"Mieux vaut ne rien savoir que beaucoup savoir à moitié" de Friedrich Nietzsche

          Oui. Yulhia a déjà tué. Si ce n'est elle c'est peut-être l'avocate. Sa réponse ne lui apprend rien. Il s'en doutait déjà. Il aurait voulu que la Blanche développe un peu sa réponse au travers d'une explication. Elle avait donc déjà tué mais fut-ce une seule fois ou bien plusieurs ? Était-ce volontaire ou bien subi ? La curiosité malsain de l'Éclopé soulevait en lui bien d'autres questions qu'il ne pouvait pas poser. Elle devait s'attendre à ce que sa prochaine question l'oblige à s'étendre sur le sujet. Peut-être même l'avait-elle prévu et tirait à son avantage les règles du jeu pour faire traîner et ne point trop en révéler sur sa personne. Loin d'être dupe sur ses intentions, il comptait bien la prendre à son propre piège.

- Vous m’emmerdez, Piastre, vous savez ô combien je ne suis pas douée pour la formulation des questions… Vous m’aviez dit que votre ancienne taverne avait brûlée. Était-ce accidentel ?

          En effet, ils avaient déjà tout deux evoqué cette ancienne taverne. Celle de Saintes. L'Assaintaise. De sa courte résidence à Saintes, il n'avait gardé que peu de choses et autant de souvenir. Celui impérissable de la mairesse trônait loin devant les autres. Juste après résidait le souvenir de la taverne et de tout ce qui le compose. La taverne avait brûlé et le même soir, le Vieil Homme avait reçu une lourde blessure dont le résultat n'était autre que cette jambe. Cependant, la question de Yulhia en elle-même ne portait que sur la taverne et pas sur la jambe. Il lui adressa le sourire démoniaque de celui qui referme ses crocs autour de la jugulaire de sa proie et lui répondit.

- Non, ce n'était pas accidentel.

          Voilà tout. Le silence s'installa alors que la réponse était donné, le temps pour Piastre d'observer la réaction de la slave et d'espérer y déceler une certaine frustration de n'en savoir pas davantage. C'était évidemment très petit et très facile que de se prêter au même jeu. Après tout, elle était dans son droit en ne lui fournissant aucune explication, mais le Rochellais ne l'entendait pas de la sorte. Tout au silence qui pesait entre eux, duquel on aurait pu entendre les mouches vrombir et les cœur voler, le sourire de Piastre restait intact, amusé.

- Vous aimeriez en savoir davantage, n'est-ce pas ? Un non ou un oui ne vous suffisent pas. Ils ne rassasient pas votre curiosité dont vous voulez me faire croire l'inexistance. Pourtant je le vois bien, du moins je le devine. Aussi vais-je assouvir ce désir. Mais avant cela, mettons nous d'accord. Un oui ou un non ne suffiront à personne, c'est un fait établi. Développons un tant soit peu. Accordons nous mutuellement la satiété de nos curiosités. Ce n'était donc pas un accident. C'était l’œuvre d'une femme. Dans une colère comme j'en ai rarement vu, elle brûla ma taverne par vengeance. Elle s'en prit ensuite à moi.

          Pour le coup, il en avait trop dit. Ou pas assez. Ce qui était certain, c'est qu'en avouant de la sorte, la curiosité de la slave ne pouvait que s'en trouver dupliquée, amplifiée. Mais la question ne portant que sur la taverne, il ne dérogeait pas à la règle. Il appelait la question suivante. Sauf si bien sur, la Blanche avait compris avec ce peu d'information toute l'histoire. Elle était à même de faire des liens entre les faits dont elle disposait à sa connaissance, mais il lui en manquait un, crucial : la motivation. Il afficha alors un sourire de circonstance plus large que le précédent et enchaîna sans attendre.

- Avez-vous déjà ressenti l'envie de me tuer ?