Chapitre 30 : L'Antre de Matak - (1/2)

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La vie dans le harem retomba dans sa routine quotidienne. Ni Matak ni Larein ne se manifestèrent. Même Brun avait cessé de convoquer Deirane, certainement pour ne pas risquer de mettre en danger la survie de son héritier.

Les jours de repos, ceux où les cours n’avaient pas lieu, Deirane aimait paresser au lit le matin. Les journées étaient longues. On sentait que les humains n’étaient pas adaptés à ce monde. Ainsi qu’Ard l’avait suggéré, ils venaient certainement d’un endroit au rythme circadien plus rapide. Ce matin-là, Loumäi était allée comme d’habitude chercher le petit déjeuner, premier des quatre repas de la journée. Puis elle s’était installée dans le lit à côté de la jeune femme et mangeait avec elle. Autrefois, ses amies les rejoignaient. Depuis, les choses avaient changé. Dursun et Nëjya en profitaient pour se donner un peu d’intimité et les fillettes s’échappaient s’amuser dans le jardin à la moindre occasion. Elles étaient les seules enfants dans le harem. Toutes les concubines les accueillaient avec bienveillance. Avec le temps, elles avaient appris à reconnaître celles qui leur étaient hostiles. Il restait Naim. Deirane estimait que la guerrière avait dû occuper sa nuit entre les bras d’un bel eunuque. Et même s’il arrivait encore que son lit devînt le rendez-vous de toute sa bande, c’était devenu plus rare.

Ces moments d’intimité qu’elle partageait avec Loumäi lui avaient permis de bien connaître la domestique. Très farouche, elle se livrait difficilement. Pourtant Deirane avait su gagner sa confiance. Avec le temps, Deirane avait appris à interpréter ses non-dits. Aussi, elle remarqua rapidement que la Salirianer était agitée. Elle essaya de se tourner vers elle. Son ventre l’en dissuada. Elle resta sur le dos.

— Quelque chose ne va pas ? commença-t-elle.

Loumäi avait noté la gêne de Deirane. Elle l’aida à se redresser et glissa quelques coussins derrière elle, avant de répondre.

— Le monstre est toujours là, annonça-t-elle enfin.

— Ce n’est pas possible ! Le bouclier des feythas nous protège depuis des mois.

— Et s’il ne marchait plus ?

— Va dehors et regarde. On voit les poussières qui provoquent des petits éclairs en le percutant.

— Matak nous a révélé que c’est un dieu.

Deirane avait reporté la rencontre à Loumäi qui avait bien pris la chose. Et la domestique avait raison. Calugarita – le nom avait été trouvé par Dursun puisque Matak ne l’avait pas révelé – était un dieu, Matak l’avait dit en effet. Un dieu bien faible, obligé de se nourrir en chassant et qu’une bande de soldats mettait en fuite. Mais un dieu quand même. Pouvait-il accomplir des actes impossibles à un animal normal ? Était-il seulement contraint par les lois de la physique ?

— Tout divin qu’il soit, il ne peut pas passer la barrière. Et puis, nous honorons le Patriarche et la Mère. Ils nous protègent et ils sont puissants puisque leurs fidèles se comptent par centaines de milliers.

— Pourtant des domestiques continuent à disparaître.

Tiens ! Ça, c’était nouveau. Deirane tenta de se redresser davantage. En vain.

— Comment ça, des domestiques disparaissent ?

— Il y a seize jours, Menjira n’est pas venue travailler. Et hier, c’était Niélé. On ne sait pas où elles sont.

— Et leur bracelet ?

— Retrouvés dans les souterrains du palais.

Donc à l’endroit où des corps avaient été découverts quelques mois auparavant. Deirane avait estimé qu’ils étaient morts depuis longtemps. Était-ce vraiment le cas ? Les squelettes trouvés dans la forêt semblaient eux-mêmes anciens, tant ils avaient étaient décapés. Pourtant quelques jours plus tôt ils vivaient encore. Deirane tenta de la rassurer.

— Matak nous a affirmé que Calugarita ne pouvait pas entrer dans le palais.

— Matak n’est pas très puissant non plus, fit remarquer Loumäi. Il n’est respecté qu’en Orvbel et uniquement par les citoyens. Les esclaves vénèrent leurs propres divinités.

Elle avait raison. Si on en jugeait par le nombre de ses fidèles, Matak était un bien piètre dieu. D’ailleurs, lui-même se cachait dans les profondeurs de la cité.

— Nous devrions lui rendre une visite, décida soudain Deirane, il nous dira ce qui se passe.

Sa décision prise, elle se leva. Sa grossesse, proche du terme maintenant, rendit l’opération laborieuse. Sa domestique vint à son secours et l’aida à s’habiller. Comme elle devrait se déplacer dans les souterrains, elle enfila un pantalon et des ballerines souples. En revanche, elle laissa tomber ses justaucorps qu’elle avait l’habitude d’employer dans ce genre d’expédition. Elle préféra mettre une tunique lâche. Après tout, le trajet était long jusqu’au repère du dieu, mais pas difficile.

Aller chercher Dursun se révéla plus complexe que prévu. Comme elle s’y attendait, l’adolescente était en train de prendre du plaisir entre les bras de Nëjya. Elle ne remarqua pas l’arrivée de la petite concubine. Elle hésitait à ressortir. Si elle le faisait, les deux amantes risquaient de consacrer toute la matinée à leur activité. Rester à les voir s’échanger des caresses la mettait mal à l’aise. Elle savait que ce n’était pas réciproque. Dursun éprouvait des sentiments peu fraternels à l’égard de son aînée. Et savoir que la jeune femme la regardait allait l’exciter davantage.

