Summer - CHAP I - part 1

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Des flashs commençaient à se manifester. Le premier était survenu, il y a sept semaines. Je m'étais préparée à l'accueillir de bonne grâce, car les médecins étaient tous formels ; ces brèves apparitions mentales seraient un bon signe pour mon rétablissement. Seulement, ils avaient fâcheusement oublié de mentionner l'agressivité avec laquelle ils allaient m'assaillir. Je l'avais compris lorsqu'un matin, une vision m'avait percuté l'esprit avec une telle force de frappe, que ma respiration en fut fauchée au point de frôler l'évanouissement. Si j'étais physiquement sortie du coma, on dirait que mon subconscient se réveillait enfin. Prêt à se battre pour récupérer ses données dans son espace de stockage.

Puis un second s'était produit pas plus tard qu'hier soir. Aussi brutal que le précédent, un flash avait de nouveau surgi du passé. Les images qui s'étaient interposées étaient toujours brouillées et il m'était impossible de discerner l'origine des sons. Ce n'étaient que des échos nébuleux qui martelaient mon crâne. Si chaque flash-back se révélait aussi intense, les jours à venir menaçaient de devenir mon chemin de croix. Une sale épreuve de plus à affronter depuis les six derniers mois.

Ce drame qui avait emporté avec lui toute mon identité. J'étais rongée par un sentiment d'imposture. À commencer par mon prénom ; Summer. Six lettres qui respiraient la chaleur. Foutaise ! La seule once de chaleur qui me caractérisait, c'était cette brûlure indélébile qui traversait par la diagonale ma clavicule et mes côtes. Le corps médical responsable de la traumatologie routière lui avait même donné un joli nom « traumatisme de ceinture ». Si ma mémoire pouvait se schématiser en une espèce de gruyère rempli de trous noirs, elle s'enrichissait néanmoins d'un lexique remarquable : polytraumatisme, désincarcération, trauma thoracique, lésions cérébrales et mon terme préféré restait l'amnésie rétrograde. Cela signifiait que je souffrais de pertes de mémoire concernant une période majeure avant l'accident. Mais comme-ci ce n'était pas grandement suffisant, la sévérité des séquelles de mon cortex cérébral ne possédait qu'un très faible pronostique de récupération de mes souvenirs. En conséquence, j'étais potentiellement condamnée à vivre avec une partie de mon passé stérile.

Quels étaient mes rêves, mes expériences passées, mes croyances les plus profondes ?

Quel paradoxe vicieux lorsque l'on connaissait le portrait qu'avait pu dresser mon entourage à mon égard. Autrefois, celui d'une personne sensiblement concernée par la douleur d'autrui, dotée d'une grande empathie et d'un amour inconditionnel pour les autres. Le plus absurde dans tout ce merdier ? J'étais en deuxième année de médecine ! Dans une vie antérieure, j'avais du salement provoquer le karma ! Son coup du sort crapuleux devait être ma quittance pour payer ma dette de mauvaises actions. Je vous l'avais dit, Summer Allen était une supercherie ! Une pâle copie de l'extraordinaire et talentueuse âme charitable décrite par tout le monde. D'ailleurs, c'était qui tout le monde ?

Ma mère ? Dont j'avais oublié la paralysie faciale causée par une tumeur poétique, la bien nommée schwannome vestibulaire. Mon père ? Que je n'avais qu'à peine reconnu, la faute à quinze kilos en trop et une calvitie intraitable. Mon frère ? Où j'avais été le témoin de son mariage qui m'avait été effacé, avec une femme qui m'était complètement étrangère et dont le ventre était sur le point d'expulser un petit humain. Ma meilleure amie ? Celle où seul le souvenir de ses trahisons me restait enregistré.

Je ne méritai plus leur admiration, comment le pourrai-je ? Il ne restait absolument plus rien de cette fille-là ! Non, je n'étais pas morte, c'était bien plus cruel, j'avais ressuscité sous les traits d'une imposteuse...

Chaque journée depuis cent quatre-vingt-sept jours, je me démenai pour reconnecter les fusibles qui avaient bien pu sauter lors de mon accident de voiture. Il m'avait été fortement conseillé de rester très centré sur tous les éléments qui interféraient dans ma vie d'avant. J'avais tenu cinq mois... Au début, c'était leur enthousiasme qui me paralysait ! Ils continuaient à me couvrir d'adoration pour m'éviter de sombrer dans la dépression. À chaque fois que mon père vantait les mérites de sa fille si intelligente et si dévouée, il meurtrissait un peu plus ma dignité.

