-Chapitre 20-

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Ce ne fut qu'à ce moment-là que je compris que le petit tentait de s'ouvrir à moi, me montrant une facette de sa personne qu'il ne montrait qu'à ceux dont il jugeait digne de confiance. C'était étrange de voir comme, de simples larmes pouvaient détenir une telle symbolique. Étrange de voir comme ces quelques gouttes d'eau pouvaient vous soulager la conscience, comme ce fut le cas pour moi.

« Je ne peux rien te promettre, je ne suis pas parfait et je ne le serai jamais de toute façon. Sache juste que je serai là. Parce que je veux vous aider, vivre à vos côtés, tout comme je souhaite pouvoir grandir grâce à vous deux.

-Tu es mon papa de cœur alors ? Demanda-t-il penaud.

-C'est une jolie façon de voir les choses. »

Sur ces belles paroles, il déposa un rapide baiser sur ma joue et, essuyant d'un revers de manche ses larmes de crocodile, m'adressa un immense sourire. Tandis que je me relevais, il commença à tourner autour de moi en cirant à tue-tête qu'il avait un ''papa de cœur'', me faisant sourire de plus belle. Il finit rapidement par se lasser des mouvements circulaires, mais ne cessa pourtant pas de gesticuler dans tous les sens pour exprimer sa gaieté.

Bien que personne hormis moi n'assistait à cette scène, il s'évertuait à faire en sorte que la terre, les pâquerettes, les arbres et les insectes comprennent qu'il avait enfin une figure paternelle. Dans le fond, je ne pouvais m'empêcher de trouver cela déroutant, de par la fierté qu'il exultait en déclamant à tort et à travers ces paroles. Je n'étais pas tellement un exemple dans le fond. Il le savait pertinemment, ayant lui-même signalé la présence récurrente des cadavres de boissons que j'avais délaissé un peu partout.

Alors pourquoi, en dépit de mes précédentes pensées, je ne pouvais m'empêcher de ressentir la même légèreté que lui ? Pourquoi m'entichais-je à croire que je pouvais apporter quelque chose à ce grand gaillard ? Sous le prétexte qu'il était heureux de l'aboutissement de notre discussion, pourquoi me sentais-je aussi libéré ?

Je n'eus pas le temps de m'attarder encore une fois sur ces questions, apercevant non seulement Thara près de la limite du dôme comme l'avait signalé Brad, mais également en remarquant à quel point la vue de celle-ci sembla perturber le petit Mowgli. Cela crevait les yeux qu'il mourrait d'envie de courir se blottir contre elle, et pourtant il demeurait sur la défensive, prêt à se sauver sans demander son reste. Il frissonna et bientôt, je l'imitai.

Constance (car c'était bien elle qui était encore en pleine possession de ce corps) releva la tête dans notre direction, nous observant avec méfiance. Elle nous mettait directement au défit d'oser la rejoindre. Minho ralentit, visiblement affecté. Je le dépassai, conscient de son regard braqué sur moi.

« Que fais-tu ? Tu ne peux pas te tenir tranquille au lieu d'attirer l'attention de tous à cause de ton comportement ? Toi et moi savons tout deux que cela pourrait porter préjudice à Thara. »

Non, je n'aimais définitivement pas Constance et son caractère encore plus merdique que le mien. Malgré ça, elle ignora mon ton hargneux.

« Quelque chose me chagrine avec le dôme, répondit-elle tranquillement après avoir haussé les épaules. »

Sur ce mots, elle se remit au travail sans plus développer ses propos. Le message était on ne peut plus clair mais, l'imitant, je persistai non sans appuyer mes pensées d'un long soupir d'exaspération. Ce-dernier lui fit hausser un sourcil, marquant enfin une réaction de son côté.

« Sinon, comment te sens-tu ? »

Je guettai le moment où elle avouerait avoir épuisé trop d'énergie pour pouvoir rester ici. Elle se contenta de sourire sans me regarder, toujours trop obnubilée par sa tâche, passant constamment d'un côté et de l'autre de la barrière. Tout cela sans s'offusquer outre mesure de son impolitesse ou de l'étrangeté de ses actions.

« Je fais des progrès, lâcha-elle finalement. Mais j'ai besoin de plus de temps pour comprendre ce qui se passe. »

Comme tout le monde, me fis-je.

