14h00

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« Salut Eng’ ! ». Oui, diminutif débile qu’elle prononce à chaque fois que l’on se voit, un petit rituel en quelque sorte. S’ensuit une longue discussion avec Isabelle, qui me débite une succession de banalités avec un tel engouement que l’on croirait qu’elle raconte un récit extraordinaire…
Et bla bla bla, et bla bla bla, elle me parle sans imaginer une seule seconde qu’elle est complètement inintéressante. Par moment, j’essaye d’abréger la conversation mais c’est peine perdue, elle continue comme si elle seule avait le droit de parler. Son mari par-ci, ses enfants par-là, tout le monde est parfait. A-t-elle remarqué que j’étais accompagné ? Elle s’en moque royalement en tout cas. Elle enchaîne maintenant sur les problèmes relationnels qu’elle rencontre avec ses collègues de bureau. Tu m’étonnes qu’ils ne la supportent pas !

Au bout d’un moment qui m’a semblé interminable, la voilà qui semble enfin s’intéresser à moi.

- Qu’est-ce que tu fais ici au fait ?

D’accord, c’est plus pour assouvir sa curiosité (trait de caractère qui ne lui a jamais fait défaut) que pour en retirer un intérêt quelconque. Alors que je lui réponds que je me promène tout simplement avec un ami, que je désigne de la main, elle prend un air interloqué. Les yeux ronds, elle reste bouche bée. Pour la première fois, je la vois muette. Je ne sais pas pourquoi elle réagit comme ça mais je peux vous dire que ça fait du bien…

Enfin si, je crois que je comprends, ça recommence une fois de plus… Comme l’année dernière. La deuxième fois que ça m’arrive. Je pensais que la première était un accident, une erreur de parcours. Je croyais que ça ne m’arriverait plus, que j’étais vacciné. J’avais passé les deux semaines qui suivaient cet épisode dans mon lit, à essayer de comprendre ce qui s’était passé. Je n’avais pas faim, je me contentais d’avaler le strict minimum.

Mais pourquoi je suis comme ça ? Gabriel n’existe pas apparemment. Une invention de mon esprit. Un mirage. Une hallucination. Un fantôme. Vous voulez encore des synonymes ? Une vision. Une apparition. Un fantasme. Oui, un fantasme. C’est ce mot qui résume le mieux la situation. Sauf que c’est un fantasme avec qui je pensais avoir passé une partie de la journée. Je le voyais vraiment, je l’entendais me parler, je l’ai vu manger. Alors qu’il n’existe pas. Si, il existe mais il n’est pas là. Je suis cinglé.

La dernière fois, mes parents m’avaient évité un suivi psychiatrique pour mon « bien ». Je risque de ne pas y échapper aujourd’hui. Ma mère m’avait protégé, me couvant plus que de raison. Surtout, on n’en a pipé mot à personne. Nous seuls, mes parents et moi, devions avoir connaissance de cette période noire de mon existence. Aujourd’hui, toutes ces précautions tombent à l’eau. Ma cousine a vu d’elle-même que j’avais un grave problème. Ma cousine qui ne peut s’empêcher de colporter la moindre information un tant soit peu croustillante. Alors, détenir un scoop comme celui-là, c’est la jouissance ultime pour elle…

Sans un mot ni un regard pour Isabelle, je rebrousse chemin. Je tourne la tête vers l’endroit où « se trouvait » Gabriel. En effet, c’est le grand vide. A part s’il vient d’enfiler la cape d’invisibilité d’Harry Potter, ce qui je vous l’accorde a une probabilité proche du néant, il n’a jamais été avec moi aujourd’hui. Je pense alors à regarder dans mon téléphone les messages reçus, aucune trace de ce que j’avais cru lire en réponse de mon rendez-vous. Même ça, je l’ai imaginé…

La pluie recommence à tomber, je n’y prête pas attention, je n’accélère même pas le pas. J’avance tel un zombie vers le parking souterrain, je manque de me faire écraser à deux reprises, je ne réagis pas. Miracle, je parviens à rentrer dans ma voiture sans dommage. Et là, je m’écroule. Seul dans cet habitacle restreint, je verse toutes les larmes de mon corps, me demandant ce que je vais devenir. Oh si, je le sais ce que je vais devenir. Je n’ai plus le choix maintenant. L’hôpital psychiatrique… Les yeux embués de larmes, je me décide à démarrer le moteur. A contrecœur, je prends mécaniquement la direction de la maison familiale, préparant ce que je vais dire à mes parents en rentrant.

La voiture de mon père est dans la descente de sous-sol, ils sont là. Quelques pas encore et j’y serai. Je rentre et claque la porte derrière moi. Ma mère me crie du salon :

- Déjà rentré ?

J’avance vers elle, elle se retourne vers moi et en voyant mon visage, elle comprend.

- Ça… ça… a recommencé ?

Ma crise de larmes est une réponse qui ne lui laisse plus aucun doute. Elle me serre dans ses bras.

- Je t’aime Enguerrand. Quoi qu’il se passe. On va tout faire pour te sortir de là. Et tous ensemble, on va y arriver, sois en sûr.

Je n’ose pas lui dire que je n’en crois pas un mot. Ma vie se situe désormais auprès des malades mentaux en tout genre. Réussirai-je à supporter tout ça ?

FIN

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