Chapitre 21. La célébration

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Je débarque à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem avec une bonne heure d’avance. L’estomac noué. Pas parce que j’ai peur de l’avion, ou peur d’être en retard, mais simplement parce que Kata a insisté pour n’être informée du dossier qu’une fois montée dans l’avion, « pour gagner du temps », avait-elle précisé. Je n’ai donc pas le droit à l’erreur. Avec quelques heures de vol à peine, et pas d’internet à bord pour mettre en œuvre les corrections que ma cheffe trouvera nécessaire - et il y en aura – c’est presque « mission impossible ». Le dossier est bien ficelé. La proposition européenne portant sur le méga-fonds pour la transition énergétique, produit de mes quelques mois de travail acharné au ministère, a été relue et approuvée par plusieurs collègues, notamment ceux du tout-puissant service budget et de la cellule juridique. Je suis donc plutôt confiant... Et, une chose est certaine : je maîtrise le sujet sur le bout des doigts, je suis amplement capable de le défendre. Mais Kata a la dent dure, et sa réputation en matière de rigueur et d’exigence intellectuelle n’est plus à faire. Elle saura trouver la faille, qui, imperceptible, contre-intuitive, a certainement pu échapper à ceux dont l’œil est moins aguerri que celui de l’inflexible finlandaise. Mais, expérimentée et finalement plutôt constructive, cette dernière devrait également être capable, si tout se passe bien, d’apporter une solution de dernière minute, et nous permettre de nous présenter au siège des Nations Unies de Montevideo avec un argumentaire irréfutable. Du moins, c’est l’objectif. Croisons les doigts...

Avant de passer la sécurité, je jette un coup d’œil à mon téléphone. J’ai un message de Luiz :

« Bon vol Loïc, je t’embrasse ! ».

Je le lis avec un tendre sourire aux lèvres, et une sensation de chaleur dans la poitrine. Puis passe la sécurité sans même y réfléchir.

Je me dirige ensuite vers la porte d’embarquement, où je retrouve Kata, qui, c’est à peine croyable, est encore plus en avance que moi. Plongée dans ses mails, elle lève à peine les yeux pour me saluer, et me fait faux bond à la première occasion « pour prendre un appel urgent ». Profitant de la parenthèse dorée que lui offre l’absence de Kata, Ewelina vient alors me rejoindre en douce. Elle a plusieurs gobelets de cafés à la main, et cherche notre cheffe du regard, l’air légèrement paniqué.

- Tout va bien, Ewelina ? demandé-je, inquiet pour la belle polonaise.

- Elle me rend folle… Je ne sais plus quoi faire, Loïc. Elle m’a ordonné d’aller lui chercher un café – sur un ton, d’ailleurs, si tu avais entendu, mais bon, je passe… – et quand j’ai osé lui demander ce qu’elle voulait comme café, elle m’a jeté un regard glacial et m’a dit « Ewelina, tu devrais le savoir, depuis le temps, ce n’est quand même pas compliqué ». Et c’est tout.. Du coup je lui ai pris trois trucs différents, en espérant qu’il y en ait bien un pour la satisfaire… Oh non, elle revient déjà…

Fin de la récréation pour Ewelina, alors que Kata rejoint notre petit groupe, sans interrompre sa conversation téléphonique, et, avec une impolitesse assez surréaliste, tend une main agacée vers la belle polonaise, pour lui réclamer son dû. C’est-à-dire son café. Toute tremblante, Ewelina lui tend un des trois breuvages, au hasard, et prie pour ne pas s’être trompée alors que la finlandaise porte le gobelet à ses lèvres. Kata ne bronche pas. Ewelina pousse un « ouf » de soulagement, aussi discrètement que possible.

- Je la hais, siffle-t-elle entre ses dents serrées, une fois Kata suffisamment loin pour ne pas l’entendre. La seule raison pour laquelle j’ai accepté de l’accompagner dans ce voyage, c’est pour revoir Idriss…

*

Une fois dans l’avion, je constate que nous sommes installés en premium economy, et pas en classe affaires, comme lorsque je voyageais pour le compte des Nations Unies. L’Europe est un peu moins généreuse avec ses fonctionnaires. Légèrement déçu, habitué au confort incomparable qu’offre la première classe, je prends place à côté de Kata, conformément à la requête expresse de ma cheffe. Et répète mes arguments pour tenter de la convaincre du bien-fondé de ma proposition. A vingt heures trente-cinq précises, exactement à l’heure indiquée sur nos billets, l’avion quitte la porte d’embarquement et prend son envol dans un ciel de printemps, où les nuages prennent une teinte rosée sous l’effet du coucher du soleil. Direction l’hémisphère sud. Et, pour occuper les quelques douze heures de vol qui nous attendent, une mission, simple en apparence, et pourtant au combien périlleuse : convaincre Kata que je ne suis pas un imbécile fini, un idiot irrécupérable.