On court tous après un temps qui ne nous attend pas, trop occupé à poursuivre sa course. Le temps lui, ne se préoccupait pas de ceux qui s'écroulait au sol, trop épuisé pour poursuivre. Il ne s'arrêtait pas pour ceux qu'il laissait derrière eux. Les enfants jouaient devant lui au début, le narguant en lui tirant la langue. Ça les faisait rire d'entendre les grands dirent que le temps filait à toute vitesse. Mais au fur et à mesure, le temps reprenait ses droits, sa place, son rôle. Les enfants grandissaient, perdaient de la vitesse. Le temps les doublait, sa vitesse ne subissant aucune variante. Puis les jeunes adultes se retrouvaient lésés derrière celui qui les avait fait tant rire autrefois. Ils pleuraient face à la réalité, l'innocence la leur ayant caché pour les préserver. Dorénavant, ils se voyaient contraint d'imiter les autres, lui courant après, sans doute pour s'entretenir avec lui, pour obtenir un délai supplémentaire auprès de cette idée qui n'avait d'yeux que pour sa mission : subsister en faisant fi de tout autre chose.

Comme pour appuyer mon idée, Constance s'arrêta brusquement et commença à tousser violemment, sans pouvoir cesser cette quinte. La main posée sur sa poitrine, je ne pouvais rien faire d'autre que l'observer en train de se démener pour rester plus longtemps. Aussi, sans chercher à cacher mon inquiétude, je lui quémandai des explications. Cela la fit rire, avec une pointe d'amertume qu'elle non plus ne chercha pas à effacer.

« Disons que mon avis sur l'état de Thara n'est pas partagé ? Elle pense être guérie, prête à reprendre le contrôle. Or, ce n'est pas tout à fait le cas et, de plus, il n'est plus seulement question de cela. »

L'expression ''sentir la moutarde nous monter au nez'', s'appliqua vraisemblable pour moi tant et si bien que ses dires ne me plurent aucunement.

« Tu n'essaierais pas de gagner du temps plutôt ?!

-Il doit y avoir un peu de ça aussi, fit-elle en m'adressant une moue enfantine. Mais qui m'en voudrait vraiment s'il se mettait à ma place. Aucun paria, même le pire des pires, ne mériterait ce sort. »

Minho choisit ce moment pour intervenir, touché par la fragilité de sa deuxième maman. Me devançant, il s'approcha de cette-dernière et, lui prenant délicatement la main, l'observa de ses grands yeux avant de lui demander de ne pas trop forcer non plus, arguant que jusqu'à présent, elle n'était jamais restée aussi longtemps. Elle le détrompa sans se préoccuper des conséquences que son côté irréfléchi pouvait provoquer chez lui.

« C'est arrivé une fois. Avant ta naissance. Elle était enceinte de toi, elle pleurait toute les larmes de son corps à cause de cela. J'en ai eu marre de ces pleurnicheries et j'ai pris sa place. Elle se plaignait de porter un gosse alors que, contrairement à elle, c'était une expérience que j'avais toujours souhaité expérimenter. »

A ma grande surprise, cela ne sembla pas blesser Minho qui se contenta de secouer la tête, exaspéré. Pourtant, moi, à sa place, j'aurai pris la mouche. Savoir que sa propre mère se mettait dans de tels états parce qu'elle était enceinte de vous, qu'on vous balance cette information en pleine face sana aucun ménagement, c'était quelque chose que je n'aurai pas supporté. Non que j'en veuille à Thara, elle avait ses raisons après tout. En revanche, Constance me dégoûtait de plus en plus. Même avec les gens conciliants envers elle, elle trouvait un moyen d'être dure à travers de simples mots, leur donnant souvent une connotation dénigrante.

Je préférai fermer les yeux cette fois-ci, conscient qu'il me fallait des réponses avant que le temps ne double la voleuse de corps. Aussi, je m'empressai de lui demander de s'expliquer au sujet de la barrière.

« Depuis combien de temps est-elle en place Adam ? »

Répondre à une question par une autre question était encore une fois singe d'impolitesse, preuve que nous ne nous portions respectivement pas dans notre cœur. De nouveau, je sentis la colère monter en flèche en moi, bien que je tentai de l'apaiser du mieux que je pouvais. Cela aurait été sans doute plus efficace si je n'avais pas autant de ressentiment envers elle.

« Pour être franc, continuai-je en serrant les poing, je ne sais pas exactement. Mais les Veilleurs doivent sans doute en avoir une petite idée. »

Je m'empressai alors de contacter Alba en utilisant pour la première fois depuis une éternité, le lien qui m'unissait à chaque membre de la meute.

Alpha ? L'entendis-je dire avec étonnement.

Je n'étais clairement pas d'humeur à ce qu'on me rappelle une fois de plus ma longue période d'inactivité.

