Chapitre 17 : Premier jour

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Dans la nuit noire, les trois rovers avancent au ralentit. Guidés par Litz, ils roulent en file indienne jusqu'au module. La vision nocturne de leurs caméras éclaire leur chemin sur dix mètres. Ils longent en rang serré les crêtes en esquivant rochers et trous. A cause de la faible qualité d'image, toute mesure n'est réalisable qu'à l'aurore. L'obscurité, mêlée à une météo pluvieuse limite la capacité des instruments.

En orbite, Litz a déterminé la durée d'une journée standard sur Meg 15 grâce aux sondes atmosphériques. Son axe de rotation diffère de la verticale de huit degrés et quatre minutes. La planète complète un tour sur elle-même en cinquante-deux heures et cinquante-six minutes. Une année équivaut à environ cent-quatre-vingt-six jours. Avec ces informations, Matthew a instauré son nouveau rythme de vie : des journées de cinquante-trois heures, coupées en deux cycles de sommeil de neuf heures, deux temps vacants de huit heures, deux temps de travaux de huit heures et six repas. Le handicap sera évidemment la pénombre nocturne, il s'activera pour la mission surtout de jour, et profitera du reste pour se maintenir en forme et se détendre. Matthew abandonne au passé son périple spatial, cette période éprouvante qui ne lui a causé que des insomnies. A la place, il remplit sa tête de projets : se mettre au dessin, à l’écriture, à l’étude de ses trouvailles, et aux révisions de ses cours d'agriculture. Une nouvelle ère de sa vie débute.

Lorsque Litz transmet son premier rapport, les trois rovers sont arrivés dans la vallée sans encombre. Une forte pluie clapote sur leur tête de métal. La visibilité est nulle. Rien d'autre à faire que de patienter jusqu'au lever de Meg Alpha. Les engins se cachent à l'abri en haut d'une colline, puis se recroquevillent dans leurs cubes en veille.

Le problème des journées de cinquante-trois heures, c'est que la moindre attente s'éternise. Le matin ne vient pas. Incapable de combattre le temps, Matthew ravale sa frustration et se contente d'apprécier les petites découvertes. Par exemple, contrairement à ce qu'il supposait, les nuits ne sont pas si froides sur l’île Pan. Les thermomètres des sondes ont enregistré un minimum de moins un degré, pour une moyenne de deux. La lenteur de la planète à tourner sur elle-même devrait abaisser plus significativement la température. A partir du crépuscule, la surface évacue de l'énergie dans l'espace en continu pour n'en récupérer qu'au lendemain. De longues nuits devaient accentuer le processus. Heureusement, son atmosphère dense la sauve de la glaciation. Sa couche d’ozone brumeuse et les masses nuageuses retiennent la chaleur tout en filtrant une partie des UV néfastes. La planète doit être dominée par des courants d’air chauds, comme le prouve l’absence de calottes polaires. A leurs points de croisement naissent les tempêtes qui balaient les eaux. Matthew considère la position actuelle de Meg 15 sur son orbite. D'après les modèles, il n’existerait pas à proprement parler de saisons. De pareilles conditions climatiques se retrouveraient en tout point de la planète. Etant donné l’ellipticité de sa trajectoire autour de Meg Alpha, il pourrait simplement se distinguer une période hivernale, légèrement plus douce, et un été très pluvieux.

Litz reçoit les prévisions météorologiques des sondes atmosphériques. Des orages se succèdent sans fin, entrecoupés d'éclaircis humides. Les vents soufflent souvent à plus de quatre-vingts kilomètres heure, un premier facteur de danger pour une sortie physique. L'air a livré sa composition fixe. Malgré quelques fluctuations, il se constitue au niveau de la mer de quatre-vingt-dix pour cent de diazote, neuf de dioxygène, et un mélange d'hydrocarbures légers et de gaz nobles. Il peut se vanter à raison d'être l'explorateur le plus chanceux du cosmos, même les cas les plus propices à la colonisation n'atteignent pas ce profil. Meg 15 est bel est bien un paradis caché, la pionnière d'un genre exceptionnel. Son rapport sera une mine d'or pour la Fédération, à sa grande fierté.