Contre toute attente, ma cheffe se montre finalement plutôt bienveillante une fois ma présentation du méga-fonds européen pour la transition énergétique achevée. Ne trouvant pas de défaut majeur à ma proposition, Kata se fend même d’un demi-compliment, disant « ne pas s’être trompée en me confiant le dossier ». Certes, il s’agit plus d’une auto-congratulation à proprement parler que d’un véritable compliment à mon égard, mais je m’en satisfait avec joie, conscient de ne pas pouvoir espérer beaucoup plus de sa part. Rassuré, et surtout libre de consacrer le reste du trajet à des activités plus classiques pour un vol d’une durée aussi longue, je délaisse Kata et lance la lecture d’un film d’auteur, n’osant pas opter pour un opus un peu plus divertissant à portée du regard intransigeant de ma cheffe. Immanquablement, et aidé par l’ennui profond que me provoque le film en question, mon esprit dérive sur l’autre enjeu de ma présence en Amérique du sud...

Me rendre à Montevideo sans retrouver Alvaro aurait été tout simplement inconcevable. Nous avions d’ores et déjà prévu de nous revoir après notre séjour à Saint-Moritz. Ce sera demain soir, après une soirée organisée par Idriss, mon ancien chef aux Nations Unies de New York, à laquelle moi et Ewelina sommes invités, en souvenir du bon vieux temps. Et, vu l’horaire convenu avec le bel uruguayen, il serait naïf d’imaginer que nous ne couchions pas de nouveau ensemble. Après l’avoir fait tant de fois lors de notre semaine au ski, où j’ai au final plus transpiré en chevauchant le membre viril d’Alvaro qu’en descendant les pistes.

L’autre bonne nouvelle, même si cela ne simplifie pas les choses dans mon esprit confus, c’est que je m’arrêterai voir Luiz au Brésil sur le trajet du retour. Le billet d’avion n’était pas plus cher en y ajoutant un escale à São Paulo, et j’ai convaincu Kata de m’accorder quelques jours de congés pour rester sur place à mes frais. Et retrouver mon ami et amant dont le souvenir brûlant, presque étourdissant, continue de hanter mes nuits les plus torrides, que je rêve de lui ou que je ne parvienne à fermer l’œil, incapable de le chasser de mon esprit.

Bref, j’ai bon espoir que de voir Alvaro et Luiz l’un après l’autre, et avec aussi peu d’intervalle entre les deux, devrait au moins avoir le mérite de mettre un terme à l’incessante tergiversation qui m’empêche de savoir lequel des deux me rend le plus dingue. Non pas que cela soit un but en soi... Et il se pourrait très bien qu’au contraire, je me rende compte que je suis parfaitement fou des deux. Qui sait ? Au fond, ça me ressemblerait plutôt pas mal… Mais ce serait déjà un peu de clarté apporté à l’indécision perpétuelle dans laquelle je me trouve à présent, qui embrouille mon esprit et laisse mes désirs prendre le dessus, et commander à sa place. Comme en témoigne par exemple l’énorme érection qui enfle actuellement dans mon pantalon. Fort heureusement, les couvertures fournies par Iberia sont suffisamment épaisses pour ne rien laisser transparaître. Je doute que Kata trouve ça amusant…

*

J’ai dû m’assoupir, bercé par le ronronnement du moteur, par le film en noir et blanc et par mes douces pensées, car je ne me réveille finalement que lorsque l’avion touche le tarmac de l’aéroport de Montevideo-Carrasco, au beau milieu de la nuit uruguayenne. Tiré hors de mon état de quasi-somnolence quelque peu brutalement par le choc sourd que produit le contact de l’appareil avec la piste d’atterrissage. Je cligne des yeux, et, une fois resitué dans l’espace, jette un coup d’œil à Kata, lamentablement avachie sur son siège, plongée dans un sommeil de plomb. Je n’ose pas lui toucher l’épaule pour la réveiller, trop effrayé à l’idée qu’elle hurle et me lance un coup de poing à la figure en hurlant « au viol » sous le coup de la surprise. Je ne serais pas franchement étonné si c’était le cas… Heureusement, elle se ouvre les paupières quelques minutes plus tard, lorsque le pilote augmente la luminosité de l’éclairage de la cabine.

Retrouvant Ewelina à la sortie de l’avion, le visage pimpant et la coiffure impeccable malgré le long voyage, nous nous dirigeons à grands pas vers la douane, passée sans encombre – au plutôt, sans contrôle – grâce à nos passeports diplomatiques, puis hélons un taxi pour nous emmener de toute urgence à l’hôtel, afin de pouvoir dormir quelques heures avant l’aube. Il est primordial de bien caler son rythme biologique sur l’horaire local... Installé sur la banquette arrière en cuir rapiécé d’une vielle Peugeot qui file sur l’autoroute urbaine en direction du centre-ville, je rallume mon téléphone et active l’itinérance des données, pour vérifier mes messages. J’en ai une bonne dizaine. Fait totalement inhabituel, me concernant. Et pour cause : c’est mon anniversaire ! Ça m’était presque sorti de la tête… Et pourtant, celui-là n’est pas de ceux que l’on oublie, en temps normal.