En personne.

Je la sentis paniquer, tant et si bien que je décidai de rester objectif en tentant de mettre de côté mon ego. Se reprenant, je l'entendis me demander quelle était la raison de cet appel avec un sérieux qui aurait fait pâlir d'envie même le plus grand de tous les scientifiques.

J'ai besoin d'une réponse à une question. Je peux compter sur toi pour t'en charger ? Repris-je calmement.

Bien sûr.

J'aimerai savoir depuis combien de temps le dôme qui entoure notre territoire est-il en place. Tu t'en charges ?

Évidemment Alpha. Je vais chercher dans les archives et je vous communiquerai ma réponse au plus vite.

Merci.

Après un temps, je me permis de rajouter quelque chose, sachant pertinemment qu'elle l'entendrait malgré le fait qu'elle soit perdue dans d'innombrables bouquins de plus d'une centaine de pages volumineuses et poussiéreuses.

Et arrête donc de me vouvoyer. Tu me dois un minimum de respect mais je n'en demande pas tant. Ce serait d'ailleurs plus juste de dire que je n'en mérite pas tant.

Rapidement, je me concentrai de nouveau sur Constance dont le regard s'avérait toujours rivé sur moi. Je lui rapportai alors l'échange, non sans préciser que cette requête pouvait demander bien plus de temps que ce qu'elle semblait croire.

« N'empêche, se crut-elle permise de rajouter en bougonnant, ça craint un peu de ne pas le savoir pour quelqu'un de ton rang. Tu ne penses pas ? »

Je balayais rapidement sa remarque en expliquant la raison toute simple de ce fait : cette histoire, quant à la création de ce dôme, s'était transmise de générations en générations si bien que sa part de vérité s'est altérée au fur et à mesure du temps.

« Tu vois Constance, je préfère être sûr à cent pour cent de ce que j'avance avant de me prononcer sur des sujets importants de ce genre, surtout quand ils concernent ma meute. Et ça, ce comportement est digne de mon rang. »

Cette-dernière perdit son sourire en moins de temps qu'il n'en fallait pour dire ''ouf''', me faisant jubiler pour avoir réussi à fermer son clapet de mégère. Pourtant, je ne m'arrêtai pas en aussi bon chemin, conscient que si je désirai des réponses, il ne fallait pas compter sur la jeune femme pour qu'elle me les livre naturellement ou de plein gré. Alors je me permis de réitérer ma question au sujet de ses inquiétudes que j'imaginai grotesque au possible. Mais là encore, elle trouva le moyen de me contrarier.

« Une tierce personne m'a un jour sorti une phrase qui mérite réflexion, entama-t-elle malicieusement, si bien que j'apprécie fortement de pouvoir te la ressortir aujourd'hui et maintenant : je préfère être sûre à cent pour cent avant de me prononcer. »

Comme si tout notre échange l'ennuyait à mourir, Minho choisit ce moment pour bailler à s'en décrocher la mâchoire. Cela suffit pour détourner l'attention de Constance qui décida alors de jouer à un jeu avec lui, tandis que je demeurai debout comme un idiot, en train de les observer. Préférant m'occuper plutôt que laisser mes pensées s'évader dans tous les sens, j'optais pour contacter un autre Veilleur.

J'aurai besoin que tu me rendes un service Nao. Tu es disponible ?

De tous cette caste, seulement deux membres m'étaient sympathiques. Alba et Nao. Tous les deux étaient de ceux qui parvenaient à se distinguer d'une foule malgré le fait qu'ils faisaient tout pour rentrer dans le moule. Enfin, cela s'avérait exacte surtout pour la jeune femme. J'avais appris que Nao ne se sentait plus tellement concerné par les Veilleurs, tant et si bien qu'il faisait parler de lui. J'avais eu notamment vent d'une affaire où, pour la simple et bonne raison qu'un de ses supérieurs avaient eu le malheur de le contrarier, il avait détruit la bibliothèque privé de ce-dernier. Les livres pour eux, c'étaient quelque chose de sacré. Mais sans que je ne sache comment, il s'était débrouillé pour ne pas écoper d'une sanction et s'en était sorti indemne.

Tout ça pour dire que finalement, comme tous les deux faisaient parti des rares Veilleurs à se mêler aux autres. Notamment en côtoyant des personnes comme Connor, Finn et la bande dont ils avaient fini par intégrer les rangs. Fut un temps, avant que je n'entame des études poussées et que je ne dusse quitter la meute un certain temps, avant l'incident et mes heures passées à boire pour oublier le temps, j'en faisait également parti.