Désolée papa, ta petite interne studieuse préférée ne se souvenait même plus qu'elle avait un jour voulu devenir neurochirurgien...

Puis le temps avait passé et leur confiance optimiste avait laissé place à une toute autre émotion. Dans leur regard, j'avais perçu la lueur d'une douleur singulière ; le reflet du deuil de mon « ancienne moi ». L'espoir de revoir leur bien-aimée Summer avait fini par les déserter progressivement. Ils avaient abandonné ! Tous ! Ils avaient accepté l'idée qu'une partie de mon existence soit morte le trois novembre deux mille vingt. Je n'étais, pour eux, plus qu'un dommage collatéral entre ma voiture et ce putain de virage à l'angle de la onzième rue qui menait à l'Université de médecine de Lexington, dans le Kentucky. À choisir, je préférais encore être la fifille prodige que celle au destin raté. Mon neuropsychologue pensait qu'ils se protégeaient si jamais je ne retrouvais la mémoire. Que le simple fait d'avoir failli me perdre pour toujours avait suffi maintenant à les contenter de la personne que j'étais.

Pour maîtriser mes ressentiments et rendre m'a rancœur plus tolérable, j'avais pris la décision douloureuse de m'éloigner. Comme compagnons de route, m'avaient suivi, deux valises remplies d'histoire. La mienne entre autres - ou plus justement - celle de mon passé. Des objets m'appartenant, des cours de médecine, mon ordinateur, autant de choses qui puissent m'aider à recouvrer la mémoire. Mon road-trip avait fait une halte à l'Est, dans la ville d'Owensboro. Après près de quatre heures et demi de route, le bus avait marqué son deuxième arrêt sur une aire qui longeait un grand axe de communication. Dans le périmètre, se dressait un fast-food, une station essence et un motel. Une affiche écrite à la main avec une belle rature était placardée sur la façade du restaurant :


« Nous embauchons. »


Elle avait été là, l'invitation à reprendre ma vie par un début ! J'avais soudainement pris conscience que j'avais peut-être fait l'erreur de vouloir la prendre en cours, essayant d'égaler celle que mon entourage voulait que je sois. Mais il était temps d'envisager de me construire une nouvelle identité, juste au cas où la première version de Summer ne daignait jamais revenir...

Le patron m'avait convaincu avant même que le chauffeur de bus ait annoncé aux passagers de regagner leur siège. Se voir proposer une avance pour que je puisse occuper une chambre du motel d'en face, avait été l'argument décisif. De ce que j'avais compris, l'affiche était là depuis un bout de temps... En définitive, j'étais pour Bernie, ce qu'il était pour moi : une chance à saisir !

Ce vendredi soir, cela faisait vingt-quatre jours que j'étais devenue la nouvelle employée de « Chez Bernie's - Burgers et Fries » . En tailleur sur mon lit de fortune, au milieu de feuilles et manuels, avec une blouse blanche sur le dos, je suturai une banane à sa peau. La cinquième depuis le début de la semaine. En vérité, c'était plutôt le tuto YouTube qui m'éclairait le mieux ; bien plus que ce charabia griffonné dans mes anciens cours. Dès que j'aurais un minimum d'argent de poche, je me procurerais un kit de suture pédagogique. En attendant, ce fruit faisait le job.

J'allai m'auto-féliciter pour avoir réalisé à cette banane, une suture plus fine et propre que ces congénères fini à la poubelles, quand des coups vifs me détournèrent de mon attention. Sous la surprise, le haut de mon corps s'était brusquement redressé. Plus terrifiant encore, une frayeur saisissante m'arracha un cri perçant lorsqu'une silhouette tambourina intentionnellement contre la porte de ma chambre. L'une de mes mains relâcha sa crispation sur mon haut de pyjama, à l'endroit où se trouvait mon palpitant, pour se saisir en vitesse du téléphone fixé au mur. Je tentai de joindre l'accueil, mais la ligne sonnait occupée !

— Jane ! Ouvre cette porte, c'est moi !

Il m'était possible d'avoir légèrement menti à mon patron sur mon identité. Mon antipathie envers Summer était si forte, que je ne supportais plus de porter ce prénom. Jane, relative à Jane Doe, une expression que l'on donnait aux personnes de sexe féminin non identifiées, me paraissait plus adéquat.

— Bernie ? sondai-je comme pour m'assurer que j'avais bien reconnu la voix.

— Tu connais quelqu'un d'autre, mis à part moi, qui est au courant que tu crèches ici ?

