Leçon numéro 2 - L'ENVIE

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Leur deuxième rencontre fut tout aussi inattendue.

Sérieux, efficace, dévoué.

Le sauveur des âmes perdues !

L’échec face au condamné à mort fut une surprise mais tout était hélas possible face à une âme aussi noire. On pardonna à Elendriel et l’ange serra les dents de dépit.

Jusqu’à la deuxième rencontre.

Leur deuxième rencontre eut lieu un soir dans une maison très pauvre située dans une campagne gelée par le froid et l’hiver. Une famille mourant de faim dans laquelle le fils aîné ne dormait pas.

Les gémissements de douleur le tenaient éveillé. Ses neveux et ses nièces avaient faim et en mourraient. Il souffrait le martyr de ne pouvoir rien faire.

Et pourtant Dieu était témoin de tous les efforts que le jeune homme entreprenait chaque jour pour trouver de l’argent. Du travail. De la nourriture. En vain.

Une nuit de désespoir aux portes du péché. Une âme prête à tomber.

Elendriel était là et essayait de sauver l’homme. Une discussion dans un esprit tourmenté. Les prières sont écoutées, l’espoir est un réconfort, Dieu entend les malheureux…

Elendriel luttait contre le désespoir pour sauver une âme innocente.

« L’envie… Mhmmm… Un si beau péché... »

Décidément, l’ange était facilement surpris. La démone était là, tout sourire. Assise sur la couche du jeune homme, jolie succube prête à se donner, apportant des rêves interdits pour briser les tabous.

Elendriel fut agacée. Elle se redressa et marcha vers la succube avec un regard de feu. Un bel ange digne des Préraphaélites.

« Ce n’est pas l’envie ! C’est le désespoir ! Cette âme est jeune et innocente ! Arrière démon ! »

Ces mots, si surannés, provoquèrent le rire de la démone. Petit bruit cristallin qui résonna dans le silence de la nuit.

« Où est ta croix mon bel ange ? Il te manque un exorciste pour me faire fuir ma chérie ! »

Ne pas retomber dans le même piège que la dernière fois !

Elendriel se détourna de la succube et reporta son attention sur le jeune homme, prêt à se lever et à quitter la sécurité de sa maison...pour aller voler un pain… Voler est un péché ! Elendriel reprit ses exhortations dans l’esprit encore malléable de ce malheureux.

Dieu entend, Dieu aide ceux qui croient en Lui, il faut garder courage…

Un rire dans le creux de l’oreille d’Elendriel, un souffle chaud aux senteurs épicées :

« L’envie… Tellement simple d’y succomber…

- Ce n’est pas de l’envie !, jeta Elendriel, irritée. Il a essayé de sauver les siens. Pas de travail ! Il a la foi, il est sauvable ! »

La succube recula lentement, le mouvement fluide d’un chat, le balancement délicat des hanches, elle se plaça au-milieu de la chambre, un sourire ironique sur le visage.

« Mon Maître avait fait un pari avec le vôtre il y a longtemps. Une lutte pour l’âme de Job. Voulez-vous réitérer ?

- Cette âme était celle d’un Juste !, opposa fermement l’ange.

- Donc vous vous avouez vaincue ? »

Le sourire devenait espiègle et les yeux se mirent à briller. Malgré elle, Elendriel en nota l’éclat d’émeraude. Magnifique. Des yeux étincelants aux couleurs de forêt.

« Je ne joue pas aux jeux du démon !, lança froidement Elendriel.

- Dommage, » souffla la démone, à nouveau tout près de l’ange.

Elle nota avec joie et stupeur le petit mouvement de recul de l’ange.

Un jeu ?

Elle sourit, tout à ses calculs.

Que lui offrirait-on si elle faisait tomber un ange ?

Alouqua, la maîtresse des succubes, son supérieur en titre, pouvait lui permettre de gagner un rang dans les neuf cercles infernaux.

Il suffisait de jouer.

Et Ardat-Lilli, démone de Babylone, adorait jouer.

Un bref mouvement des mains et la succube se mit à parler dans l’esprit du jeune homme perdu devant l’abîme de la tentation.