Alpha, déclama-t-il respectueusement.

Fut un temps, on riait des termes cérémonieux que les gens employaient pour saluer mon père ou les autres Meneurs de meute.

Je prends ça pour un oui dans ce cas, dis-je d'une manière plus joviale que je ne l'étais réellement. Pourrais-tu aider Alba dans ses recherches ? Et si elle pose des questions à ce sujet, dis-lui donc que n'est pas parce que je n'ai pas confiance en elle mais que j'aimerai juste que cette affaire soit rapidement clôturée pour que l'on puisse s'intéresser à des sujets autrement plus importants.

Fut un temps, je n'aurai pas été si formel pour m'adresser à lui. Ou aux autres d'ailleurs. La réponse de Nao ne tarda pas à arriver, accompagnée d'une touche d'humour.

Je m'en occupe Adam, mais je ne suis pas sûr que cela suffise à la calmer. Mais je me sacrifie avec un immense plaisir, reprit-il hilare, s'il m'arrive quelque chose, saches que je fais cadeau de mon corps à la science.

Pour mon plus grand plaisir, son amicalité était revenue sans aucune autre formalité. A dire vrai, Nao n'était pas quelqu'un de rancunier. Il prenait la vie comme elle venait, sans se soucier des obstacles qu'il surmontait sans difficultés. Malgré cela, tout comme les autres membres de la meute, il n'en restait pas moins que lui aussi je l'avais fait souffrir par mon égoïsme.

Soit dit en passant Adam, ça fait plaisir d'entendre de nouveau ta voix.

Je souris, sans me soucier de l'air sceptique que m'offrait Constance. Pas moyen qu'elle ne gâche ma bonne humeur.

« Tu ne veux pas faire une pause ? Demandai-je en la voyant peiner à retrouver son souffle après une partie de ''touche-touche'' avec Minho.

-Je n'ai pas le temps. »

Alors que je m'apprêtais à la contredire, comme c'était souvent le cas, la voix d'Alba se fit de nouveau entendre. Cette fois-ci, elle adopta un ton sarcastique qui démontra sans peine le fond de sa pensée, me remerciant de la confiance que j'avais en ses services. Nao avait dû la rejoindre.

Tandis que je les observais, Constance s'empara soudainement de la main de Minho pour l'attirer vers elle. Et, tout en me regardant avec une lueur de défi dans le regard, elle lui murmura quelque chose au creux de l'oreille. J'eus beau tendre la mienne, je ne parvins pas à identifier ses paroles. Le petit Mowgli hocha la tête et s'éloigna en courant à toute vitesse en direction du village de la meute. La jeune femme se releva lentement, me toisant toujours avec un dédain évident.

Nous étions seuls. Plus aucune personne ne pouvait surprendre notre échange, hormis Thara mais cette-dernière était malheureusement dans l'incapacité de communiquer. Sauf avec son celle qui l'a séquestré, mais je n'étais pas sans savoir qu'elle était assez radine à ce niveau.

« Est-ce que tu aimes vraiment Thara ? Demanda-t-elle brusquement. Parce qu'il est hors de question que je te laisse jouer avec ses sentiments.

-Ça n'a jamais été mon genre de profiter ainsi d'une personne.

-Je n'en suis pas si sûre, vois-tu... Cela te serait chose aisée. Autant vis-à-vis de Thara que de tes proches. Ta mère. Ou encore tes amis. Brad. Connor. Finn. Alba. Nao. Charlie. Hanaé.

-C'est vrai. Je pourrai les blesser très facilement. Mais ce ne sera jamais une chose volontaire de ma part. Ce n'est pas mon genre. Toutes les fois où j'ai blessé ceux que j'aimais, je n'en avais pas conscience. »

Constance ricana avant de reprendre.

« Comme avec Sarah... »

De quelle droit pensait-elle pouvoir parler de ma sœur aussi impunément ? Je serrai les poings tellement fort que je sentis mes phalanges craquer très distinctement. Très insidieusement, l'animal tentait de reprendre le dessus. Je le sentais qui hurlais à travers tous les pores de mon corps, qui tentais de faire sa place dans mon esprit, qui combattait mes réserves. Je ne voulais pas en arriver à là. De nouveau, la jeune femme sourit, m'arrachant un frémissement d'appréhension. Une certitude éclata dans mon cerveau, comme une bulle de savon.

Elle savait quelque chose. Et elle n'allait pas se gêner pour me la claquer au visage, que cela me plaise ou non.