Cependant, une question jusqu'ici anecdotique se pose sérieusement : pourquoi ce monde n'accueillerait-t-il pas la vie ? Matthew y a déjà beaucoup réfléchi à ses temps perdus. Plus il en apprend, plus le scénario tiendrait la route. Une planète couverte d'océans d'eau liquide, avec une atmosphère propice et des températures supportables : rien ne manque à la liste d'ingrédients. Il a tout appris dans ses cours de biologie. Après tout, c'est dans des conditions bien plus rudes que les ancêtres unicellulaires de l'espèce humaine auraient vu le jour. Se pourrait-il que Meg 15 soit une terre natale pour des organismes autochtones ? Une première dans toute l'histoire de l'humanité. Comment réagir le cas échéant ? Elucubrations ! Son esprit s’égare. La fiction n’a pas sa place dans les calculs. Cela n’arrivera pas. Matthew s’interdit de l'envisager.

Treize heures plus tard, les lueurs de Meg Alpha pointent enfin le bout de leur nez. Les averses s'estompent. L'horizon derrière les reliefs se colorie en rose. En quelques heures, un rouge vif inonde le ciel. Témoin de cet évènement surprenant à travers les caméras, Matthew frémit en silence. Une teinte aussi intense verse dans le surnaturel. A la fois terrifiante et magnifique, on croirait du sang, tâché par des nuages épars.

« Alors, voilà à quoi ressemble un matin sur Meg 15, se dit-il. Tous ces sacrifices ont bien valu leur peine rien que pour en voir un. »

L'étoile entame sa lente course au-delà des cieux. La lumière touche les côtes de l'île. Le volcan immense projette de la fumée, une nappe de brouillard sombre enrobe son sommet. Une crête montagneuse l'isole à l'autre extrémité de la contrée. Matthew choisit de nommer ce monstre de pierre : Mont Fern. Le nom d'Eva.

La butte qui surplombe le module recouvre la vallée de son ombre. Heureusement, cela n'empêche plus les rovers de prospecter. Les heures suivantes, les ordinateurs de Litz emmagasinent des milliers de relevés. Les trois robots prennent en rafale des photographies sur trois-cent-soixante degrés, détaillent les irrégularités du sol, la nature de la roche, et la disposition des lieux aux alentours du vaisseau. Matthew utilise ces précisions pour dresser un croquis géographique de son côté.

Le Darwin est logé au fond d'un creux large de huit-cent-cinquante-mètres, placé entre deux collines hautes d'environ cinq-cents mètres. L'espace est de forme ovale et s'étend sur trois-cents mètres au Sud-Est, là où les deux bosses se rejoignent. Le terrain monte en pente douce jusqu'à ce point, avec un angle d'inclinaison d'une dizaine de degrés. Quelques rochers parsèment les lieux, mais il s'agit essentiellement d'un désert de gravier et sable grossier. Sa couleur grisâtre confirme l'origine volcanique. Des dunes de poussières virevoltent, formant des tornades passagères. L'une d'elle soulève une unité et arrache sa caméra. La machine décapitée continue alors à l'aveugle avec ses autres instruments. Ses deux comparses l'aident à s'orienter. Les températures augmentent peu à peu, de quinze degrés à l'aube, à vingt-six en milieu de matinée. Cette fourchette renforce l'optimisme de Matthew pour une excursion. Avec de bonnes précautions, une personne n'a aucun problème pour survivre plus d'une heure dehors. Malgré tout, il ne néglige pas qu'il n'a passé qu'un quart de la journée. A en juger le gradient thermique, le midi s'annonce brûlant.

