La Sourcière de vestiges

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Les Terres Stériles se fondaient derrière un horizon en distorsion dans l’air brûlant. L’aridité exhalait des effluves âcres qui piquaient le nez. Altière sous le soleil écrasant, Lu'ann avalait l’insondable distance à pas heurtés. Certes, sa combinaison végétale adhérait à la perfection à ses fragiles écailles. Mais la Dru’ann redoutait que l’hygrorégulation par les feuilles magiques gorgées d’eau s’amenuise à un niveau fatal avant même la fin de son épreuve.

La boussole détectrice d’artefacts prêtée par la Doyenne vibrait avec intensité dans sa main gauche. Lu’ann plissa ses yeux sans paupière, protégés par un mince bandeau de roseaux tressés. Des dunes de sable et de rocaille ondulaient sous les volutes d’un vent incessant. Sur sa droite, une vulgaire barre de métal rouillé et troué, brillante à souhait, pendait au cou d’un Fouisseur inanimé. Avec l’agilité d’un prédateur, Lu’ann s’approcha et arma sa dague haut vers le ciel éblouissant. Même mort, l’homme-taupe constituerait un trophée de valeur à son épreuve de maturité.

Le jour du solstice d’été, les Dru’ann en âge s’aventuraient pour la première fois au-delà de la forteresse forestière. Les descendantes des Dryades collectionnaient avec cupidité les objets rejetés après l’Engloutissement. La Doyenne nommerait sourcière la plus habile à dénicher des vestiges intrigants. Pour Lu’ann, le titre sonnait comme le gong de la liberté, celui qui la dispenserait du devoir ennuyeux de revégétalisatrice de terrain.

Les Fouisseurs vivaient dans des galeries le jour, à l’air libre la nuit. Parfois, ils s’introduisaient dans les forteresses en quête du liquide vital. Accrochés par les regards perçants des Dru’ann nyctalopes, ils finissaient pendus à des pieux.

Seules des respirations saccadées animaient le corps de la créature à la peau veloutée. Lu’ann observa les tentacules caractéristiques de sa bouche, si visqueuses, si répugnantes. Trois longues blessures creusées par les mêmes imposantes griffes qu’il portait aux membres supérieurs zébraient son dos aux muscles noueux. Des relents de renfermé et d’excréments agressaient ses narines.

La Dru’ann réprima un haut-le-cœur devant cette prise facile. Elle baissa le bras dans un mouvement assuré. L’astre brillait au zénith. Des squames de déshydratation se détachaient désormais de sa peau tandis que sa combinaison percée s'égouttait sur le pelage bistre du blessé. Il s’éveilla d’un sommeil forcé.

— Boire, articula-t-il avec difficulté.

La langue de Lu’ann claqua de façon stridente.

— À moi, demande correctement.

— De l’eau ? bredouilla-t-il.

Dans un ultime regain de volonté, le blessé s’assit avec difficulté sur son derrière et scruta la visiteuse d’en contrebas. Le regard froncé, Lu’ann désigna le soleil d’un index.

— Moi trouver vestige précieux.

Penaud, le Fouisseur arqua un sourcil. Il se gratta le flanc à la façon grossière d’un plantigrade.

— Si tu me soignes, je te donnerai mon collier.

— Moi pas croire toi.

Il indiqua sa peau déchiquetée d’un regard mal assuré. L’incomplétude de sa cécité attestait la jeunesse de la créature.

— Toi jamais pénétrer le territoire des Dru’ann, renchérit Lu’ann.

En dépit de l’expression ridiculement hautaine de la Dru’ann, l’homme-taupe acquiesça d’un hochement de tête.

Lu’ann se transforma en un jeune chêne avec précipitation. Telle une revégétalisatrice, ses racines pénétrèrent le sol sablonneux, puis, établirent une fondation dans les roches friables. Ses entrailles aspirèrent des filets d’eau, à plusieurs centaines de pieds sous terre. Le liquide saturé en minéraux procurait un effet revitalisant.

En surface, son tronc grandit jusqu’à dix pieds de hauteur. Son feuillage s’épanouit en largeur, offrant une ombre salutaire. Puis, de minces lianes ondulèrent le long de la douce fourrure de l’homme-taupe. La sève magique soigna les blessures, réhydrata la peau.