Il y a des riches qui ont de quoi, il y a des riches qui mangent à leur faim, il y a de l’inégalité dans ce monde… Pourquoi ne pas rétablir la balance ? Juste une fois ?

Un sourire dédaigneux tandis que la jeune âme se redressait, séduite par ce discours si simple.

Les hommes sont si faciles à duper.

Il y a des riches, certes, mais il y a des pauvres qui ne succombent pas, Dieu aime ses créatures, les Voies du Seigneur sont impénétrables, il faut conserver la confiance !

Elendriel se levait à son tour et implorait. L’espoir, l’espoir, l’espoir. Dieu a laissé l’espoir aux hommes.

Les hommes ont besoin d’espoir plus que de pain.

Un volte-face, les deux êtres éthérés se faisaient face. Une jolie danse, face à face. Ardat-Lilli déploya ses ailes de cuir, sombres et larges, une nuit sans espoir pour les hommes, Elendriel agit de même et deux ailes de plumes, blanches et douces, battirent l’air pour en chasser les miasmes du démon.

L’envie...l’envie...l’envie… Il y a des hommes qui ne connaissent pas la faim, il y a des hommes qui ne voient pas mourir leurs enfants dans la noirceur de la nuit, il y a des hommes qui ne savent pas ce que c’est que la souffrance… Un pain ? L’envie de manger une fois à sa faim et de voir les enfants dormir sans pleurer de douleur… Comme eux, comme les riches, comme les autres…

Les yeux verts brillants de plaisir en fixant le bleu d’azur des yeux de l’ange.

L’espoir...la prière...la confiance. Dieu est bon pour ses créatures. Il faut croire, prier, garder la foi. Il y a des hommes qui succombent et ils sont perdus. Que gagner dans un tel choix ? Tomber ? Et les enfants ne seront pas sauvés, ils seront seuls et...mourront sans soutien… Il y a des hommes qui aident, il y a des riches qui ont bon cœur. Espérer en la charité, demander de l’aide, garder la foi. LA FOI !

Un sourire, méprisant et amusé. Ardat-Lilli connaissait ce discours par-coeur par-delà les siècles et les époques.

Un peu de rhétorique et une légère séduction.

Les ailes de cuir, noires et larges, enveloppèrent dans leur écrin d’ombre le jeune homme, assis sur son lit, les yeux agrandis par la terreur de la chute. Et la voix d’Ardat-Lilli se fit murmure de soie, belle tentatrice.

Il ne saura rien. Il ne voit pas. Il est sourd et aveugle. A-t-Il entendu les prières ? Un pain et ce sera la fin de toutes les souffrances.

Un tendre chuchotement, une protection par le Mal, une caresse douce sur une épaule… Le jeune homme frémit sous le toucher.

Il ne voyait rien des deux êtres, bien entendu, mais il ressentait la puissance et l’attraction. Les succubes apportent des rêves de luxure aux hommes, même aux plus Justes d’entre eux. Cela fit rire la succube, elle se promit de visiter une autre fois ce jeune homme si innocent et de lui apprendre d’autres tours que la prière.

Une fois, une seule et ils ne connaîtront plus la faim. Personne ne le saura…

Elendriel priait Dieu, elle implorait, elle suppliait, les longues ailes duveteuses claquaient dans l’air, impuissantes.

Puis le jeune homme se leva de son lit, les yeux déterminés et le regard perdu. Il avait fait son choix.

Elendriel le vit quitter la sécurité de sa maison pour les crimes de la nuit avec tristesse. Elle avait perdu une âme ce soir.

Un long soupir. Perdre une âme n’était jamais un bon sentiment, il brisait un ange. C’était ressenti comme un coup de poing dans l’estomac ou un couteau enfoncé dans un flanc. Surtout lorsque l’âme était bonne et succombait à la tentation.

Elendriel sursauta lorsque les lèvres de la démone lâchèrent un souffle chaud dans sa nuque.

« Il y aura d’autres âmes à sauver. Il y aura d’autres combats à gagner... »

Avant d’ajouter, la perverse :

« Ou à perdre. »

Et sans laisser le temps au bel ange dépité de répondre, la démone disparut dans l’éther.

Leur deuxième rencontre fut inopinée.

Ce fut la dernière fois qu’une de leurs rencontres le fut.

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