« Comme avec ton père... »

Combien de temps voulait-elle faire durer cette torture ? Ne se rendait-elle pas compte du danger que je pouvais représenter une fois dans un état second ? Déjà je sentais les picotements caractéristiques du début de transformation. C'était inutile de résister, j'allais irrémédiablement me transformer. Je n'avais plus qu'à essayer de contrer ma propre colère.

« Ou comme avec Elena... »

Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase et je cédai subitement à mes instants, me jetant désespérément sur la jeune femme, oubliant totalement le fait que le corps n'était pas le sien. La colère m'aveuglait littéralement. Pourtant, m'empêchant de commettre l'irréparable, un autre loup entra en collision avec moi, me prenant au dépourvu en me sautant dessus.

Sans plus réfléchir, je commençais à rendre les coups avec bien plus de violence, à mordre sans aucune retenue dans le corps de mon opposant, sans écouter un seul instant ma conscience qui me hurlait d'arrêter. Je devais retrouver mes esprits, je le savais. Et pourtant, je ne faisais rien pour refréner mes envies d'homicide.

Elena. Elena. Ses cheveux roux flottants au gré du vent. Ses yeux marrons envoûtants. Son rire ensorcelant. Ses sourires enchanteurs. Son parfum captivants. Ma Elena. Rien qu'à moi. Personne d'autre ne pouvait la posséder. Elle avait été mienne. Et maintenant, elle en était réduite à être une image, un souvenir sensible que jamais personne, jusqu'à maintenant, n'avait osé rappeler. Certainement pas de cette manière qui plus est.

Alpha. Reprenez-vous !

Le nouveau venu me fit face, m'observant silencieusement sans prétendre vouloir lancer une autre offensive contre moi mais sans totalement resté à porté de mâchoire, prêt à réagir au quart de tour. La lueur mutine qui régnait dans son regard me ramena soudain à la réalité, aussi brutalement que possible quand je compris que mon propre Bêta avait dû me repousser avant que je n'aille commettre l'acte irréparable.

Brad, apercevant que mon corps s'était détendu, comprit aussitôt que tout était revenu à la normale, aussi se hâta-t-il de rejoindre Constance, restée sagement à l'écart pour assister au spectacle que nous lui offrions. Et bien qu'il tenta de le cacher subtilement, sa démarche boitillante me prouva sans peine que je l'avais blessé sans aucun remord à ce moment-là.

Nous reprîmes forme humaine en même temps.

« Prends-ça, fit la jeune femme en tendant un mouchoir à mon meilleur ami. J'ai beau savoir que vous guérissez rapidement, je préférerai que tu ailles soigner la plaie au plus vite. »

Il se contenta de hocher la tête, tout en me tournant toujours le dos, et appliqua le bout de tissu sur sa main ensanglantée. Je ne l'avais pas manqué. Mais serais-je allé jusqu'au bout ? Aurais-je été capable de le tuer dans la bagarre, lui ainsi que Constance ?

« Aimer Thara n'est pas suffisant pour la mériter. »

La voix ferme de mon âme-sœur trancha l'air et m'atteignit de plein fouet. Je réprimais avec difficulté l'arrivée d'un frisson et serrai las dents. Pourtant, malgré la culpabilité que je sentais imprégner chaque pore de mon corps, je savais d'ors-et-déjà qu'au nom de Elena, je ne répondrai plus de rien. De nouveau.

« Si tu la veux vraiment Adam, tu devras faire tes preuves. Démontres-moi que tu es capable de vivre avec elle, sans jamais agir sur un coup de tête qui pourrait lui être fatal.

-Jamais je ne pourrais lui faire du mal ! Hurlais-je sans oublier de lui adresser un regard noir. C'est mon âme-sœur ! »

Brad eut un sursaut moqueur, avant de me dévisager calmement, comme si de rien n'était. Toujours en s'évertuant à ne pas m'exposer pleinement sa blessure, il para ma dernière remarque en répliquant que le lien ne pouvait pas empêcher le meurtre.

« Nombreux sont les Alphas à tuer leur compagne. Aussi bien pour les anciens Meneurs des autres meutes que pour la notre. Personne n'échappe au côté irréfléchi, irrationnel de l'amour. Il suffit d'être jaloux, en colère, stressé. Une simple émotion poussée à son maximum, à l'apothéose peut faire perdre les pédales même à l'esprit le plus averti.Ce danger est plus présent pour les personnes de rangs comme le tien ou le mien, mais on le retrouve aussi au sein des membres qui composent la meute.