« Bon anniversaire, fils ! Trente ans, déjà… On se souvient encore de toi, il n’y a pas si longtemps, quittant le nid avec ta trop grande valise pour aller étudier en Angleterre… Comme si c’était hier ! Qu’est-ce que ça grandit vite… Trop vite ! Bisous, et appelle-nous quand tu peux ! Papa et maman. »

« Loïc, comment oses-tu fêter tes trente ans sans moi (et, comble de l’insulte, avec Kata !), à l’autre bout de la planète ? Tu me le paieras très cher… J’ai hâte de te retrouver quand même. Passe le bonjour à Alvaro de ma part ! Maria. »

« Bon anniversaire Loïc, on fêtera ça à ton retour ! Bises. Ulysse. »

« Parabéns, mon Loïc ! Je meurs d’envie de te retrouver. Et peut-être même aussi de t’embrasser, si tu n’y vois pas d’inconvénient. Je t’attends bien au chaud à São Paulo. Ton Luiz. »

« On me dit dans l’oreillette que tu aurais trente ans aujourd’hui ? Ça tombe super bien, j’ai justement un cadeau pour toi. Passe le chercher demain soir… à tes risques et périls. Alvaro. ».

Le match Luiz vs. Alvaro se poursuit, inlassablement, jusque dans nos échanges virtuels. Et pas sûr que ces derniers messages évocateurs ne m’aident à les départager, dans mon esprit pour le moins perméable à la tentation…

*

Lorsque je me réveille, perdu seul au milieu de l’immense lit du Hyatt Centric de Montevideo, il est déjà dix heures passées. Je regarde mon téléphone. Encore quelques messages d’anniversaire. Et une dizaine de mails de Kata, dont le métabolisme nordique, déjà habitué aux grands écarts de température et aux fortes variations de luminosité, n’a visiblement pas de problème non plus avec le décalage horaire. Aucun n’a l’air d’exiger une réponse immédiate, je file donc à la douche.

Le reste de la journée, je le passe avec Kata, dans le lobby de l’hôtel, à peaufiner la présentation du méga-fonds que nous effectuerons le lendemain devant les équipes des Nations Unies. Elle se chargera de l’introduction générale, puis me donnera la parole pour donner le détail de notre proposition. Pas seulement parce que je connais le dossier sur le bout des doigts, mais aussi parce que je bénéficie d’un certain capital sympathie auprès de mes anciens collègues, en tant qu’ex-employé des Nations Unies, avantage dont Kata, qui ne se cache pas du peu d’estime qu’elle voue à l’institution, est dépourvue. Et ça ne sera pas de trop pour convaincre l’ONU de soutenir notre méga-fonds. En effet, notre position est pour le moins précaire : la plupart des pays de l’Union ont quitté l’organisation internationale, seuls quelques-uns de nos Etats-membres en font encore partie, principalement les pays scandinaves. L’Union en tant que telle a beau conserver un statut d’observateur, on ne peut pas dire que l’Europe est en odeur de sainteté à Montevideo. Il nous faudra donc user de tous nos arguments pour convaincre. Espérons que mon charme naturel, accompagné d’un chèque de trois-cent milliards d’euros suffisent à faire passer la pilule.

Après plusieurs répétitions, et un rodage de discours en règle, Kata me libère vers dix-sept heures, consciente que moi et Ewelina avons une activité mondaine de prévue, qui ne peut qu’aider notre cas : la fête d’Idriss. Elle-même ne s’y joindra pas, n’ayant pas été invitée, et sûrement aucune envie de l’être. Ce qui, en soi, ne peut être qu’une bonne nouvelle pour l’ambiance de la soirée.

Une heure plus tard, après m’être changé et revêtu un accoutrement suffisamment sobre pour ne pas être prétentieux, sans être trop décontracté non plus – en somme, une chemise blanche et un pantalon bleu marine – je retrouve Ewelina sur le parvis de l’hôtel. Superbe, comme d’habitude. Impressionnante, même. Tout à fait à son avantage dans une combinaison gris clair dont le tissu fluide se resserre judicieusement à plusieurs endroits, marquant à la perfection sa taille de guêpe et ses chevilles fines et élégantes. La blondeur de ses cheveux s’enrichit de quelques reflets roux sous l’effet du soleil d’automne de l’hémisphère sud.

- Tu es tout beau, Loïc ! me dit-elle avec une sourire étincelant, désarmant de sincérité.

D’ordinaire, je ne suis pas spécialement timide face aux compliments, surtout lorsqu’ils sont prononcés par une femme, et encore moins par une femme que je considère comme une amie, mais Ewelina est elle-même d’une telle beauté, inaccessible, à peine humaine, que je me trouve profondément bouleversé. Et rougis comme une tomate, bafouillant un « merci » un peu confus. Je suis finalement sauvé de l’embarras par le taxi qui arrive enfin, et détourne l’attention de la belle polonaise.

Nous filons à travers la ville, partis du centre en direction des quartiers périphériques, la banlieue chic de Montevideo où Idriss a établi domicile. Je découvre ainsi pour la première fois la capitale uruguayenne de jour. Pas si différente de sa rivale porteña, située à quelques encablures seulement, de l’autre côté de la bouche immense du Rio de la Plata. La grandiloquence argentine en moins. Je remarque malgré tout une poignée d’édifices néo-classiques et quelques immeubles art-nouveau et art-déco qui valent le détour. Ce n’est pas du rococo, comme j’avais l’habitude de le croire, avant d’être repris par un ami passionné d’architecture, sans que je comprenne tout à fait ses explications. Un problème de coupoles, me parait-il. Peu importe, la ville n’a pas le charme de Buenos Aires, mais la vie y semble plus agréable, plus apaisée, à l’image de ces groupes de jeunes fumant leur joint en toute légalité sur les immenses plages atlantiques qui bordent le centre-ville.

