Corpus sine Luce

4 minutes de lecture

Il existe de grands compagnons qui nous suivent en permanence. Ils naissent lorsque nous poussons notre premier cri, et meurent lorsque nous expirons notre dernier souffle. Ils sont partout, mais on leur tourne le dos. Généralement on ignore leur présence. On ne connaît même pas leurs noms, et pourtant, ce sont nos plus fidèles camarades ; les seuls qui ne nous lâcheront jamais malgré les bourrasques de nos disputes, les seuls qui ne nous abandonneront jamais malgré les remous de nos convictions, les seuls qui ne nous délaisseront jamais malgré les tempêtes de nos vies, les seuls qui ne nous renieront jamais malgré notre triste condition humaine.


Malheureusement nous sommes incapables de les qualifier, ces grands alliés qui suivent nos pas. Ils sont obligés de ramper sur le sol, quelles que soient leurs douleurs et leurs souffrances. Ils changent de taille au fil des heures, parfois atteignant les cinq mètres et d’autres fois disparaissant de notre champ de vision. Ces êtres au teint opaque ne sont pas régis par les mêmes lois physiques que les nôtres. Ils sont presque les exacts contraires de l’humanité, et pourtant les hommes et ces individus sont les plus loyaux amis. Que de miracles résident en ce monde !


Il ne faut pas croire que ces créatures vivent toujours à nos pieds. Malgré leur dévotion envers nous, ils partent lorsque nous ne les regardons pas, vers les mondes leurs appartenant, tout en pensant toujours à nous. Ils vivent dans d’énormes cités flottantes posées sur des miroirs au-dessus des nuages blancs où la lune brille de mille feux, mais en dessous du sol noirci par les tempêtes solaires. On pourrait croire que leurs villes se dressent le plus haut possible telles des mains voulant atteindre le ciel, mais il n’en est rien. Ces métropoles ont les mêmes caractéristiques que les habitants, c’est-à-dire qu’elles changent de taille selon l’heure, disparaissent parfois totalement tout en rampant sur les miroirs constituant leurs fondations. Mais la première chose qui nous frappe lorsque nous arrivons aux pieds de leurs constructions, c’est la disparition de l’ensemble des couleurs que les faibles yeux de l’espèce humaine puissent voir. Un blanc omniprésent envahit les murs des bâtiments. Si on pouvait lire leurs caelibreve (des sortes de pages tracées dans l’air ambiant, dont la texture est semblable à de la gelée), nous comprendrions que les globes oculaires de ces êtres leur permettent de voir un spectre de couleurs différent et bien plus élargi que le nôtre. Ainsi, pour ces êtres, la ville est une farandole de couleurs particulières, du « ratopi » au « môlamasse », quel régal pour les yeux des habitants. C’est même un point primordial dans leur vie. Les couleurs sont leur nourriture, leurs loisirs, leur vision de la vie… Tout tourne autour de ces variations de vision dans leur culture. Des fêtes sont organisées chaque année autour de ce thème. Surtout pendant la saison du « Fasam » où la plus grande fête de tout leur calendrier se déroule. Il s’agit de la symphonie du « Lliwiau aer », où les plus grands musiciens du monde sont appelés à la capitale pour jouer de leur imposant instrument, « sinfoninen elin » (Sorte d’orgue plat à pavillons). Et lorsque la ville atteint sa taille paroxysmale de la journée, lorsque le crépuscule couchant darde ses fins rayons sur la ville euphorique, les plus grands concertistes appuient sur les touches de leurs instruments afin de faire échapper sons et couleurs dans la douceur du soir. Alors, Ils se diffusent et voyagent de ville en ville, où tous ont l’occasion de voir ces dernières se chamailler, se battre ou se mélanger. Un spectacle magnifique, qui se termine lorsque l’astre du jour cesse de montrer sa lumière. À ce moment-là, toutes les couleurs e tous les sons gagnent un poids qui les fait brutalement chuter sur le sol noir. Les couleurs s’évaporent en relâchant une mélopée funèbre, indiquant la fin du cycle de vie.

C’est une chose inoubliable que d’assister à une telle représentation de leur folklore, mais presque personne parmi les hommes ne peut voir les effluves lumineuses des douces couleurs. Les hommes ne voient qu’un blanc profond et désespérant. De nombreux scientifiques se sont attardés sur la question mais pour l’instant personne ne peut apporter de réponses. Enfin, personne parmi les hommes de sciences, parce que moi, je peux dire pourquoi d’aussi jolies couleurs ne peuvent être vues que par les habitants de l’autre monde. Leur système économique, bâti à partir d’une monnaie stable, est florissante. Leur société, aucunement brisée par des conflits par la présence d’une seule et unique nation, est soudée. Leur art, basé sur l’inspiration des autres cultures et de chacun des individus de ce peuple, est incontestablement sublime. Leur technologie, développée par ce magnifique équilibre que sont les couleurs primaires, ne produit ni surplus, ni déchets, est l’une des plus précises qu’il soit. L’individualisme, chassé à partir d’actes solidaires et de réunions globales tel que le « Lliwiau aer », est en voie de disparition. La philosophie, éveillée dans l’âme des plus jeunes afin de comprendre notre monde et leur monde, est en renouvellement perpétuel. Vous la sentez la différence fondamentale entre nos deux civilisations qui se reflètent sur le spectre visible des globes oculaires de chacun ? L’homme a une vision à court terme des choses et ne pense qu’à lui-même, traduisant un développement extrêmement lent et au prix de nombreuses ressources précieuses produisant une quantité énorme de poisons qui freine sa propre progression. Les ombres, car oui, cette société au monde idyllique est peuplée par les reflets de nous-mêmes, possèdent un esprit collaboratif étonnant. Les plus jeunes d’entre eux font déjà preuve d’autorégulation et possèdent une morale « propre ». Alors voilà ce qui justifie la vision d’un blanc unique et profond chez l’humanité. Des pensées malfaisantes engourdissent leurs yeux et bouchent leur vision. Et ces pensées mèneront notre monde à sa perte tandis que les ombres prospéreront dans leur civilisation proche de la perfection même, où la paix et la stabilité seront les monarques adulés des habitants. Leur sagesse est connue jusqu’aux confins des mondes les plus lointains, car ils veulent aider d’autres espèces en détresse comme la nôtre. Vous croyez vraiment que ça leur procure une suprême satisfaction de nous coller aux basques ? Vous croyez qu’ils sont heureux de se voir ignoré par nous, les hommes égo-centrés ? Peut-être serait-il temps de baisser la tête, d’ouvrir les yeux et de lancer un contact avec ces parfaites créatures dans leur monde idyllique ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Sandmess ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0