-Et puis, reprit Constance après avoir adressé un bref hochement de tête avec le Bêta, notamment pour rejoindre les propos de Brad, laisse-moi te poser une question : Que t'apprêtais-tu à faire quand tu t'es lancé dans ma direction ? Tu n'es pas sans savoir que si tu me tues maintenant, tu la tuerais aussi. »

Ce que je voulais faire à ce moment-là ? Tuer la femme de ma vie. Quel paradoxe... Et je n'étais pas prêt à l'admettre de vive voix. Ça aurait rendu les choses encore plus réelles. Plus douloureuses également.

Adam ! Cria une voix dans ma tête.

Agacé d'être coupé dans une discussion aussi importante, je fus tenté d'ignorer Nao. Mais je me ravisai en me rappelant qu'il n'avait rien demandé et qu'au contraire, c'était moi qui l'avait dérangé pour s'occuper d'un point.

J'imagine que si tu m'appelles, c'est que tu as trouvé la réponse.

En effet Alpha. Le dôme est là depuis exactement 467 ans. On a également découvert d'autres choses à son sujet mais je tenais d'abord à savoir si cela vous intéressait...

Ainsi, il avait senti mon impatience. Je n'étais pas assez dupe pour ne pas avoir vu son petit manège, faisant passer la question de l'intérêt pour contourner les problèmes s'il m'avait directement fait remarqué mon humeur peu facile. Comme pour affirmer mon choix et apaiser mes doutes, je me mis à dévisager la jeune femme.

Elle n'avait rien à envier à Elena.

Je t'écoute Nao.

Merci (je supposai que cela le rassurer de se dire que ses recherches ne serviraient pas à rien). Je vais tenter d'être bref car, si j'en crois les documents sous mes yeux, nous disposons de peu de temps. Contrairement aux croyances, ce ne sont pas des sorcières errantes qui sont à l'origine de cette barrière. En réalité, c'est tout un clan, une tribus entière de sorciers. La tribu du Corbeau, essentiellement composé d'hommes selon les quelques esprits qui rapportent leur existence. Le véritable problème, c'est qu'on va avoir besoin d'eux et que ce groupe est très habile pour dissimuler leur présence.

Un peu comme notre barrière à nous. Ils doivent avoir recours au même système. On sait quelque chose d'eux ?

Ils vivraient dans les environs de notre Bassin. Rien de plus.

Merci.

Je m'empressai alors de tout rapporter, tentant de ne pas voir qu'au fur et à mesure que les mots franchissaient la commissure de mes lèvres, le visage de Constance (et surtout de Thara !) pâlissait très distinctement.

« Nous reprendrons notre discussion plus tard, finit-elle par déclamer. Nous avons maintenant un plus gros problème sur les bras. Enfin, particulièrement toi. »

Brad haussa un sourcil, n'appréciant visiblement pas la menace à peine voilée. Elle finit par lâcher la bombe.

« Il y a de fortes chances pour que cette barrière faiblisse, voir qu'elle finisse même par disparaître totalement.

-Co..., commença le Bêta complètement affolé. »

Elle ne lui accorda aucune attention, rivant son attention sur moi, alors qu'elle coupait la parole à mon ami pour poursuivre.

« Les sorciers ne sont pas connus pour faire dans la durabilité, surtout envers un camp adversaire. Ils ne le diront jamais franchement, mais il y a de fortes chances pour qu'ils aient averti vos ancêtres sans que ceux-ci ne comprennent la prédiction du retournement de situation. »

Malgré toutes les informations cohérentes que Constance délivrait, je ne parvenais pas à me faire à cette idée. Mon père avait connu cette barrière, mes ancêtres aussi. Comment, du jour au lendemain, pouvais-je apprendre qu'elle n'était là que pour un temps ? Je m'étais fait à l'idée que mess descendants la verraient aussi, qu'elle continuerait de veiller sur ceux qui prendront la relève. Qu'elle serait encore là pour rappeler à tous les membres que dans le passé, des loups avaient réussi à obtenir une faveur de la part de sorciers. Et je les voyais fier de lever la tête, fier de savoir qu'un accord pouvait exister du moment qu'on y croyait dur comme faire.

La barrière était beaucoup plus qu'un rempart, qu'un atout pour notre défense. C'était aussi un lien très précieux avec notre histoire, une attache à celle-ci. C'était quelque chose de très symbolique. Alors imaginer devoir faire sans était quelque chose d'impensable. Je m'emportai.

« C'est impossible, nous l'aurions senti ! Nos sens sont plus aiguës que la normale !