*

Le taxi nous dépose devant une élégante bâtisse aux lignes basses et épurées, protégée du regard des passants par un haut mur d’enceinte. De jeunes arbres en dépassent à peine. Le quartier tout entier vient à peine de sortir de terre, construit spécialement pour la cohorte de diplomates tout juste débarqués à Montevideo, suite à la délocalisation du siège des Nations Unies. La rue n’est qu’un alignement interminable de villas de standing construites un peu à la va-vite, et fraîchement investies par leur nouveaux occupants, qui, en dépit d’une politique d’austérité salariale sans précédent, conservent malgré tout un pouvoir d’achat bien supérieur à la moyenne uruguayenne.

Quelques peu impressionnés par le faste du lieu, Ewelina et moi nous approchons de l’interphone, et signalons notre présence. Quelques secondes plus tard, le gigantesque portail en métal s’ouvre automatiquement. Nous pénétrons alors dans le jardin paysager, avant d’être accueilli par Idriss, vêtu d’un élégant costume gris clair et d’une chemise bleu ciel légèrement ouverte sur sa poitrine bronzée. Il franchit le seuil de l’immense porte d’entrée en bois exotique, un verre de champagne à la main, et vient nous embrasser avec chaleur.

- Ewelina, Loïc ! s’écrit-il, nous adressant un magnifique sourire. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureux de vous voir ! Dans mes bras…

Une fois passée l’effusion des retrouvailles, Idriss nous invite à entrer dans sa somptueuse demeure, mais ne nous laisse pas le temps d’admirer la décoration intérieure, finalement plutôt sobre, d’après ce que je peux en deviner, et nous conduit immédiatement au jardin qui jouxte l’arrière de la villa, bordé de pins et de plantes tropicales. C’est là que la fête bat son plein. Enfin, le terme « fête » est un petit peu exagéré, dans ce cas précis. Il s’agit plutôt d’une réception mondaine, organisée en l’honneur des trente ans de la Convention Cadre des Nations Unies sur le changement climatique, précurseur du protocole de Kyoto, et qui rassemble une bonne centaine de diplomates. Je ne peux m’empêcher de sourire en découvrant l’immense gâteau à la crène de plusieurs étages qui trône au milieu du vaste buffet végétarien, sur lequel deux énormes bouges indiquant le chiffre « trente » ont été placées. Comme si la fête avait été organisée pour mon anniversaire. Mais Idriss ne se doute pas que j’ai fêté mes trente ans la veille. Ewelina non plus, d’ailleurs... N’étant pas un inconditionnel des vœux d’anniversaire, je ne lui ai pipé mot. Je savoure donc cette heureuse coïncidence en silence et en solitaire, amusé par le jeu du hasard, qui fait décidément bien les choses.

- Tu as vraiment une superbe maison, Idriss, s’émerveille Ewelina, avec une pointe de jalousie dans la voix, avant de poursuivre sur une note d’ironie. Ce n’est pas à Bruxelles qu’on pourrait avoir un jardin pareil, n’est-ce pas Loïc ?

J’acquiesce en souriant, même si, au fond de moi, je sais qu’Ewelina ne plaisante qu’à moitié, et qu’elle donnerait tout pour quitter la vieille Europe, se libérer de Kata, et retrouver le confort de sa position d’assistante auprès d’Idriss. Mon ancien chef n’est pas dupe, et souligne qu’il serait ravi de lui redonner son poste, si l’opportunité se présentait – comprendre, si la Pologne rejoignait de nouveau les Nations Unies.

Souhaitant dissiper le léger malaise qui s’installe alors au sein de notre petit groupe, notre hôte décide de nous présenter à cercle plus élargi de ses convives. Nous nous retrouvons ainsi à trinquer avec l’ambassadeur du Danemark auprès de l’ONU, l’envoyé spécial des Nations Unies pour les réfugiés climatiques du golfe du Bengale, et l’ancienne vice-présidente du Costa Rica, que je me rappelle avoir rencontré lors du fameux dîner officiel de Genève, quelques années auparavant, où, après avoir remplacé Hristov à la réception, je m’étais retrouvé à quatre pattes dans la chambre d’hôtel du maire de Prague, à en subir les assauts répétés sur mon derrière endolori. Plutôt un bon souvenir, donc. La vice-présidente costaricaine, quant à elle, ne semble pas se rappeler de moi, ce qui est plutôt un soulagement : ça m’évite d’inventer une excuse bidon pour lui redemander son nom, ou encore d’avoir à m’étaler sur les conditions de notre première rencontre. La conversation peut donc rester à un niveau approprié de superficialité, pour le plus grand plaisir d’Ewelina, à qui ce genre d’événement manque cruellement depuis son arrivée à Bruxelles.

Quelques minutes plus tard, nous sommes rejoints par Catherine, notre ancienne supérieure invisible des Nations Unies, qui nous gratifie l’un et l’autre d’une chaleureuse poignée de main. Elle qui, d’ordinaire plus pragmatique que coquette, était une inconditionnelle des cheveux coupés à ras, arbore désormais fièrement une incroyable coupe afro qui lui va à ravir. Elle en est même presque méconnaissable. Tout comme Idriss, et donc sans doute fidèle à la ligne officielle de l’organisation, Catherine nous assure, à moi et Ewelina, qu’elle adorerait nous reprendre, qu’elle le ferait même sur le champ si c’était en son pouvoir, et qu’elle espère de tout cœur que ce sera bientôt possible. Personnellement, je ne suis pas convaincu, mais la simple perspective d’un éventuel échappatoire à l’enfer de Kata semble donner une peu de baume au cœur à Ewelina... Je ferme donc ma grande bouche d’éternel sceptique et laisse la belle polonaise se bercer de douces illusions, même si ce n’est que le temps d’une soirée enchantée.

