Chapitre 13 : Rêves

7 minutes de lecture

A onze ans, Matthew n'a encore jamais vu le monde extérieur. Tout ce qu'il connait est la base de la Fédération, sur la planète Terre II. Un complexe gigantesque creusé dans le sol sur des kilomètres, et une forteresse à la surface. Sa seule fenêtre de liberté est un ciel orange, délimité par des murs aussi hauts que des montagnes.

Comme tous les adolescents, Matthew est curieux. Lassé de vivre dans cette maison disciplinée, l'envie de voir au-delà des limites le possède. Une volonté si forte.... Pourtant ses formateurs le lui interdisent. Les clôtures sont dangereuses et bien gardées. Mais la vue serait imprenable là-haut sur ce qui s'étend à l'extérieur. Une nuit, il prend la décision. Il verra la lumière du matin se lever sur l'horizon. Bravant le règlement, il quitte sa chambre et se faufile dans les couloirs. Connaissant les habitudes des gardiens, il pénètre dans une tour coupant deux segments du mur. Il grimpe les escaliers, puis débouche sur le chemin en haut de la muraille. Il escalade une antenne satellite géante et parvient à se poster face à la nuit. Le panorama est sombre, impossible de voir quoi que ce soit. Un vent fort s'engouffre dans ses narines. Un vent frais, vivant. Pour la première fois de sa vie, Matthew se sent héroïque. Il est prêt à attendre que le jour vienne.

Deux minutes plus tard, le spectacle prend fin. Les systèmes de sécurité ont signalé ses déplacements. Une foule de gardes encercle l'antenne et lui ordonne de descendre. Quelques-uns de ses formateurs arrivent sur les lieux. Matthew reconnaît tout de suite le visage de la première à s'approcher : Eva. Cette dernière est en vêtements de nuit, elle lui tend gentiment la main en souriant.

« -Matthew, pourquoi es-tu ici, demande-t-elle ?

Le garçon prend un temps à répondre, honteux.

« -Je voulais juste voir à quoi ressemble dehors. »

Autour de lui, les hommes s'échangent des regards surpris. Seule Eva continue de le fixer.

« -Je... J'aimerais te dire qu'il y a tout ce que tu aimerais y voir... »

Tous se tournent alors vers elle avec insistance. Immédiatement, Eva change son propos.

« Mais... Il n'y a rien là dehors. C'est un monde froid et hostile. Tu es en danger si tu restes trop longtemps perché là.

-Je... Je suis désolé... Je ne voulais pas...

-Je sais Matthew. Je ne t'en veux pas. Tu peux descendre, je te raccompagne à ta chambre et personne ne t'embêtera, je te le promets. Mais à ton tour, promets-moi de ne plus recommencer.

-Je te le promets. »

Attrapant la main de la femme, Matthew descend de l'antenne et la serre dans ses bras. Le reste du personnel les fusillent des yeux, sans un mot.

Alors qu'il se retire de l'étreinte, Eva lui glisse à l'oreille.

« -Je suis très fière de toi. »

Soudain, la réalité s'efface. La base, les gardes, Eva. Il ne reste que le silence. Le vide infernal de l'espace.

Un visage surgit des ténèbres. Matthew le reconnaît, c'est celui qui a hanté ses nuits après son réveil de cryogénie. Une vieille femme lui sourit, mais son regard exprime la détresse. Il sent la peur, un désespoir. Qui est-elle ? Il sent qu'il le sait. Quelque part en lui résonne un nom, mais il ne le trouve pas. L'inconnue se met à parler une langue incompréhensible. Sa voix sanglote, elle pleure.

Une fumée rouge commence à l'entourer. La femme se retourne et s'enfonce à l'intérieur. Dans des hurlements à glacer le sang, son visage brûle, rongé comme par de l'acide. Sa peau tombe, puis son crâne.

Horrifié, Matthew crie à son tour.

