Chapitre 22 : Le Monstre - (2/2)

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Un violent bruit de chute leur parvint. Le monstre cherchait à les rejoindre en détruisant la toiture. Le cercle de soldat se resserra. Ils restaient fermes malgré la terreur qui se lisait sur leur visage. Ils avaient été formés contre des menaces d’origine humaine, pas contre des monstres sortis d’on ne savait quelle légende.

Le vacarme changea de nature. Il s’attaquait maintenant au plafond du deuxième étage. Des solives maintenues par du plâtre et soutenues par des poutres. Il ne résisterait pas longtemps. En effet, un grand bruit d’effondrement suivi d’un nuage de poussière en provenance de l’escalier ne tarda pas à les atteindre. Le monstre se tenait au-dessus d’eux.

— À la cave ! tous ! ordonna Gelen.

Les soldats reculèrent en direction du sous-sol. Deux d’entre eux amenèrent les chevaux qui ne se firent pas prier. De toute évidence, le tunnel noir qui s’enfonçait dans les profondeurs les effrayait moins que ce qui arrivait par le haut. Par acquit de conscience, le dernier ferma la porte derrière lui. Même si cela n’allait leur donner qu’un faible répit, c’était déjà ça de pris.

Le plafond de la salle où ils se trouvaient à peine un instant plus tôt s’effondra à son tour. La mante avait maintenant totalement envahi la maison. On l’entendait se ménager de la place en dégageant les meubles et les gravats.

— Le monstre est plus gros que la pièce, fit remarquer le lieutenant. Comment y tient-il ?

— Il doit replier les pattes, répondit Gelen.

— Alors il est gêné dans ses mouvements. Il est vulnérable. On pourrait l’attaquer.

— Nous n’aurions aucune chance, la magie joue un rôle dans son existence.

— Pourquoi ?

— Ses pattes sont trop fines, elles devraient se briser sous son poids.

— Toutes proportions gardées, je les trouve de la même taille que celles des mantes religieuses que je vois tous les jours.

— Elles ne devraient pas l’être. Plus un animal est gros, plus elles sont épaisses.

Un coup violent contre la porte interrompit leur discussion.

— Reculez tous, ordonna le capitaine.

Tous les soldats descendirent en bas de l’escalier, rejoignant leurs protégées dans le couloir central de la cave. Les deux femmes, terrorisées, s’étaient blotties l’une contre l’autre.

— Est-on en sécurité ici ? demanda Deirane.

— Le corps de cette bête est trop massif, il ne passera pas par ce couloir. Peut-être qu’il réussira à engager sa tête, ce qui est insuffisant pour nous atteindre.

Cet état des lieux la rassura. Elle tenta de s’écarter de sa compagne. Celle-ci la rattrapa et s’accrocha à elle.

— Votre amie a un problème ? se soucia le capitaine.

— Je crois qu’elle souffre d’entomophobie, expliqua-t-elle. Ma sœur était pareille. Un petit insecte la faisait hurler. Alors, imaginez un aussi gros que celui qui se trouve dehors.

— Qu’elle ne s’inquiète plus. Ces murs de pierres entourés de terre sont trop solides. Ce monstre, malgré sa taille, ne pourra pas les détruire.

Ce constat sembla rassurer Mericia qui retrouva un peu de sa morgue habituelle. En revanche, Deirane n’était pas convaincue. Quelque chose clochait dans le raisonnement de l’officier, seulement elle ne trouvait pas quoi.

— Comment allons-nous sortir d’ici ?

— C’est le point faible de mon plan, répondit-il. Mais j’y travaille.

Sortir, voilà ce qui ne collait pas.

— Où sont passés tous les gens ? s’étonna Deirane.

— Ils se sont enfuis ou ce monstre les a tués, supposa le lieutenant.

— Pourquoi n’y en a-t-il pas un qui s’est réfugié ici s’ils y étaient en sécurité ? Après tout, il y a tout pour vivre longtemps. Les paniers regorgent de fruits et de légumes, on trouve de la viande séchée. Il y a de quoi tenir pendant plusieurs douzains autour de nous. Le temps d’attendre les secours. Alors pourquoi n’y a-t-il personne ?