*

Les heures passent, et, le champagne aidant, je commence à apprécier la compagnie des grands de ce petit monde bien-pensant. On parle réchauffement climatique et déforestation, entre les petits fours au tofu et les verrines de crème de pistache. On échange les articles chocs sur les écocides et le recul de la biodiversité, ainsi que nos cartes de visites, sait-on jamais, si les temps se faisaient durs, à Bruxelles ou ailleurs.

Soudain, je suis contraint à un repli stratégique, devant soulager ma vessie, mise à rude épreuve par la série interminable de coupes de champagne que je viens de m’enfiler. Je pénètre donc dans la villa d’Idriss, à la recherche désespéré des toilettes, que je finis par trouver, quelque part au premier étage. Il doit bien y en avoir d’autres, c’est impossible qu’il n’y ait qu’une seule salle-de-bain dans une villa aussi spacieuse. Mais toujours est-il que c’est la première qui me tombe sous la main, et vu l’envie pressante qui compresse mon bas-ventre, je n’ai pas le luxe de chercher plus longtemps. Une fois ce besoin naturel assouvi, je quitte la salle de bain et me retrouve immédiatement nez-à-nez avec Idriss, venu chercher un pull dans sa chambre pour affronter la fraîcheur nocturne. Il semble d’ailleurs un peu surpris de me retrouver dans les quartiers d’habitation de son imposante demeure.

- Loïc ? Qu’est-ce que tu fais ici ? me demande-t-il dans son français toujours aussi parfait.

- Excuse-moi, réponds-je d’une voix un peu gênée. Je cherchais la salle-de-bain, et je n’ai trouvé que celle-ci…

- Ah d’accord, dit-il d’un ton rassurant. Ne t’en fais pas, je me doute bien que tu n’étais pas en train de me voler du papier toilettes ! J’ai simplement eu peur que tu aies fui la fête…

- Non, du tout ! Tout se passe très bien. D’ailleurs, je tenais à te remercier pour l’invitation. J’ai même l’impression que la fête est un petit peu pour moi…

Idriss marque un pause, ne comprenant visiblement pas le sens de ma plaisanterie. Ce dont je ne peux pas lui faire le reproche, n’ayant pas été moi-même d’une clarté limpide.

- Comment ça ? s’enquière-t-il, fronçant légèrement les sourcils.

- C’était mon anniversaire hier… avoué-je.

- Ne me dit pas que tu viens d’avoir trente ans ?

- Si, sacrée coïncidence, non ? J’ai le même âge que la CCNUCC… Je crois que j’étais prédestiné à bosser pour le climat… D’ailleurs, tout se passe bien pour toi, ici ? Tu ne m’as pas raconté comment s’est déroulé le changement de QG.

- Oh, au final le changement est moins brutal que prévu... La routine administrative reprend vite le dessus ! Les bureaux sont flambants neufs mais on a deux fois moins de collègues qu’avant. Comme si on avait fait un bond dans le futur et que la population humaine avait fondu du moitié…. Et puis, on en fait beaucoup moins que par le passé. Ce qui intéresse les Etats-membres restants, c’est surtout l’argent... On les comprend, ce sont surtout des pays en voie de développement. Mais bon, aligner les dossiers de subvention les uns après les autres, ce n’est pas ce qu’il y a de plus passionnant... J’ai l’impression de vivre une sorte de dystopie bureaucratique ennuyeuse au possible !

- Je vois, réponds-je, interdit – pas sûr que notre proposition de méga-fonds soit bien accueillie dans ce climat de démotivation généralisée.

- Non, le plus dur, c’est la solitude, reprend Idriss, plus bavard que jamais. Après avoir vécu à New York pendant si longtemps, cette impression d’espace est assez déconcertante. Il y a si peu de monde, en Uruguay… Même ici, à Montevideo, tu as cette impression de grands espaces, de plages immenses, souvent désertes. Les maisons sont gigantesques, les jardins aussi… Mais ça ne fait pas beaucoup d’êtres humains, tout ça… Et, depuis que je me suis séparé de Raphaël, j’ai un peu de mal à envisager la suite.

- Tu veux dire que c’est difficile de rencontrer quelqu’un, ici ?

- Je crois, oui… Et en plus, pour ne rien arranger, je suis un peu rouillé… Je n’ai plus vingt ans – ni trente, ajoute-t-il en m’adressant un léger sourire – et je n’ai pas été célibataire depuis… quinze ans, tu imagines ? Je ne sais plus comment on fait pour rencontre quelqu’un, moi, si tant est qu’il y ait quelqu’un à rencontrer dans ce foutu pays vide…

Je me garde bien de lui répondre que je connais moi-même un joli spécimen local, préférant ne pas pousser Idriss dans les bras d’Alvaro. Mon ancien chef est suffisamment séduisant, raffiné et passionné de politique climatique pour qu’ils soient faits l’un pour l’autre… Et je n’ai pas spécialement envie que l’infime chance qu’Alvaro me choisisse un jour comme un peu plus qu’un éphémère amant de passage ne s’envole en fumée de mon propre fait. Je préfère donc partir sur une tirade un peu plus conventionnelle, mais qui n’en reste pas moins parfaitement sincère.

