Anguleux
Il avait un visage anguleux, marqué par la rudesse de sa vie. Ses traits tirés me rappelèrent l’un de ces silex taillé par nos lointains ancêtres et sa mine grisâtre appuyait ma comparaison. Je me suis demandé, en le voyant, quelles épreuves ce pauvre homme avait dû endurer. Je ne pensais pas possible qu’un environnement social ait une influence physique, mais force était de constater que sa chaire, ses os même, avaient subi les séquelles d’un lourd passé. Le temps, lui aussi, avait imprimé plus fortement que de coutume son empreinte. Il était ridé, beaucoup trop pour son âge, beaucoup trop pour un être humain. ‘Ce monstre qui porte sur son visage la noirceur de son âme’ disait Baudelaire, à la vue de l’affreux bonhomme je compris le sens des ces mots, ou plutôt je cru le comprendre. Ce n’est pas tant le visage qui reflète l’âme mais l’âme qui sculpte le visage. Et jamais, jamais je n’oublierai ses yeux presque noirs et d’une tristesse infinie qui me lancèrent un regard assassins lorsqu’il s'aperçut de mon jugement. Alors je sentis mon propre visage se muer imperceptiblement, sûrement qu’aucune altération n’était visible, mais moi je le sentis. Les années passant, ce regard continua à me ronger, modifiant peu à peu ma peau, ma chaire et mes os jusqu’à ce que l’on me regarde avec la même pitié dont j’avais jadis fait preuve.
Alors je réalisais finalement :
J’avais un visage anguleux, marqué par la rudesse de ma vie. Mon âme avait fait de moi un monstre.
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