Chapitre 21 : La découverte part 2

9 minutes de lecture

« Fascinant », Matthew ne répète plus que ce mot. Imperturbable scientifique, il décrit un à un les membre de cette faune indigène. Son regard vissé dans les oculaires du microscope épie patiemment une bête après l’autre. Il note pour chacune son comportement, ses caractéristiques, et répertorie son profil sur un document spécifique. La fièvre du savoir inhibe toute distraction. Ni faim, ni fatigue ne l’atteignent. Il oublie les autres opérations en suspens, la mission. Pour lui, cette découverte dépasse toutes les autres priorités. L’Humanité connaît là sa plus grande révélation. Il en est le témoin exclusif, du moins pour le moment. Son devoir est désormais d’en apprendre le plus possible, de transmettre le message à la Fédération, que toutes les nations soient mises au courant de la vérité. Tout repose sur ses recherches.

En se basant sur les ingrédients de la soupe primitive retrouvée dans le sable, ainsi que sur les molécules dissoutes dans l’eau, Matthew tire sa première conclusion. Les megiens sont des formes de vie à base de carbone. L’eau leur est vital, tout comme pour les espèces terriennes. Comme celles-ci, ces êtres vivent et meurent. Par ailleurs, la majorité n’a pas survécu à la nuit dans la cuve d’échantillon. Les changement de pression et d’atmosphère se sont avérés fatals pour eux. Certaines de ces créatures sont visiblement capables de locomotion, mais la plupart sont des organismes dériveurs. Leurs tailles varient de quarante micromètres à trois millimètres. Plus ils sont gros, plus ils se complexifient.

A sa grande stupéfaction, Matthew décèle beaucoup de similitudes avec les standards terriens. Pour commencer, la base de leurs corps est constituée de structures en formes de cellules, avec à l’intérieur deux noyaux et des organites. Les megiens possèdent donc un code génétique qu’ils partagent entre membres d’une même espèce, et transmettent à leur descendance en se reproduisant. Le caractère atypique de leur organisation réside en la présence de deux noyaux. En forme de haricots, ils sont reliés entre eux par des filaments. Matthew n’a pas la moindre idée de leur fonctionnement. Peut-être sont-ils à considérer comme un tout répartit en deux sections. Les processus de division cellulaires sont certainement très différents. Autours de ces centres baignent une centaine d’organites de toutes formes. Les identifier prendrait une vie de travail. La question essentielle qui l’intéresse surtout : comment ces cellules produisent-elles leur énergie ? Par des mesures des taux de gaz dissous dans les cuves d’échantillon, il note une très faible proportion de dioxygène par rapport au dioxyde de carbone. Les organismes ont dû consommer le premier et rejeter le second jusqu’à s’asphyxier. L’homme suppose donc qu’ils respirent. En se servant du répertoire biologique connu, il tente de leur donner une place dans la classification du vivant. Leur origine extraterrestre l’empêche de les considérer dans un règne déjà établit. Comment les classer comme animaux ou végétaux terriens au sens propre du terme sans commettre une erreur d’interprétation ? Pour lui, les megiens méritent leur propre arbre de familles : les natifs de Meg 15. Il s’attèlera à sa construction lorsqu’il en saura plus à leur sujet.

Au-delà de simples créatures, Matthew découvre également un remarquable écosystème. Des millions d’années d’évolution ont doté Meg 15 d’une biodiversité époustouflante. En plus d’une symétrie bilatérale, certains megiens sont équipés de carapaces de calcaire, de coquilles, de membres tentaculaires conçus pour la nage. D’autres brandissent des lignes de filaments et de pics. Nombre d’entre eux déploient des appendices hérissés d’une infinité de petits poils qu’ils trainent sur leur passage. Matthew pense qu’il s’agit d’une sorte de branchie externe leur permettant de récupérer le dioxygène dans l’eau.

Tels des planctons, ils vivent en colonies sophistiquées. Les espèces les plus grandes se nourrissent des plus petites, imposant une chaîne alimentaire. Sur une échelle décroissante de taille, Matthew divise leur population en deux :

-Il y a tout d’abord les prédateurs, ceux qu’il baptise du nom savant de « zooplanctoïdes major ». Ces megiens occupent la tranche supérieure, entre trois millimètres et cinq-cent micromètres. Parfois difficiles à cadrer au microscope tant ils sont imposants, ils présentent des apparences très diverses. Matthew se surprend à reconnaître des entités familières, de longs vers ondulants, des coquillages hélicoïdaux, ou encore des disques gélatineux similaires à des méduses. Ils incarnent le plus haut niveau de développement anatomique avec des parties dures et des armes d’attaque. Un bon exemple est un chasseur actif ressemblant vaguement à une crevette. Il dispose d’une tête bien distincte, d’une rangée d’épines sur le dos, d’aiguillons sur la queue et d’un barbillon dont il se sert pour attraper sa nourriture. D’autres adoptent des attitudes moins agressives. A l’instar de foraminifères terriens, ils filtrent paisiblement l’eau, à l’abri dans leurs protections minérales. Une troisième catégorie réunit des êtres imprécis et mous, incomparables à des équivalents connus. Fasciné par leur panoplie de formes, Matthew s’éprend d’une envie de les dessiner à la main. Il saisit un stylet, sa tablette, et dresse les croquis des espèces les plus fréquentes qu’il croise.