- Idriss… lui dis-je d’une voix douce. Tu es quelqu’un de formidable... Tu es beau, intelligent, polyglotte, avec des principes, mais friqué quand même, ce qui ne gâche rien… Tu as tout pour rendre un homme heureux, et je suis sûr et certain que tu trouveras quelqu’un…

Je laisse ma phrase en suspens, incapable de conclure de manière plus appropriée. Pourtant, Idriss a l’air de vouloir en entendre un peu plus. Sur son beau visage au teint halé, et dans son regard sombre, je peux lire une légère confusion. Un sourire imperceptible se dessine sur ses lèvres fines, perdues dans sa barbe noire. Lentement, le bel américano-syrien se rapproche de moi, puis, avec une pointe de précipitation tout de même, comme s’il s’interdisait de réfléchir plus longtemps, il vient déposer sur ma bouche un long baiser, un peu timide, d’abord, qui se fait plus tendre à mesure que ma langue répond aux avances de la sienne. Nous restons ainsi quelques secondes, dans cette douce étreinte inattendue, à laquelle je suis incapable de résister, sans pour autant vouloir y donner suite. Quelque part, j’ai l’impression de repayer ma dette envers Idriss, devant qui j’ai moi-même craqué, quelques années auparavant, sur le toit-terrasse d’un gratte-ciel de New York. Idriss doit noter ma réaction un peu en demi-teinte, puisqu’il finit par interrompre son baiser et fait un pas en arrière, le visage empreint d’embarras.

- Je… Excuse-moi, Loïc, je ne sais pas ce qui m’a pris… Tu es le premier garçon qui me fait tant de compliments depuis un sacré bout de temps, je crois que ça m’est monté à la tête…

- Je t’en prie, ne t’excuse pas ! Si tu te rappelles, tu n’es pas le premier à qui ça arrive…

Ma remarque parvient à lui décrocher un sourire complice, et, en quelque sorte, remet les pendules à zéro, si vous me passez l’expression.

- En tout cas, je suis sûr que tu exagères sur le fait qu’il n’y a personne d’intéressant en Uruguay ! Je vais te faire découvrir les applications de rencontres, moi, et tu vas voir, ça va te changer la vie ! Bon, tu ne vas peut-être pas y trouver l’amour, et encore, qui sait, mais ça devrait au moins te permettre de remettre le pied à l’étrier !

*

Quand l’horloge de mon téléphone affiche minuit, je me retrouve pris au piège. Je devrais déjà être rendu chez Alvaro, mais suis toujours coincé chez Idriss. Je suis un peu la Cendrillon gay de la fonction publique internationale, au fond… Et il est grand temps que j’appelle mon carrosse-citrouille pour rentrer au château et m’acquitter de la besogne qui m’attend ! Je jette un coup d’œil à Ewelina, qui virevolte de groupe en groupe, leste et élégante, coupe de champagne à la main, ponctuant les conversations mondaines de son rire cristallin. Elle semble revivre, comme un poisson rouge à qui l’on viendrait de changer l’eau. Je n’ai donc pas le cœur à la déranger, et lui envoie un simple message, prétendant être fatigué et préférer rentrer à l’hôtel de bonne heure pour être présentable le lendemain, lors de ma présentation devant les Nations Unies. Une fois le message envoyé, je commande un taxi et demande à Alvaro de m’envoyer son adresse. Rambla de la République du Pérou. Ça ne s’invente pas...

J’arrive à bon port une demi-heure plus tard. L’appartement d’Alvaro est situé dans un grand immeuble sans charme qui se dresse courageusement face à l’océan. La brise humide venue du large rafraichit l’atmosphère, et les embruns me rappellent un peu à ma Bretagne natale, l’odeur du cannabis en plus. Je sonne au nom d’Alvaro, puis monte au huitième étage, comme il me l’a indiqué.

Lorsque la porte s’ouvre, je découvre mon bel uruguayen, dans son plus simple appareil. C’est-à-dire, au cas où vous en doutiez, totalement nu. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne perd pas de temps… J’ai donc tout le loisir d’admirer son corps, puissant et musclé, qui dessine un joli « V » depuis ses larges épaules jusqu’à sa taille, marquée sans être étroite non plus. Son sexe, que je découvre pour la première fois au repos complet, pend lourdement vers le sol, tout comme ses couilles, larges et brunes, plutôt joliment dessinées. Je dois avouer que je reste bouche-bée devant ce spectacle qui m’émerveille, au point où j’en oublie de saluer le bel uruguayen, qui me le rappelle avec humour.

- Joyeux anniversaire, Loïc ! Par contre, mes yeux sont là-haut. Et salut, au fait…

- Euh… Excuse-moi, j’ai été distrait par un attentat à la pudeur, lui rétorqué-je en le serrant dans mes bras. Mais je ne me plains pas, je suis autant victime que complice, dans cette histoire…

- Je me doutais bien que ça ferait son petit effet, avoue Alvaro en ricanant, visiblement satisfait de son coup. Mais bon, trente ans, je me suis dit qu’il fallait marquer le coup !