Tétanisé par un sortilège inconnu, le blessé accueillit l’étreinte salvatrice avec surprise. De sa bouche immonde émanaient des paroles désarticulées qui contaient ses mésaventures de pariât. Des frères l’avaient puni pour la convoitise d’un repas non mérité.

Au crépuscule, Lu’ann reprit sa forme bipède initiale, épuisée, tellement elle avait octroyé de magie. Ses pupilles à fente verticale se figèrent d’effroi à la vue des végétaux flétris de sa combinaison.

— Tu dois partir, Dru’ann, sinon mes frères te prendront cette nuit.

— Forteresse trop loin, haleta-t-elle.

Le Fouisseur l’avisa d’un regard empli de compassion.

— Sois rassurée. Tu m’as ramené du monde des mourants. A mon tour de te faire voyager.

Elle lui emboita le pas jusqu’à une brèche à proximité. Les hommes-taupes creusaient des galeries dans le sable comme personne. Lu’ann ajusta au mieux son enveloppe endommagée, ultime séparation entre son corps et celui de son porteur. Elle fit abstraction de la puanteur musquée, avant de plaquer les lamelles adhésives de ses mains au torse de la créature.

Il plongea dans une cavité, et, sous terre, creusa un tunnel à la force de ses puissantes mains en forme de pelles.

L’enveloppe de Lu’ann poncée par le sable rugueux ne résisterait pas longtemps à cette cadence effrénée. En revanche, la Dru’ann s'émerveillait de ses découvertes. Ici, sous la surface stérile du désert gisaient des filons de pierres précieuses luisantes ainsi que des sites qui regorgeaient de vestiges à foison...

Les deux êtres ressortirent derrière une dune au terme d’une longue course. L’homme-taupe grimaça, affaibli par l‘étirement douloureux de ses blessures. Lu’ann se défit avec hâte de l’étreinte. Sous la fraicheur nocturne salvatrice, son enveloppe tomba en lambeaux et dévoila un corps athlétique parsemé ici et là d’écailles déshydratées aux couleurs de l'arc-en-ciel.

À l’est, les premières lueurs du jour pointeraient bientôt.

— Voyage intéressant. À moi, le précieux.

L’étincelle des vestiges oubliés luisait encore dans son regard. Le Fouisseur tendit la barre de métal, d’un air attentif.

— C’est un harmonica. À chaque fois que tu joueras ta plus belle musique, je jaillirais au-dessus de cette dune-ci, jamais au-delà.

La richesse d’expression de son interlocuteur intriguait Lu’ann par sa sonorité fluide et poétique en comparaison avec la sienne, limitée et imprécise. Enfin, elle considéra l’objet. Les hommes-taupes étaient très sensibles aux sons, tout comme les Dru’ann. Si elle devenait sourcière, elle saurait dénicher des vestiges inestimables avec son aide.

— À moi, arme pour mon peuple te tuer, commenta-t-elle dans un effort de communication.

Il fit non de la tête.

— Détrompe-toi. Dans cette immensité, je suis libre de creuser des tunnels, d’ériger des dunes protectrices contre les tempêtes de sable, d’agir comme bon me semble. Pourvu que tu me donnes de l’eau et le pouvoir d’entraver ma cécité.

Le regard perçant de Lu’ann plongea dans celui de son partenaire.

— À Lu’ann, toi plus redevable.

Puis, elle forma une bouche de poisson avec ses lèvres maladroites et souffla dans l’instrument. Des sons crissèrent dans l’immense vide. L’homme-taupe esquissa une grimace amusée.

— Cela doit être à cause des grains de sable…

***

Plus tard, la Dru’ann s’appliqua à jouer une mélodie stridente, originale aux oreilles de son peuple.

— Mes sœurs, vestige invite au voyage.

Des claquements de curiosité résonnèrent en cœur, puis des vivats.

— Long, ton plongeon dans le sable ? siffla la doyenne, l’air songeur.

Lu’ann se redressa avec fierté. Le lourd secret de la relation avec le Fouisseur la hantait déjà. En dépit de sa grossièreté, il avait contracté un marché honorable. Pour un pacte avec l’ennemi, elle risquait une sanction exemplaire.

— Des heures. Cavité humide.

La doyenne acquiesça, insondable sur son verdict final.

En Lu’ann brillait déjà une étincelle. La frontière entre la forêt et le désert, ce lieu de heurts et de fracas dans le combat pour l’eau, s’étrécissait dans son esprit.

Avec cette source nouvelle de connaissance se dessinait une voie vers la liberté.

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