-En-dessous de cinq-cent micromètres, il observe les proies de cette ménagerie. Matthew les baptise « zooplanctoïdes minor ». Plus nombreux, ce sont des créatures monocellulaires et amorphes, les amibes de la planète Meg 15. Ceux-ci synthétisent probablement leur énergie à partir de minéraux, quoi qu’il en ait aperçu se concentrer autour de cadavres, et se déplacent à l’aide de pseudopodes. Leur simplicité les rend indiscernables les uns des autres, l’homme ne peut pas aller plus loin dans leur définition.

Avant de quitter leur mystérieux univers, il remarque au maximum du grossissement une fine couche de pellicules vertes. Inanimée, elle comble les vides et s’agglutine sur les parois de la lame mince en petits paquets. Un examen poussé de l’un de ces monticules révèle un nouveau miracle naturel. Ces bactéries vertes appartiennent au règne végétal. Des algues microscopiques, Matthew s’en doutait. Une source devait fatalement régénérer le dioxygène des océans pour que les créatures puissent respirer. Cette source : de petites cellules en forme de pilules. Comme tous les megiens, elles possèdent deux noyaux, mais enfermés dans une enceinte étroite. Leurs membranes captent la lumière pour la photosynthèse, ce qui explique leur teinte. Ce phytoplanctoïde doit avoir colonisé toutes les eaux de surface de la planète. Les longues journées tournent à son avantage pour profiter des rayons de Meg Alpha et se multiplier. La nuit, il emprunte un moyen détourné pour survivre, comme peut-être de respirer à la manière des plantes, ou d’entrer en phase d’hibernation. Quoi qu’il en soit, les végétaux existent sur Meg 15. Sans doute ont-ils même été les premiers à y pulluler.

En descendant les étages de ce microcosme, Matthew a voyagé dans le temps. Des cellules primitives aux zooplanctoïdes sophistiqués, il a suivi le chemin de la vie d’un autre monde. Les fruits de ses étapes se superposent, interagissent, conçoivent ensemble un équilibre écologique solide. Plus personne n’a vu de chose pareille depuis l’Expansion. D’habitude, les spécialistes travaillent sur des écosystèmes qu’ils ont eux-mêmes modelés. La nature est un pouvoir propre à la race humaine. C’est un outil que l’on greffe à sa guise sur une planète à terraformer. Les missions d’exploration servent entre autres à planter les premières graines. Mais sur Meg 15, la nature trouve un autre sens. Elle est apparue d’elle-même, a conquis ses territoires. Elle dicte sa loi, décide de vie et de mort en son royaume. Aucun pouvoir ne la force, elle est la divinité suprême de toutes les âmes à qui elle offre un souffle. Sur Meg 15, la nature est libre. Ne serait-ce pas son sens fondamental ? A force de siècles de technologies, l’Homme l’a oublié. Meg 15 n’est pas seulement un éden habitable, elle est exactement ce qu’était la Terre avant que l’Humanité ne la détruise. Cette planète est un nouveau départ, une chance d’écrire un autre futur. Matthew se projette dans l’avenir de ces êtres. Avec de la chance, au terme de générations de sélection, une civilisation intelligente naîtra. La vie serait alors un schéma perpétuel. Un monde adéquat, les bons éléments, une étincelle et le mécanisme s’amorce. Elle replacerait l’Humanité au rang d’un simple cran d’un rouage de l’Univers, de quoi regagner l’humilité que sa philosophie a perdue. Dans tous les cas, sa perception de l’existence va radicalement changer. Combien d’autres planètes dans la Voie Lactée hébergent la vie de la sorte ? Si cette dernière est apparue deux fois, alors elle a pu naître n’importe où, à l’infini. Le cosmos n’a jamais été aussi vaste.

A plusieurs reprises, Matthew redoute une crise de démence. La folie le plongerait-elle dans un rêve lucide ? Les heures se suivent comme des secondes. Son enthousiasme le retient dans un autre espace-temps. Finalement, la fatigue accumulée lui tombe dessus d’un seul coup. Un mal de crâne le déconcentre. Litz lui conseille de mettre un terme aux efforts d’aujourd’hui. A contrecœur, il éteint le microscope.