D’un geste de la tête, il m’invite à entrer, ce que je fais sans me faire prier. Plutôt petit, mais décoré avec goût, l’appartement d’Alvaro bénéficie en outre de larges baies vitrées qui offrent une vue imprenable sur l’océan, pour l’heure plongé dans l’obscurité la plus totale. Je complimente Alvaro sur la vue, qui s’en amuse, et ne trouve rien de mieux à redire que la chose suivante :

- Je sais, on ne me le dit souvent. Et encore, tu verras quand je bande… C’est autre chose…

Je pouffe de rire, plus excité que véritablement amusé par la remarque salace du bel uruguayen, qui ne semble pas avoir envie de discuter beaucoup plus longtemps. Il faut dire que je l’ai fait patienter toute la soirée…

D’ailleurs, si l’on ne peut que deviner l’impatience d’Alvaro en écoutant ses remarques à la lubricité à peine voilée, la vision enchanteresse de la raideur qui s’empare doucement de son sexe court et large, le soulevant dans les airs, pointant en ma direction, ne laisse aucun doute sur les intentions du bel étalon. Traversé par une pulsion sensuelle incontrôlable, esclave du désir irrépressible que je lui porte, je m’approche donc de mon amant, dont la peau nue irradie sa chaleur bestiale contre la paume de ma main posée sur son torse bombé. J’essaye de lui voler un baiser. Comme lors de nos précédents ébats, il s’obstine et m’en priver, pour commencer. Faisant monter la sève en moi, un peu plus encore. Je tremble de désir, mais, banni de ses lèvres, je dois me rabattre sur sa superbe poitrine. J’y enfouis mon visage, pour en respirer le parfum, et y trouve un téton durci par la fraîcheur et l’envie, que j’embrasse et lèche du bout de la langue, décrochant chez Alvaro un premier gémissement rauque. L’entendre réagir à ma caresse de la sorte me transporte dans un état second.

Puis, sans qu’il ne cherche à m’arrêter, je délaisse son téton pour poursuivre ma lente descente inexorable vers son ventre, son pubis au poil coupé court, la naissance de sa queue, et, remontant le long de son membre, y déposant de rapides baiser, j’atteins enfin son gland, large et sombre, que j’embrasse doucement avant de le faire disparaître dans la tiédeur moite de ma bouche. Commence alors une interminable succession de va-et-vient réalisés avec application, accompagnés par la caresse de ma langue sur son frein, et celle, plus délicate encore, de mes doigts sur la peau lisse de ses couilles.

Une fois qu’il me considère habitué à l’épaisseur de son sexe qui palpite entre mes lèvres, Alvaro accompagne mes mouvements par de courtes saillies. D’abord plutôt inoffensives, voire même bienvenues. Je ne déteste pas qu’on prenne les commandes, de la sorte. Mais, très vite, les gestes du bel uruguayen se font plus fermes, plus agressifs. Et, à plusieurs reprises, alors que son gland enflé de désir heurte violemment le fond de ma gorge, je dois interrompre mon effort quelques secondes, pour reprendre mon souffle. Je lève les yeux vers lui, pour constater le masque de mâle alpha qui déforme légèrement les traits de son visage. Ça le rend plus beau, encore. Un peu inquiétant, aussi. Si je n’étais pas en situation de confiance totale avec Alvaro, je prendrais peut-être une seconde ou deux pour recadrer l’étalon fougueux. Mais je n’en vois pas l’intérêt, pour l’instant. Et poursuis ma pipe, le visage concentré.

Après quelques minutes, Alvaro me concède un répit bien mérité, et, s’agenouillant à ma hauteur, me gratifie d’un long et doux baiser empli de passion qui ne manque pas de me faire chavirer à nouveau. Et tomber à ses pieds. Ses lèvres pleines, la tendre piqûre de sa barbe. Il n’a qu’à sourire, et je suis tout à lui, comme toujours. D’ailleurs, il le sait. Et profite de mon état d’admiration totale, de quasi-béatitude, pour me prendre dans ses bras musclés, me soulever à quelques centimètres du sol, et me porter jusqu’au canapé du salon, où il m’allonge sur le dos, avec toutes les précautions du monde. Il m’embrasse de nouveau. Cette fois, le baiser est plus fugace.

Quelques secondes plus tard, Alvaro abandonne mes lèvres, déboutonne mon pantalon, puis le retire brusquement, d’un geste sec et précis. Mon caleçon part avec, révélant au bel uruguayen la tige raidie de ma queue et la pâleur de mon derrière, qui ne demande qu’à ce qu’on s’occupe de lui. C’est d’ailleurs ce qu’Alvaro s’apprête à faire. Ignorant mon sexe, il se consacre immédiatement à mon trou, qu’il embrasse puis lèche de la pointe de sa langue, histoire de le détendre. Puis, il y applique la pulpe de son index, et tapote doucement, jusqu’à ce qu’il puisse s’y insérer sans forcer. Je sens alors le bout de son doigt me pénétrer, lentement, et commencer un rapide mouvement dans lequel on devine, encore une fois, l’impatience d’Alvaro.