-Cela ne suffit malheureusement pas, dit-elle en secouant la tête. Vos esprits ne sont pas assez touchés par la magie pour en comprendre le fonctionnement. »

Cela sembla plonger Brad dans un état de réflexion profonde. J'imaginai qu'il se parlait à lui-même en l'entendant marmonner dans sa barbe, quand je surpris certaines de ses paroles et me figeait subitement tandis qu'un goût amer dans la bouche ne se fit pas attendre. Comme pour résumer la situation afin de mieux y faire face, il déclara pensivement qu'en plus de voir les esprits, Thara pouvait également ressentir la magie. Guettant ma réaction, Constance se décida à me fournir un semblant d'explication.

« Je devais le mettre au courant Adam. Et puis, un jour où l'autre, il aurait compris la vérité. J'ai préféré la lui dire tout à l'heure, quand je l'ai vu sortir de chez toi. Je ne voulais pas qu'il puisse croire à des mensonges à ce sujet, ça aurait fait de lui un pion de choix pour celui qui souhaiterait te porter atteinte.

-J'aurai tout de même apprécie le fait d'être mis au courant avant. »

Comme un cheveu sur la soupe, carrément à côté de la plaque, Brad choisit ce moment pour poser une question, s'intéressant visiblement de savoir si Thara avait pleinement conscience de ses dons.

« En partie. Elle n'est pas capable d'avoir recours à la magie pour le moment. Elle peut voir les esprits qui ne trouvent pas le repos et les aider à le trouver. Il arrive parfois qu'elle la ressente mais sans comprendre réellement le ressentiment qui peut l'envahir. J'ai plus de notions qu'elle sur la question mais je ne peux pas intervenir pour l'aider dans cette découverte d'elle-même. Pour la simple et bonne raison que je ne suis pas dans mon corps. »

Il hocha la tête consciencieusement, ce qui eu le don de m'agacer prodigieusement.

« Et maintenant ? Que fait-on ? Demandai-je sèchement. »

En réponse, Brad se crispa instantanément. Pourtant, cela ne fut pas cela qui attira le plus mon attention, mais le comportement de Constance. Plus faible de minutes en minutes, elle faisait maintenant peine à voir. Et inconsciemment, je me rapprochais d'elle petit à petit. Comprenant que son temps la rattrapait, elle n'en fit aucun commentaire et eu même la politesse de ne pas me montrer qu'elle avait compris mon stratagème. En dépit de son état alarmant, elle reprit d'une voix forte.

« Si nous voulons que tout aille pour le mieux, la meute devra renouer le lien avec ce clan et leur demander de redonner de la vie à cette barrière. Je préconiserai de... »

Elle n'eut pas le temps de terminer que déjà elle s'effondra, les yeux révulsés. J'eus à peine le temps de la rattraper avant de constater avec douleur que, malgré son ton supérieur et ses manières énervantes, malgré le détachement dont elle avait fait preuve jusque là au sujet de son état, Constance souffrait durement sans pour autant qu'elle l'eut véritablement révélé à nous. Ses doigts tremblaient et cherchaient vraisemblablement une accroche, qu'elle trouva en saisissant mon bras. Ses ongles se plantèrent dans ma chair mais je ne trouvai même pas les mots pour le lui signaler. Son visage se tordit, et tout son corps était parcouru de soubresauts fréquents.

Minho décida de revenir à nous à ce moment-là, courant à toute allure à travers les hautes herbes. Sa panique, sa tristesse et sa peur se sentait sans peine, tant toutes ces émotions étaient à leur paroxysme à ce moment-là. Il se laissa glisser sur les genoux et, une fois près de la jeune femme, se pencha vers elle, les larmes aux yeux. Elle le consola d'une pauvre caresse fébrile sur la joue, son souffle devenait plus bruyant à mesure qu'elle tentait de bouger.

« J'aurai aimé rester plus longtemps, articula-telle soigneusement, mais cela n'aurait pas été juste pour ta vraie mère. »

Il s'empara de sa main et la serra si fort que ses articulations blanchirent sous la pression. Elle esquissa un mince sourire. On aurait dit une mourante.

« Je crois que... Non, c'est une certitude. Je suis jalouse de Thara. »

Ses paupières se fermèrent et son souffle mourut.

Alerté, je relevais la tête en direction de l'enfant, et par son seul calme face à la situation, je compris que Thara ne risquait rien, que c'était normal. Mais cela voulait également dire qu'il avait du faire face à cela, et seul cette fois-ci. Cette simple pensée me rendait malade. Un gosse n'avait pas à devoir supporter ça, à voir sa mère ''mourir''.

