Le trajet jusqu’à Gênes

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  Le trajet jusqu’à Gênes, je le fis seul. Le train ménageait régulièrement de longues pauses afin que les voyageurs pussent visiter les villes. Un long moment j’avais déambulé dans la vieille ville, surtout dans le lacis de ruelles étroites où les maisons à hautes façades paraissaient presque se toucher, une ribambelle de linge séchait sur des fils les reliant les unes aux autres, manières de fils d’Ariane avec lesquels le soleil jouait. Je regagnai le train après une première impression favorable. J’avais été ravi d’entendre les gens parler cette belle langue si rythmée, si tonique. Je montai dans le ‘Belle Epoque’ à la suite de voyageurs qui, tout comme moi, avaient flâné ici et là à la recherche d’un quartier pittoresque ou en quête de quelques achats. Tout au bout du quai, dans des rais de soleil qui l’illuminaient, j’aperçus une Jeune Femme grande, mince, vêtue d’un tailleur de soie grège. Elle me faisait irrésistiblement penser à ces silhouettes de la période précédant la Guerre de 1914, à cette société à l’aise dans ses  mouvements et ses conduites que les historiens nommaient « bourgeoisie citadine triomphante ». Cependant elle était vêtue de plus court, de plus moderne mais son allure me semblait pouvoir coïncider avec l’Epoque dont le train voulait montrer l’emblème. De prime abord, je dois reconnaître que cette Voyageuse m’intriguait. D’où venait-elle ? De Gênes certainement. Je la voyais bien épouse d’un industriel ou d’un grand bourgeois, prenant quelques jours pour une villégiature sur la côte Ligure.  Où allait-elle ?  Un des villages des ‘Çinque Taere’, ou bien plus loin, curieuse de découvrir Naples, ses quartiers bigarrés, peut-être de voir le Vésuve et l’espoir d’y discerner de tremblantes fumeroles tachant l’azur du ciel ?

   A peine terminais-je de broder mes méditations qu’on frappa à la vitre de la cabine. La Dame au tailleur de soie grège, apparemment, était ma compagne de voyage. Je me levai et la saluai amicalement. Elle répondit à mon bonjour avec un : « Buongiono signore. È il compartimento "Art Nouveau" ? » Comme j’acquiesçais, elle répondit : « Quindi sono il tuo passeggero ». Je crois bien que j’étais ravi qu’elle se désignât comme ‘Ma Passagère’. Ce sentiment de soudaine ‘allégeance’ me plaisait. Certes je n’étais nullement venu en Ligurie pour y faire des rencontres, mais à bien y réfléchir… ‘Ma Passagère’, donc, posa sur la banquette son sac de voyage. Manifestement il était de ‘classe supérieure’. Elle en sortit un livre dont aussitôt, je reconnus le titre, étonnamment en français ‘L’enfant de la volupté’ de Gabriele D'Annunzio. Je revis, en un éclair, la situation romanesque de ce livre, je revis Andrea Sperelli, cet artiste raffiné poursuivant un amour double, sensuel, celui de la brûlante Eléna, en même temps qu’un amour plus spirituel, poétique, en direction de Maria.

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