Très vite, le bel uruguayen vient se placer à genoux entre mes jambes, qu’il place sur ses larges épaules, pour coller son membre dur comme le fer contre mon intimité, dument préparée à l’accueillir. Le contact de son gland contre mon trou m’électrise. Et, sans plus attendre, Alvaro plonge son regard de braise dans le mien, un léger sourire aux lèvres, et entame sa lente invasion de mon derrière, avec douceur et savoir-faire, comme à son habitude. Le sentir m’emplir de la sorte me prodigue un plaisir fou. Et, alors que le lent ballet régulier de ses allers-retours en moi répand une chaleur diffuse dans mon bas-ventre, je me laisse aller à la cadence qu’il impose à notre étreinte. Sa bouche retrouve la mienne. Couvrant mes gémissement par de longs baisers fougueux. Puis, progressivement, sans que je me rende compte de prime abord, Alvaro rompt avec la constance de son mouvement, qu’il entrecoupe de saillies plus sèches, plus profondes que les autres. M’arrachant de petits cris, de plaisir, d’abord, puis, à mesure que le geste gagne en force, et en intensité, de douleur, je crois. Une première, avec Alvaro. Jusqu’à présent, je n’avais jamais ressenti cette sensation, qui n’a certes rien d’exceptionnel, mais dont les talents d’amant du beau latino m’avaient pour l’instant épargné. Je ne formalise pas, et accepte ce nouveau défi, même si je ne peux pas m’empêcher de penser à la douceur incomparable de mes ébats avec Luiz, certes vieux d’un an, mais jamais effacés de ma mémoire, alors qu’Alvaro s’acharne sur mon derrière... Ça ne durera pas éternellement, de toute manière. Encore quelque va-et-vient, et je sens qu’il va jouir. Je compte les secondes avec impatience.

Regarder son beau visage passer par toutes les expressions sous l’effet du plaisir n’est d’ailleurs pas désagréable. Je lui réclame un baiser. Il me l’accorde. Et, dans un ultime à-coup, il explose en moi, le léger râle qu’il laisse échapper étouffé par mes lèvres. Je sens sa semence se répandre dans mes entrailles. Et son membre se ramollir légèrement, sans tout à fait perdre son érection. Il reste ancré en moi de la sorte, et semble d’ailleurs décidé à ne pas se retirer jusqu’à ce qu’il ait réussi à me faire jouir. Il se saisit de ma queue qui reposait alors sur mon ventre, et commence à la branler avec vigueur. La brûlure de son sexe sur mon trou est encore vive, dans ma mémoire et pas seulement, et je n’ai donc pas besoin de longtemps avant de jouir dans le creux de sa paume. Joueur, Alvaro décide alors de venir étaler le produit de ma jouissance sur mes lèvres, puis, face à mes protestations, nettoie sa bêtise d’un coup de langue gourmand. Et, enfin, sa queue, déjà presque au repos, s’extirpe de mon derrière endolori. Je souffle, soulagé d’avoir terminé. J’en ai assez vu comme ça pour ce soir…

*

Une fois rhabillés et le bas-ventre rassasié, Alvaro et moi échangeons quelques plaisanteries, assis l’un à côté de l’autre sur le canapé. Il me demande comment se passent les choses pour moi, à Bruxelles, je lui retourne la question. Il prend des nouvelles de Maria. On se évoque quelques souvenirs communs, toujours plutôt cocasses, issus de nos nuits passées ensemble à Genève, Buenos Aires, New York et Saint-Moritz. Et désormais, Montevideo. Une ville de plus où nous aurons couché ensemble. Une ville de plus où nous aurons joui l’un sur l’autre, l’un dans l’autre. Enfin, surtout lui dans moi, si on contemple notre historique avec un minimum d’attention.

Je reste pourtant sur ma faim, après notre étreinte de tout à l’heure. Non pas qu’elle m’ait déplu, mais il me manque quelque chose… Je ne saurais pas dire quoi, exactement. J’ai trouvé nos ébats quelque peu… mécaniques, peut-être, voire même légèrement égoïstes, de la part du bel Alvaro. C’est assez difficile à admettre, mais je n’ai pas pris mon pied, du moins pas comme les autres fois. Et puis, surtout, c’est cette camaraderie retrouvée, une fois l’orgasme passé, qui me gêne. Il n’y a, pour une fois, strictement aucun obstacle à ce que l’alchimie opère entre nous : nous sommes seuls, dans son appartement, à l’abri des regards indiscrets et du jugement des autres, notamment de celui, sévère mais juste, de notre amie Maria. Et bien que la belle espagnole se rassure, j’ai bien peur que cela n’arrive jamais, « Alvaro et moi » ! En dépit de l’attirance physique – mutuelle, je crois – et du désir irrépressible qui me pousse inlassablement dans ses bras, je ne développe pas de sentiments particuliers pour le bel uruguayen. Et, visiblement, lui non plus. C’est peut-être mieux comme ça, au fond… Ça me permettra au moins de quitter l’Uruguay avec une certitude : ce n’est pas Alvaro qu’il me faut. C’est quelqu’un d’autre. Et j’ai bien une petite idée de qui, mais je préfère ne pas me prononcer, pour l’instant, et laisser la suite du voyage apporter un peu plus de clarté à mon esprit, déjà un peu moins confus que la veille, mais pas encore totalement exempt de doutes. Une chose est sûre : je rentrerai en Europe avec le cœur net.

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