Un jour de congé

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  La lourde porte en acier s'ouvrit lentement dans un grincement sinistre. Un homme passa le seuil en contemplant les gonds, il soupira avant de refermer derrière lui. Il avait la quarantaine bien tassée, des cheveux poivre et sel, rasés sur les côtés alors qu'une légère calvitie commençait à apparaître sur le haut de son crâne. L'individu passa les doigts dans sa barbe grisonnante et mal entretenue pour se gratter le menton puis la joue. Il laissa ensuite glisser son index sur la cicatrice qui remontait de sa tempe à son front. Ogard, car tel était son nom, contempla sa demeure enfin sa chambre avec satisfaction. Ancien commerçant qui naviguait sur un bateau, il avait amassé pas mal d'argent et une fois accusé de trahison, le quarantenaire avait eu le temps de s'acheter ce petit coin de paradis. En effet, après avoir été jugé et banni de la ville pour devenir chasseur à la surface, posséder ce petit logement dans la ville souterraine s'apparentait à du luxe.

  Ogard vivait à Spindelsinn, un continent couvert de neige et balayé régulièrement par le blizzard. La seule ville sur ce caillou congelé était ici : une ancienne zone minière datant d'avant la Grande Catastrophe qui ravagea la planète. Ici, la loi était simple : un conseil s'occupait des crimes et envoyait les jugés à la surface pour chasser des animaux ou trouver du matériel afin d'être utile pour la cité souterraine. On ne pouvait pas garder des gens dangereux dans un espace réduit mais on ne pouvait pas non plus tuer tout le monde alors autant rendre les criminels utiles à la société.

  Le quarantenaire balança sa veste en fourrure sur le dossier d'une vieille chaise en bois avant de se laisser tomber dessus pour entreprendre de retirer ses bottes. Qu'est-ce qu'il avait mal aux pieds à force de crapahuter dans la neige ! Il se malaxa les orteils et la plante des pieds pendant plusieurs secondes avant de s'attarder à ce qui trainait sur sa table à manger. Une facture pour l'électricité, dire qu'il n'était presque jamais chez lui et on tentait de lui extorquer le peu d'argent qu'il lui restait ! Une note sur une transaction, un ancien collègue avait vendu des affaires et lui faisait part de ses gains. Heureusement qu'il connaissait quelque personne honnête pensa-t-il. Et enfin, une lettre avec une écriture fine et élégante. Ogard fit tourner l'enveloppe entre ses doigts, il hésitait à l'ouvrir. Ne parvenant pas à se décider, il la reposa sur la table et se redressa pour regarder ce qu'il pouvait se faire à manger.

  Une verrine contenant des champignons séchés l'attendait dans un placard, il fit un large sourire en la voyant et pensa machinalement à ses amis chasseurs. Ceux-ci le charriaient souvent quand il vantait la qualité nutritive et le goût de ces fameux champignons. Sibjorn, le grand costaud de l'équipe disait ne pas trop aimer ça et préférerait manger autre chose. Cet idiot aimait se plaindre et il ne comprenait pas à quel point il était difficile de cultiver sous terre ! Ogard sorti une casserole pour y verser de l'eau et le contenu de sa verrine qu'il déposa sur son poêle à bois. Il devait encore l'allumer et entretenir le feu, cette idée le fit soupirer, c'était toujours lui qui cuisinait et il songea que se trouver une petite femme, même temporaire, serait pratique pour égayer ses rares moments en ville. Et surtout : il n'aurait pas à s'occuper du feu ni du ménage ! Qu'est-ce qu'il rêvait de manger, s'étaler dans son lit et dormir durant des heures... Pareil, il fantasmait aussi en pensant à la douche qui l'attendait.

  Il balançait des buches dans l'antre du fourneau et prit des allumettes pour démarrer le feu. Il fixa un instant les flammes, ressassant ses souvenirs dans sa tête. Il pensa aux heures passées en mer, à ses voyages sur l'immense continent au sud pour commercer. Cette vie lui manquait. Certes, il voyageait toujours mais tel un pariât et le danger était bien plus présent. De plus ses compagnons d'infortune avaient des peines plus légères que la sienne. Orm, un jeune homme fort et intelligent avait pris pour deux ans à chasser à la surface pour un meurtre qu'il avait commis. Sibjorn, le grand costaud lui avait écopé de quatre ans, Ogard ne connaissait pas toute l'histoire et le concerné ne s'étendait pas sur le sujet. Apparemment, il avait tabassé quelqu'un à mort mais le quarantenaire qui connaissait le jeune homme depuis l'enfance n'arrivait pas à imaginer ça possible ou en tout cas : pas de façon gratuite ni préméditée. Et enfin, le dernier du groupe, le cas à part : Sven. Le plus jeune de la bande et surtout le petit frère d'Orm. Ce dernier n'avait commis aucun crime, il avait simplement refusé d'abandonner son frère et s'était enrôlé comme chasseur, cet idiot. Ogard, lui ne cesserait jamais d'être chasseur, accusé de trahison et d'avoir volé puis vendu du matériel vital pour la cité, il était condamné à être chasseur jusqu'à sa mort. Cette pensée lui noua l'estomac et il se demanda s'il aurait encore la force de manger. Il souffla sur les braises pour entretenir le feu puis se redressa pour aller prendre une douche le temps que ses champignons cuisent.


  Vautré dans son canapé-lit, les pieds posés sur la table basse, Ogard en peignoir mangeait son assiette de champignons. C'était calme, trop même pour qu'il apprécie vraiment le moment présent. Il était habitué à entendre le vent, un écoulement d'eau ou juste que l'un de ses compagnons venaient rompre le silence. Quoique, il aimait être celui qui parle et raconte des anecdotes ! Avant cette vie de chasseur, il avait un logement bien plus grand, de quoi écouter de la musique ou pouvoir inviter une femme en exhibant son argent. Cette époque lui manquait... Il avait eu du pouvoir, de l'influence et du charisme, son nom était alors respecté et il se sentait important. Qu'avait-il à présent ? Une chambre délabrée et quelques pièces en guise d'argent de poche ! Dire qu'il avait imaginé qu'avoir son logement lui ferait du bien mais une fois ici, il ruminait sur tout ce qu'il avait perdu, tout ce qu'il aurait encore eut le temps de faire. Maintenant il ne pourrait que traquer du gibier et ramener quelques pièces détachées...Ogard balança son assiette sur la table et vida son verre de gnôle d'un trait. Il se tourna sur le canapé pour s'y allonger, tira la couverture sur lui avec la ferme intention de rapidement s'endormir. Ainsi, ce congé passerait plus vite et il serait bientôt dehors avec Orm, Sven et Sibjorn pour crapahuter dans la neige. Il réalisa qu'ils étaient peut-être ses seuls amis, sa seule famille. À cette pensée, il jeta un regard humide à la lettre qu'il n'avait pas osé ouvrir. Devait-il prendre de ses nouvelles ? Que pourrait-il lui répondre hormis des excuses ? C'est avec un brin de nostalgie et de culpabilité qu'il fourra sa tête sous son oreiller pour se cacher de la lumière et sombrer dans le sommeil.

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