Gelen examina le couloir d’un bout à l’autre.

— Il n’y a pas d’eau dans les réserves.

— Non, en revanche on y trouve du vin, répondit son lieutenant.

Deirane avait raison, les denrées entreposées dans cette cave auraient permis de nourrir la garnison entière pendant toute une saison. Un groupe de réfugiés aurait pu y habiter. Et la présence de latrines dans ce lieu renfermé indiquait clairement que des gens y avaient vécu. Et pourquoi, si ce n’était pour échapper à cette horreur !

— Soit ce monstre peut nous atteindre ici, soit il y a une autre sortie, en déduisit-il. Cherchez ! Fouillez toutes les cellules !

— Mon capitaine, nous l’avons déjà fait, fit remarquer le sergent.

— Eh bien, recommencez !

Les soldats se répartirent les pièces. Il y en avait beaucoup, mais moins que de personnes présentes dans la cave. Quelques-uns se regroupèrent autour de leur chef à surveiller l’arrivée du monstre. À cause du coude que faisait l’escalier, ils ne voyaient pas la porte. Mais ils l’entendaient l’ébranler. Il ne tarderait pas à la dégonder.

Deirane était incapable de rester à ne rien faire. Il fallait qu’elle s’occupât l’esprit si elle ne voulait pas que la panique la rendît folle. Elle participa aux recherches. Mericia lui emboîta le pas. Si elle était toujours terrifiée malgré son air hautain, elle s’était suffisamment calmée pour recommencer à jouer son rôle.

Deirane entra dans la cellule la plus éloignée de la porte. Elle se retrouva dans un noir profond, un détail qu’elle avait oublié. Heureusement, Mericia y avait pensé. Elle avait pris une torche inutilisée qu’elle avait allumée à l’une de celles qui les éclairaient.

La pièce contenait les fameuses réserves de vin. Les deux femmes examinèrent attentivement les deux murs libres. Elles ne virent aucun indice leur faisant soupçonner la présence d’un passage. Les pierres paraissaient bien jointives, les interstices bouchés par du ciment. Rien n’indiquait qu’elles pouvaient bouger.

Mericia se tourna vers les tonneaux.

— On demande aux hommes de les déplacer ? suggéra-t-elle.

— À quoi bon ? La sortie n’est pas derrière. Comment auraient-ils remis en place tous ces fûts après leur départ ?

Par acquit de conscience, Mericia vérifia que l’un d’eux n’abritait pas le passage en les tapotant. Ils s’avérèrent tous pleins.

Une petite voix qu’elle n’avait pas entendue depuis quelques jours surgit alors dans son esprit.

« Le couloir, au fond. »

Un moment, elle resta sans rien dire. Au début, elle croyait qu’il s’agissait de rêves, maintenant, elle savait que ce n’était pas le cas.

— Viens avec moi, enjoignit-elle à Mericia.

Les deux femmes ressortirent dans le couloir. Suivant les conseils de son assistant mystérieux, elle examina le mur du fond. À la lumière de la torche, elle ne tarda pas à voir ce qui clochait. Des joints manquaient entre certaines pierres. Et si on les reliait tous, on obtenait un encadrement suffisamment large et haut pour laisser passer une personne. Deirane pourrait l’utiliser sans se baisser.

Elle suivit le contour irrégulier du bout des doigts.

— J’ai trouvé quelque chose, annonça-t-elle.

— Une porte ? suggéra Mericia.

La jeune femme ferma les yeux. Elle se concentra afin de formuler une pensée bien nette.

« Je peux avoir de l’aide ? »

La réponse ne se fit pas attendre. Elle se montra même d’une extrême précision.

« Depuis le coin gauche du mur, cinq pierres vers le haut et trois vers la droite. »

La jeune femme éprouva un moment d’exultation. Ça avait marché. La voix qu’elle entendait dans sa tête était bien réelle puisqu’elle répondait. Dursun avait raison dès le début. Elle communiquait avec un télépathe.