Non. Si ce n'était peut-être la gérante de ce motel qui n'en avait strictement rien à faire de mon identité.

— Il faut que tu me laisses entrer, c'est urgent !

Je raccrochai le combiné et ouvrai la porte pour laisser entrer mon employeur. Bernie se précipita à l'intérieur et referma lui-même le battant à double tour. Il s'agita ensuite près des fenêtres et tira les rideaux troués par les mites pour nous dissimuler de l'extérieur.

— Éteins les lumières !

— Quoi ? Mais... pourquoi ?

— Jane, bouge-toi le cul et éteins ces PUTAIN de lumières !

Je quittai ma torpeur pour faire ce qu'il me dit. Je nous plongeai dans la pénombre et me reculai à pas chancelant dans un recoin, le plus distancé de la porte.

— Et si... vous me disiez ce qu'il se passe, maintenant ?

— On est dans la merde sévère... maronna-t-il en examinant discrètement les alentours au travers des carreaux de la fenêtre.

Je n'aimai pas du tout le « on » dans sa phrase. À bien y regarder, je n'avais jamais vu Bernie dans cet état. Même quand une célèbre équipe de football américain avait débarqué au restaurant, surexcitée et affamée, alors que nous étions en rupture de poulet frit, il n'avait pas autant paniqué.

L'homme proche de la cinquantaine, venu perturber ma séance de pratique, avait l'attitude d'un gibier pris en chasse. L'affolement que je décryptai par le biais de ses gestes et de sa respiration rapide et saccadée, me fichait une trouille bleue.

— Je dois de l'argent à des types. Du genre, un max de thunes.

— Mais... je ne comprends pas... le snack marche bien. Vous m'avez même donné une somme d'argent en échange d'une prise de poste immédiate.

— Je l'avais gagné sur des courses de chevaux puis l'ai reperdu au pari suivant. J'écoule un endettement sur des mois d'impayés de loyers aux propriétaires des murs du restaurant.

— Mais comment je vais payer la gérante du motel ? Vous m'aviez accordé assez pour ne tenir qu'une semaine ! j'ai réussi à négocier l'occupation de cette chambre jusqu'à la fin du mois en promettant de régler dès la tombée de mon salaire, en supplément d'un repas gratuit « Chez Bernie's - Burgers et Fries ».

Mon boss quitta la fenêtre des yeux pour se tourner vers moi.

— Tu as vraiment donné ta parole à quelqu'un pour bouffer gratos chez moi, sans m'en avoir parlé avant ?

— C'est tout ce qui vous importe là, maintenant, tout de suite ?! Non, parce que je cherche toujours à comprendre ce qui vous a poussé à venir vous réfugier ici.

— Désolé ma grande, mais tu étais la personne la plus proche susceptible de m'ouvrir. Ces fils de putes m'ont envoyé un de leur larbin au restaurant pour me menacer. Par chance, leur dernière recrue n'est pas très futée. Il m'a amoché le flanc, mais j'ai réussi à me sortir de sa prise pour m'enfuir.

— Vous êtes blessé ? Oh mon dieu ! Faut appeler les flics !

— Soit gentille, contente-toi de rester calme et de faire marcher ton cerveau plutôt que de me balancer ce genre de connerie.

— Dans ce cas, je mérite de savoir qui sont les hommes à qui vous devez de l'argent.

— Ça, tu ne vas pas tarder à l'apprendre. Leur prospect a dû ameuter tout le clan des connards les plus appréhendés de cette ville ! Dit-moi Jane, t'as une caisse au cas où l'hypothèse qu'ils viennent vérifier que je me planque dans une des chambres de ce motel, se présente ?

— Je sais pas, vous en voyez-une garer sur le parking ?

J'avais croisé les bras sur ma poitrine, ma peur cédant sa place à l'agacement. Le culot qu'avait trimbaler mon patron jusque dans mon repère secret, commençait sérieusement à tourmenter ma patience.

— C'est bien dommage, parce que quatre Harley viennent de se séparer. Deux prennent la direction du snack tandis que les deux autres sont à présent stationnées devant l'accueil.

Pour confirmer ses dires, le bruit de grosses cylindrées confronta la plénitude des lieux. Je venais de m'accroupir sur le sol en moquette, recroquevillée autour de mes genoux ramenés contre mon buste.

Mes chances de m'en sortir sans une égratignure étaient de combien si on en déduisait celles qui m'avaient déjà sauvées d'un accident mortel de la route ?

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