement, à l’époque, les stoltzt n’étaient pas censés posséder des pouvoirs. Ils n’avaient aucun motif à s’y essayer. C’est le hasard qui leur a révélé ces capacités. À partir de là, tout s’est enchaîné très vite.

— Ne bénéficiant des conseils d’aucun professeur puisque les premiers de leur genre, ils ont dû tout découvrir par eux-mêmes, remarqua Dayan. Vous allez profiter de leur expérience.

— Ce n’est pas faux, ils ont dû cependant s’entraîner pendant des siècles. Je débute à peine. Toutefois, ce n’est pas le sujet de cette rencontre.

— Vous avez tout à fait raison, répondit Brun, et je m’en excuse. J’espère que nous trouverons l’occasion de reprendre cette discussion fort intéressante.

— Nous restons un douzain en Orvbel avant de continuer notre tournée. Nous aurons amplement le temps d’en parler.

— Je m’en fais d’avance une joie.

En les voyant bavarder ainsi, Deirane se dit que si Brun avait été souverain d’une autre contrée, il aurait pu devenir ami avec les pentarques. Du reste, les livres d’histoires que Dursun avait réussi à trouver à l’école affirmaient que Bruna, la première reine d’Orvbel, les fréquentait régulièrement, avant que son successeur s’engageât sur la voie de l’esclavage.

Perdue dans ses pensées, elle fut surprise quand Brun la prit à témoin. Elle n’avait pas suivi la conversation.

— Et d’ailleurs, Serlen ici présente pourra en attester, disait-il.

Intriguée, elle leva les yeux vers lui.

— Nous allons vous laisser vous installer dans les appartements que nous vous avons préparés. Et ce soir, je vous invite au bal organisé en l’honneur du panarque. Si ce genre de divertissement lui agrée.

La stoltzin lâcha un petit rire.

— La connaissant, le plus dur sera de l’arracher à ces festivités.

— Elles commenceront au huitième monsihon et demi.

L’ambassadrice recula de trois pas, toujours en restant face au monarque, s’inclina une dernière fois, puis se retourna. Son escorte se disposa autour d’elle d’une façon qui semblait si naturelle qu’on aurait presque dit une chorégraphie. Malgré lui, Dayan ne put s’empêcher de les admirer.

Le sourire que Brun avait affiché pendant toute l’entrevue avait disparu, laissant place à son habituelle expression impassible.

— Que penses-tu de cette rencontre ? demanda-t-il.

— Nous avons bien fait de les accueillir. Si cette catastrophe effraye même les Helariaseny, je préfère disposer d’un maximum d’informations sur elle.

— Pourquoi crois-tu qu’ils sont effrayés ?

— La passation du pouvoir des pentarques au panarque n’est pas le résultat d’un coup d’État. Les pentarques ne laissent leur poste que s’ils s’estiment incompétents ou insuffisants pour régler le problème. Bref, quand le cas est grave.

— Tous les ans, quand ils prennent des vacances, ils nomment un panarque, fit remarquer Brun.

— Ce n’est qu’un intérimaire. Celui que nous recevons aujourd’hui n’en est pas un, il dispose des pleins pouvoirs.

Deirane écoutait attentivement les deux hommes forts du pays discuter. Bien qu’elle eût été incapable de fournir à Brun les informations sur les panarques qu’il lui avait demandées, il avait malgré tout réussi à les obtenir. Savoir qu’il existait des dirigeants susceptibles de laisser leur siège à une personne plus compétente qu’eux si nécessaire l’intriguait. Un humain se serait accroché à son pouvoir envers et contre tout.

De l’avis de Deirane, les paroles de l’ambassadrice confirmaient les prévisions catastrophiques que lui avait envoyées Matak par l’intermédiaire de ses rêves. Elle allait le faire remarquer à Brun. Leurs regards se croisèrent, l’incitant à se taire. Le roi se leva.

— Continuons cette discussion dans un endroit discret, suggéra-t-il.

— Excellente idée, approuva Dayan.

L’endroit discret ne se trouvait pas loin. Le bureau de Brun communiquait avec la salle du trône par une simple porte. Les deux maîtres du pays l’empruntèrent, abandonnant les concubines à la surveillance des eunuques qui finissaient de faire sortir la cour.

Deirane était surprise qu’on ne la reconduisît pas dans le harem. En levant les yeux, elle comprit. À l’étage, elles n’étaient séparées de la galerie de marbre que par une rambarde. Les spectateurs s’y agglutinaient, curieux. Brun laissait admirer ses trésors à son peuple.

— Il nous exhibe, confirma Lætitia juste à côté d’elle.

— N’est-ce pas un peu humiliant ?

— Ça ? Non. Je suis sûre que derrière la porte la foule se presse en masse dans l’espoir de nous toucher quand on réintégrera le harem.

Deirane frissonna.

— Je ne sais pas si je le supporterai.

— Tu as bien supporté les caresses de Brun. Et un peu plus même. Là, la plupart de ces hommes et ces femmes sont des esclaves. Ce sera la chose la plus folle que certains d’entre eux auront l’occasion de réaliser dans leur vie. Le mieux que tu peux leur offrir est d’ignorer leurs attouchements.

— Comment peux-tu dire ça ? Je suis habillée grâce à mon statut de mère de l’héritier, alors que toi tu es quasiment nue. Tu n’as pas peur qu’ils en profitent ?

— Ne t’inquiète pas pour moi. Je vais même faire en sorte qu’ils en profitent un maximum.

— Et s’ils abusaient de toi ?

— Quelle différence avec Brun ? Toute notre vie ne représente qu’une succession de viol.

Elle se tint silencieuse un instant.

— Ça m’aide à supporter tout cela. Je deviendrais folle si seul lui posait les mains sur moi.

Deirane était d’accord, ses relations avec Brun n’avaient rien d’amoureuses. Que Lætitia éprouvât la même chose était une vraie surprise. Elle croyait que la belle esclave appréciait la vie au harem. La jeune femme ne parvenait pas à décider si elle devait trouver cela effrayant ou rassurant.

Pendant toute cette discussion, Salomé n’avait pas parlé. Sa présence ne pouvait qu’étonner Deirane. Elle était superbe certes, mais elle commençait à afficher les stigmates dus à l’âge. On aurait dit qu’elle ne constituait qu’un choix par défaut, que Brun, ne sachant par qui remplacer Mericia, avait pris la première qui s’était présentée. Deirane connaissait mal Salomé. Il était vrai qu’elle n’avait que rarement l’occasion de fréquenter la lieutenante de sa concurrente. Or maintenant, elle en disposait en exclusivité pendant un long moment. C’était la chance de se lier.

— Salomé, je peux te poser une question ? demanda-t-elle.

La jeune femme, surprise d’être ainsi interrogée, ne réagit pas de suite.

— Bien sûr, répondit-elle finalement.

Dans ces quelques mots, elle avait réussi à bafouiller.

— Comment es-tu devenue la lieutenante de Mericia ?

Salomé tourna ses yeux gris sur Deirane.

— Pourquoi t’intéresses-tu à moi, tout d’un coup ? Tu ne l’as jamais fait.

— Faire connaissance.

— Comme ça ? Subitement.

La méfiance de Mericia avait de toute évidence déteint sur la protégée. Deirane renonça temporairement à continuer à parler avec Salomé. Elle défendait sa cheffe. Deirane devrait progresser prudemment, de préférence après avoir pris conseil auprès de Dursun. Sur l’instant, elle se contenta d’imiter ses compagnes en s’étirant dans le but de se montrer à la foule qui se pressait sur le balcon de la salle du trône.

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