Ce n’était pas du tout pareil avec Loumäi. Quand Dursun prit conscience de la présence de la femme de chambre, elle s’écarta brusquement de Nëjya et se recouvrit d’un drap.

— Qu’est-ce que vous faites là ? s’écria-t-elle.

— J’ai frappé, tu ne répondais pas.

L’Aclanli lui renvoya un sourire amusé. Elle avait souvent invoqué cette excuse dans le but d’épier Deirane, parfois avec succès, dans son intimité.

— J’étais occupée, dit-elle.

Originaire du Shacand, un continent à cheval sur l’équateur, Dursun avait grandi presque nue. Ce n’était pas la pudeur qui l’avait incitée à se cacher, plutôt le fait d’être surprise en pleins ébats. Elle repoussa les draps et se redressa dans le lit. Nëjya se contenta de s’appuyer sur un coude.

— Si tu m’expliquais pourquoi tu es là, s’enquit l’adolescente.

En quelques mots, Deirane lui raconta tout.

— Je viens avec toi, déclara-t-elle brusquement. Nëjya ?

— Je reste ici, répondit-elle. Ne tarde pas trop. Je pourrais bien essayer de vérifier si Loumäi se révèle aussi imperméable aux charmes féminins que cela.

— On se dépêche, promit Deirane.

Dursun ne releva pas la pique, pas plus que Loumäi qui avait fini à la longue par s’habituer aux plaisanteries des concubines. Elle enfila une tenue similaire à celle de son amie. Les deux jeunes femmes se mirent en route.

Le trajet jusqu’au repaire du dieu ne présenta aucun problème. Une solide barre de bois avait été cachée dans la salle pour déplacer la dalle qui donnait accès au souterrain. Cette dernière, maintenant qu’elle avait été descellée, s’avéra très facile à retirer. Le ventre de Deirane la gêna un peu pendant la descente de l’échelle, moins cependant qu’elle ne l’avait craint. Une fois dans les égouts, elles n’eurent qu’à marcher jusqu’à leur destination.

Deirane ressentit de l’inquiétude pendant le trajet. Si calugarita fréquentait ces souterrains, elles risquaient de tomber sur lui. Elle espérait que Matak était capable de protéger ses émissaires dans son domaine. Les deux femmes atteignirent la salle où Matak les avait accueillies la première fois en quelques calsihons. La porte métallique qui donnait sur ses appartements était fermée.

— Et maintenant ? demanda Dursun.

— C’est un dieu, il doit avoir remarqué notre présence.

En attendant, Deirane tourna dans la pièce. Elle s’arrêta devant le bassin. Il était plein. Une eau tellement sale qu’elle en était opaque. On ne voyait pas le fond. On devinait des débris qui surnageaient sous la surface. Et il en émanait comme une faible odeur de pourriture. Elle éprouva un haut-le-cœur qui la poussa à s’écarter.

— Notre seigneur sombre n’est pas un modèle d’hygiène, constata-t-elle.

Elle s’aperçut alors que Dursun s’était éloignée. Elle la trouva en train d’examiner une petite porte taillée dans la grande. Elle s’ouvrit sans résistance.

— Viens, s’écria-t-elle. Elle n’est pas verrouillée.

Deirane rejoignit son amie.

— Tu crois qu’on peut entrer ? demanda-t-elle.

— Si c’était interdit, il l’aurait fermée, répliqua Dursun.

La jeune fille pénétra sans plus de cérémonie dans le domaine de Matak. Avec une légère appréhension, Deirane s’engagea à sa suite.

Les exploratrices s’attendaient à découvrir un lieu extraordinaire. Elles furent déçues. Elles ne voyaient devant elle qu’un couloir, dont une partie était masquée par un coude.

— C’est vide, fit remarquer Deirane.

— Apparemment, Matak est en vadrouille.

Dursun s’approcha d’une porte et tenta de l’ouvrir. En vain. Elle essaya sur deux autres avec le même résultat.

— C’est fermé ? demanda la concubine.

Dursun hocha la tête puis la pencha sur le côté.

— C’est bizarre, s’étonna-t-elle.

— Quoi ? Qu’il verrouille derrière lui ? À part le fait que Matak protège son domaine en utilisant des techniques bien triviales, je ne remarque rien d’étrange. J’aurai bien vu des murs magiques au lieu de banales portes en bois.

— Regarde attentivement ces portes.

Deirane leur jeta un coup d’œil. Elle ne constatait rien de particulier.

— Elles sont normales ces portes.

— Justement. Elles sont normales. Et Matak est grand. Il mesure plusieurs perches de haut.

Maintenant que Dursun le lui avait fait remarquer, elle s’en voulait de ne pas s’en être rendu compte toute seule. Aussi bien en hauteur qu’en largeur, Matak ne pouvait pas passer par ces ouvertures.

— C’est un dieu, suggéra Deirane, il n’a peut-être pas besoin de porte.

— Peut-être.

Dursun se pencha et regarda par l’orifice de quelques doigts découpé en bas de chaque battant tel une chatière. Elle ne vit rien, l’intérieur était trop sombre. Elle continua alors ses explorations jusqu’au coude du couloir. Il débouchait dans une grande pièce équipée de tables et de chaises. Un réfectoire. La salle était aussi vide que le reste du complexe. Et une fois de plus, tout était bâti à taille humaine. De toute évidence, cet endroit n’était initialement pas destiné à Matak.

— Je crois que j’ai deviné où nous nous trouvons, annonça Dursun.

Sans attendre la réponse de son amie, elle enchaîna.

— Nous sommes dans le bunker construit sous la ville. Il servait à surveiller l’Helaria. Les conquérants ne l’avaient jamais trouvé. Maintenant, on sait pourquoi. Il ne se situe pas dans le palais.

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