Cependant, je n'eus pas le temps de m'attarder sur cette pensée car des picotements se firent ressentir dans tout mon corps. Mon rythme cardiaque s'accéléra, ma gorge s'assécha. J'avais chaud, atrocement chaud. Et un sentiment de bien-être m'envahit, comme si les chaînes qui entravaient mes mouvements se brisaient soudainement. Thara respirait de nouveau. Lentement, son visage se décrispa, retrouvant son aspect juvénile que je n'avais plus aperçu dès lors que Constance avait pris le dessus.

J'avais chaud ! Je voulais la prendre dans mes bras ! La serrer contre moi ! L'embrasser à en perdre haleine !

Le lien. Il était de retour. Elle était de retour.

Il n'y avait plus qu'elle. Je ne voyais qu'elle. Ses cheveux bruns, dispersés derrière sa tête formaient comme une couronne pour la reine qu'elle était dans mon univers. Ses paupières fermées, cachaient au vu de tous le plus beau des trésors, des pierres précieuses qui vous observait avec minutie, tantôt en colère, tantôt amoureusement. Tantôt attristé, tantôt amusé. Sa poitrine se soulevait dans un rythme régulier et je fus surpris de me rendre compte à quel point je mettais, très spontanément, tout en œuvre pour respirer en synchronisation avec cet ange assoupi.

L'air s'échappait de sa bouche, m'invitant à presser mes lèvres contre la sienne, ne serait-ce que pour m'imprégner d'elle. Me rapprocher de cet être qui m'avait tant manqué. Qui était là sans vraiment l'être. Cette princesse dont j'avais besoin pour grandir en bien. Pour trouver le bon chemin.

Je l'aimais. Mais même ce mot ne pouvait décrire avec exactitude ce sentiment. Celui de vouloir lui appartenir, de vouloir la protéger, de vouloir tout partager avec elle. Je voulais rire avec elle, je voulais être à ses côtés pour la consoler, je voulais être le seul contre qui elle s'énervait. Je la voulais tout entière. A moi, rien qu'à moi.

MA Thara.

Elle ouvrit calmement les yeux, et le premier regard qu'elle accrocha fut le mien. Un frisson agréable (pour une fois !) me parcourut de la tête aux pieds. Je n'avais jamais été d'une nature vulgaire, mais la violence de mes émotions me poussaient tellement vers elle que c'était douloureux dans absolument toutes les parties de mon corps. Et j'insistai sur le ''toutes''.

Tout de suite, une autre évidence s'imposa à moi. Son regard était différent de celui de Constance. Cette-dernière avait le sien glacial, intransigeant. Son côté calculateur et perfide y transparaissait sans difficulté. A contrario, même quand elle était en colère, ma Thara gardait une certaine douceur, si bien qu'on n'avait pas de mal pour pouvoir l'observer ouvertement. On ne se sentait aucunement mal à l'aise quand, pour lui tenir tête, nos yeux se noyaient dans les siens.

MA Thara.

Sans plus attendre, je l'embrassai. D'abord tendrement, puis avec plus de fougue et de possessivité. J'aurai pu poursuivre, aller plus loin encore, mais la voix de Brad me ramena douloureusement à la réalité du présent.

« Il y a des chambres pour ces choses-là mon vieux... »

Quand je relevais la tête dans sa direction, je remarquais qu'il avait caché les yeux de Minho, non sans omettre de me faire face avec son éternel sourire moqueur. Thara, les mains posées sur mes épaules, se redressa difficilement et nicha son visage au creux de mon épaule. La flagrance de ses cheveux me revint de plein fouet et je dus faire appel à tout mon sang-froid pour me contenir.

« Ça m'avait manqué de ne pas avoir le contrôle sur mes propres actes, chuchota-t-elle. J'aurai pu te flanquer une bonne raclée pour ta réaction de tout à l'heure. »

J'explosai littéralement de rire en imaginant la scène, moi suspendu en l'air, pendant qu'elle me passait un savon mémorable. C'était quelque chose de complètement loufoque et d'irréalisable, et pourtant je ne pouvais plus m'arrêter dans mon hilarité, au point que même je finis par en pleurer de rire. Brad me dévisagea, les yeux exorbités d'étonnement.

« Que se passe-t-il ? Demandai-je joyeusement tandis que j'essuyai du doigt les quelques perles restantes au coin des mon regard. »

Il mit un certain temps pour me répondre, à tel point que Minho eut le temps de nous rejoindre pour se blottir contre nous.

« Ça faisait longtemps que je ne t'avais pas vu comme ça, lâcha-t-il en souriant avec mélancolie. »

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