Leur première mission achevée, les sondes convergent ensuite vers le module-maison pour l'examiner. A première vue, il a conservé sa forme ovoïde. La gigantesque fusée a créé un cratère de particules à l'impact. Le nez et l'avant sont enterrés dans la colline, son corps s'étale sur un lit de décombres. Des fragments de propulseurs gisent dans tous les coins, des marres de carburant enrichi ont brûlé. La couche photovoltaïque de la coque ne tient plus qu'à quelques endroits. Les ballons des amortisseurs pendent mollement de leurs ancrages. Son aspect général s'apparente à celui d'une épave, mais en réalité, les dégâts structurels ne sont que superficiels.

« Je ne constate rien de grave pour le moment, fais-leur faire le tour s'il te plait, demande Matthew. »

En contournant le module par l'arrière, l'homme constate que la glissade d'atterrissage a creusé une tranchée profonde. Celle-ci se prolonge jusqu'à la colline de derrière. L'aile tribord a presque disparu sous la terre. Litz a vu juste, l'appareil est complètement renversé sur la droite. Sa masse de plusieurs milliers de tonnes l’empêchera de bouger de cette position. Le champ de pesanteur artificielle intégré à l'habitacle assure de garder les pieds au sol. Le ventre du module a basculé sur son profil gauche. Le hangar des capsules de lancement est suffisamment dégagé pour permettre d'évacuer les sondes. Concernant les issues, le module est équipé de huit sas. Fermés à double tour pendant le voyage, ils lient l'environnement intérieur et extérieur en ajustant la pression de l'air, et en stérilisant tout ce qui transite. Il y a en premier les grands sas ventraux conçus pour décharger les soutes. Mais leur mise en marche nécessite plusieurs jours de travail. Matthew ne les compte pas pour l’instant. Chaque flanc dispose aussi de trois sas individuels. Ceux de bâbord apparaissent comme les seuls disponibles dans la configuration actuelle.

« Les sas latéraux de bâbords sont accessibles. En sortant par-là, je serai à la verticale sur la coque du vaisseau. Avec une corde et un treuil c'est tout à fait possible de descendre ensuite en rappel jusqu'au sol non ?

-En effet. Mais cela représente une prise de risques dans cette configuration.

-On ne sait pas si nous n’aurons pas besoin de dégager le terrain pour se servir des sas ventraux, et les sas latéraux bâbords sont ensevelis. Donc a-t-on le choix ?

-Négatif.

-Dans ce cas, ils seront nos points de sortie, au début tout du moins.

-Nous devons d'abord vérifier leur état et les mettre en fonction correctement. Je n'autoriserai pas une excursion tant que tout risque sanitaire ne sera pas écarté. La procédure de décontamination doit être respectée à la lettre.

-Oui. On ne plaisante pas avec ça. Il y a pas mal de systèmes à passer en revue entre les agents stérilisants et les ajusteurs de pression. J'aimerais m'y attaquer tout de suite, afin d'avoir au moins un sas en activité au plus vite.

-Tout de suite ? Tu m'as dit que tu prenais la journée de repos.

-Une journée de vingt-quatre heures peut-être. Mais sur Meg 15 je ne peux pas ! Qu'est-ce qui nous retient ? Je vais bien me préparer ne t'inquiète pas.

-Je ne peux pas lutter contre ta fièvre de la découverte visiblement.

-Je pense que le mieux serait de programmer une première sortie demain matin, après l'aurore. Les températures seront parfaites et j'aurais eu le temps de tout sécuriser. Qu'en dis-tu ?

-Je vais consulter les prévisions météo des sondes atmosphériques. Si elles conviennent, je te donnerai le feu vert. Mais là, tu as déjà beaucoup de travail.

-Je m'en occupe. Litz, tu te rends compte, je vais faire mes premiers pas sur Meg 15 ! Mes premiers pas !»

Guilleret, Matthew se rend aux sas en chantant.

« -Effectivement, tu as retrouvé tes douze ans mon cher Matthew ! »

Leur mission accomplie, les trois rovers retournent en veille au pied du module. Le tonnerre gronde au loin.

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