Deirane s’accroupit et compta les moellons comme le lui avait indiqué son mystérieux assistant. Celle qu’elle avait sous la main ne différait en rien des autres par son aspect. Mais au toucher, elle ne ressemblait pas à de la pierre. On aurait dit ce matériau léger et imputrescible que les feythas avaient utilisé partout. Quand elle appuya dessus, elle entendit un déclic, mais rien ne se passa.

— Alors ? demanda Mericia.

— Je ne sais pas, ça ne s’enfonce pas plus.

— Laisse-moi essayer.

Deirane se releva. Ce faisant, elle lâcha la pierre qui s’ouvrit. La partie avant n’était qu’un capot qui cachait un mécanisme. Il bascula révélant un simple bouton-poussoir.

— Les feythas sont passés par là, constata Mericia.

— S’ils ont équipé le palais de protection, il n’est pas invraisemblable qu’il existe d’autres endroits similaires dans le royaume.

— Et maintenant ?

— On appuie.

Mericia hocha la tête.

Deirane enfonça le bouton. Il ne se produisit rien d’impressionnant. Juste un simple frottement suivi de la porte qui bougea sensiblement. Quand Mericia la poussa, elle s’ouvrit.

— Ce n’est pas spectaculaire, remarqua-t-elle, pourtant les feythas avaient le sens du grandiose.

— Ils ont dû prévoir que les systèmes qui actionnent cette porte seraient un jour épuisés.

Gelen les rejoignit.

— Vous avez trouvé ? Bravo !

Il jeta un coup d’œil dans le tunnel noir. On ne voyait guère plus loin que quelques perches. Brandissant une torche, il éclaira l’intérieur. Le passage était construit dans cette maçonnerie lisse qui caractérisait les créations des anciens tyrans. Une volée de marche lui permettait de descendre d’un niveau avant de reprendre un cheminement horizontal, certainement pour l’écarter de la surface. Au plafond, il remarqua ces longs tubes qu’ils utilisaient comme source de lumière dans les zones de services, mais sur le moment ils étaient éteints. Cela faisait soixante ans qu’ils ne fonctionnaient plus, il était inutile de chercher à les rallumer. Aucun courant d’air n’indiquait une sortie proche.

Les soldats s’étaient tous rassemblés autour de la porte, malgré l’étroitesse du couloir.

— Les chevaux devant, ordonna le capitaine. Nous suivons juste derrière et les femmes ferment la marche. Sergent, vous vous assurez qu’on ne les perde pas.

— Pourquoi les chevaux en premier ? demanda quelqu’un.

— Si le monstre nous attend à la sortie, je préfère qu’il s’empare de l’un d’eux plutôt que de l’un de nous.

— Ne devrait-on pas emporter de quoi manger ? suggéra Mericia.

— Excellente idée. Allez nous prendre une nourriture riche qu’on peut consommer sans la cuire. Du jambon et des fruits par exemple pendant qu’on s’occupe du départ.

Les soldats avaient commencé à harnacher les chevaux qui, comprenant qu’ils allaient quitter cet endroit cauchemardesque, se laissèrent faire docilement. La perspective de s’éloigner de ce monstre avait rendu toute son énergie à Mericia. Les deux femmes visitèrent les différentes cellules rassemblant la nourriture demandée en un tas au centre du couloir. Elles répartirent les fruits et les saucissons dans les sacoches. Mericia récupéra toutes les gourdes. La cave ne stockait aucune réserve d’eau, à la place, elle les remplit de vin. Deirane en prit la moitié et entreprit de revenir vers les chevaux.

Soudain, Mericia poussa un hurlement. Deirane se retourna. Devant l’horreur de sa vision, elle lâcha son chargement. Un tentacule verdâtre descendait de l’escalier de la maison et s’était enroulé autour de la concubine, l’entraînant à sa suite. Deirane, paralysée par la terreur, regarda la jeune femme disparaître au coin du passage.

— Attention ! hurla le sergent.

Il se précipita vers elle. Trop tard. Un autre appendice s’était emparé de Deirane et l’emportait à son tour.

— On se lance à leur poursuite, ordonna le capitaine.

— On a une chance ? demanda le lieutenant Anders.