« Bien, je crois que j’en ai fait assez pour cette séance. Nous avons déjà révolutionné nos connaissances en biologie extraterrestre, laissons-en pour plus tard.

- Tu as fait du très bon travail. Je pourrai utiliser tout ce que tu as récolté lors de nos prochaines études. Avant de quitter la salle, n’oublie pas les règles sanitaires. Les échantillons doivent être détruits. Une douche de décontamination t’attend, ensuite je te préparerai un repas. »

Plus tard, avalant ses blocs de nutriments, Matthew contemple pensif ses dessins. Ces bêtes le captivent, son esprit ne s’en décroche plus. Son instinct lui souffle que ce n’est qu’un début. Si un biome miniature aussi riche s’est installé dans quelques centilitres d’eau, quel monstre marin peut bien se cacher sous les vagues ? Pourquoi ne tomberait-il pas sur des spécimens plus gros ? Ceux qu’il a rencontré ce matin ne pourraient être que des amuses-bouches. Les vraies surprises rodent encore dehors. Qu’est-ce qui l’empêche de se figurer des animaux terrestres sur l’île Pan ? Ou des plantes ? Tout devient envisageable. L’homme soupire.

« J’ai du mal à saisir l’ampleur de ce que nous venons de mettre au jour Litz.

-La première découverte d’une vie étrangère ?

-Surtout ce que cela implique, c’est énorme ! C’est même presque trop …

-Que veux-tu dire ?

-Je commence à penser aux ordres de mission. Réfléchis, cette planète est tout ce que nous attendions depuis des siècles. Nous avons toutes les ressources qu’il nous manque ici. Mais si Meg 15 est déjà habitée, ça change beaucoup de choses, non ? Nous allons coloniser le monde de quelqu’un d’autre, cela ne s’est jamais produit auparavant. Qu’est-ce qu’on fait ?

-Matthew ?

-Nous en sommes responsables. Si nous introduisons quoi que ce soit qui leur est inconnu, il y aura des conséquences.

-As-tu oublié le protocole de la Fédération ? En tant qu’explorateur, tu as été formé pour faire face à ce scénario. Dois-je te rappeler tes cours primaires ? »

Matthew rie.

« -Je sais qu’il existe un protocole Litz. Mais on m’en a parlé quand j’avais onze ans. La Fédération n’a pas jugé bon de m’y préparer plus que ça. Nous n’avons jamais rencontré d’extraterrestres avant !

-Code de l’Exploration Spatiale de la Fédération, article 90, Introduction : « Toute découverte d’une forme de vie étrangère par l’opérateur sera sujet à des recherches prioritaires afin de déterminer son niveau d’évolution, ainsi que de menace pour le déroulement de la mission. Toute tâche de terraformation est suspendue sans la validation préalable des résultats des études par l’intelligence artificielle superviseuse. »

-Je connais le règlement.

-Alors tu sais comment procéder. Nous n’en savons pas assez pour prendre des décisions. Nous devons nous investir dans des observations plus poussées, et n’agirons qu’une fois tous les paramètres connus.

-Et qu’est-ce que l’Humanité fera lorsqu’elle arrivera sur Meg 15 ? Comment est-ce qu’elle gérera la colonisation ?

-Notre objectif est notre mission. Nous ne supervisons pas les actions de la future colonie, mais garantissons que la planète est apte à l’accueillir. Nous n’avons pas à nous en préoccuper. Recentre-toi sur ce que nous faisons dans le présent Matthew. »

L’homme ne se sent pas convaincu, mais n’a plus l’énergie pour entamer le débat avec Litz. Pour l’heure, la procédure lui convient. Elle lui permet de gagner du temps pour méditer sur la suite du plan, tout en nourrissant son désir de percer les mystères des megiens.

« -Tu as sûrement raison. Nous avons beaucoup de travail qui nous attend. Nous suspendons nos activités de terraformation tant que nous ne savons pas ce à quoi nous avons affaire. En premier, nous devrions investiguer en profondeur leur habitat naturel et définir leur écosystème. Nous pourrions y trouver des créatures plus grosses que du plancton. J’aimerais savoir ce que nous cache encore cet océan, si tenté qu’il n’y ait rien non plus qui gambade sur cette île. On peut s’attendre à tout maintenant. Programme une sortie pour demain matin, vérifie la météo.

-Affirmatif.

-Oh et sort du hangars les sondes aquatiques et des rovers en stock. Nous en aurons besoin. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire OswinSwald ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0