— Comptes-tu expliquer toi-même au Seigneur lumineux pourquoi tu vis toujours alors que ses concubines sont mortes ?

— On ne pouvait pas prévoir, les insectes ne possèdent pas de tentacules.

Sa réplique manquait de conviction. Il savait très bien ce qui l’attendait s’il annonçait une telle chose à son roi. Il valait mieux périr proprement au combat que sous les dents des fauves de l’arène. Il s’élança à la suite de son supérieur, suivi par une grande partie des hommes de l’escouade.

La mante était toujours dans le fort. Dans cet espace étroit, sa taille la gênait. Les murs étaient trop massifs pour qu’elle les défonçât. Les gardes rouges la rattrapèrent avant qu’elle ait réussi à sortir. Son sabre en avant, Gelen fonça sur le monstre. Il abattit son arme sur une patte. La lame entailla la solide carapace sans la trancher. Ses compagnons firent de même sur les autres membres. L’énorme tête se tourna vers eux et observa ces insignifiants adversaires. Il planta ses pattes ravisseuses, aiguisées comme des poignards, dans le corps du plus proche et le souleva dans un hurlement de souffrance. Puis il le projeta en l’air. La victime alla s’écraser contre un mur avant de retomber. Silencieux.

— Par l’arrière, ordonna Gelen, il est trop gros pour se retourner.

Il donna un autre coup d’épée dans l’entaille, l’élargissant davantage. Détendant sa patte, l’insecte le rejeta en arrière. Un meuble amortit sa chute. Son dos lui faisait mal. Il dut s’aider de sa lame pour se relever. Il regarda sa cible que ses hommes houspillaient. Sans succès. Deux d’entre eux déjà étaient à terre. À sa grande horreur, la trace bleue qui barrait le membre se referma. La bête se régénérait plus vite qu’ils n’arrivaient à la blesser. Sa magie était puissante. Il devait trouver autre chose.

Il retourna dans le combat. Il ne retenta pas la même tactique, il se glissa sous le corps monstrueux et s’attaqua à l’abdomen. Le coup porté d’estoc s’enfonça dans la chair tendre. L’animal poussa un cri strident. Il replia la patte sous lui. La griffe qui la terminait s’allongea et se durcit. Puis elle se détendit. La pointe se planta dans le ventre du capitaine.

Gelen hoqueta. Il essaya une deuxième attaque. Dépourvue de force, elle entailla à peine la carapace. Un deuxième membre transperça l’officier. Il tomba à genoux. Son sabre lui échappa des doigts. Anders tenta de se porter à son secours. Il dut esquiver deux coups. Quand les pattes se dégagèrent, Gelen s’effondra. Il resta immobile. Un autre garde succomba, le corps déchiqueté.

— On se replie, ordonna le lieutenant Anders. Sinon on va tous y passer.

Les survivants se regroupèrent autour de leur nouveau supérieur. Ils se réfugièrent dans la cave. La mante, libérée de ses assaillants, entreprit d’escalader les murs.

Une fois que le monstre eut disparu, Anders ressortit.

— Que fait-on ? demanda un soldat.

— Notre mission n’a pas changé. On la suit. Et à la première occasion de récupérer les concubines, on en profite. Deux hommes, surveillez les chevaux, les autres avec moi !

Il jeta un coup d’œil vers le cadavre de Gelen.

— Et occupez-vous des nôtres. Aucun n’a hésité à accomplir son devoir. Ils ne méritent pas que nous les abandonnions aux charognards.

Anders récupéra la plaque en bois gravé qui symbolisait sa charge et donnait l’identité du garde. Il la rangea dans sa poche. Peut-être cet homme avait-il une famille qui aimerait savoir dans quelles circonstances il avait perdu la vie. Il lui aurait bien offert la sépulture que son courage lui accordait. Mais il avait une mission plus urgente qui l’appelait.

Escaladant les débris des étages supérieurs qui encombraient le passage, les sauveteurs atteignirent la porte et se lancèrent à la poursuite du monstre, guidés par les cris de plus en plus lointains de ses deux pauvres proies.

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