Il se réveille dans sa couchette en panique. Son cœur bat fort dans sa poitrine. Sa mémoire revient, la mission, Meg 15...Tout s'apaise. Un simple cauchemar.

Matthew médite un moment allongé. Des exercices de respiration l'aident à se calmer. Cette crise était violente. Son sommeil lui a déjà joué des tours, mais jamais avec une telle force. Les images étaient si réelles. Plus qu'un film, il a vu un autre monde. Son inconscient a remonté en lui une scène effacée. Il se rappelle cette nuit à la base d'entraînement, sa première action rebelle. Impossible de l'oublier à nouveau. Et ce visage, cette femme qu'il a l'impression d'avoir déjà vu. Une figure de l'effroi.... Il la cherche dans un souvenir, le plus ancien possible. Sans résultats.

Pris de vertiges, il tourne la tête vers la porte de sa chambre. La circulation d'air ronronne.

Trois semaines que les sondes atmosphériques explorent Meg 15. Des centaines de données ont été enregistrées. Pourtant, aucune trace de la moindre terre, du moindre îlot, du moindre caillou. Ses espoirs ont disparu, la situation le rend impuissant. Le Darwin ne pourra jamais se poser. Il n'y a que des océans. Des étendues d'eau infinies et magnifiques. L'explorateur a passé des jours à les observer. Des vagues encore et encore, un désert liquide dont les dunes se déplacent sans cesse. Ce décor s'est gravé sur ses rétines. Parfois, il lui murmure de plonger. Meg 15 le fascine à en perdre la raison. Il craint que la démence le guette. Le bleu lui fait penser aux yeux d'Eva. Son absence pèse plus lourd chaque jour. Il va mourir ici, dans l'espace, sans jamais lui reparler. Son fantôme ne le quitte plus. Cette solitude l'emplit de douleur.

Il s'endort à nouveau. Ses yeux se ferment.

« -Matthew ?.... »

Quelque chose l'appelle. Litz ? Non, ce n'est pas sa voix.

« -Matthew ?.... »

Intrigué, Matthew se lève. Qu'-est-ce que c'est ? Son corps est lent, maladroit, comme s’il ne le contrôlait plus. La pièce tremble autour de lui.

« -C'est un rêve, dit-il. Rien de tout ceci n'arrive.

-Matthew ?....

-Qui est-là ? Je suis seul. »

Il s'approche de la porte qui s'ouvre. Une silhouette se dessine au fond du couloir. Une silhouette humaine. Sur le coup, l'homme croit devenir fou.

« Qui êtes-vous ? Je suis en train de perdre la tête...

-Matthew ?.... »

La forme ne bouge pas, Matthew s'avance vers elle. Désorienté, des sensations contradictoires se bousculent. Il a chaud, puis froid, ses oreilles sifflent, sa vue se trouble, comme ses pensées. Dès qu'il arrive à un mètre de la chose, celle-ci recule d'un mètre. L'homme tend le bras pour essayer de la toucher, sans succès. Il s'approche encore, elle recule.

« -Qu'est-ce que... »

Il continue. La silhouette ne se laisse pas attraper. Son apparence demeure vague, une ombre d'où transparaissent des visages de son passé. Ses formateurs, d'anciennes connaissances, puis Eva, comme au jour du grand départ. Son expression pleine de tendresse le réconforte.

« Eva ? »

En pleurant, Matthew se précipite vers elle. Elle s'échappe à la même vitesse. Il décide de la suivre. S'enchaîne une course poursuite vaine à travers les couloirs.

« Qu'est-ce que je suis en train de faire, se répète-t-il. Ce n'est pas réel.»

Devant la porte de la salle des commandes, l'homme s'arrête, essoufflé. L'hallucination s'évanouit subitement. Il perçoit alors quelque chose de nouveau. Une présence, réelle cette fois.

La porte s'ouvre devant lui.

Une lumière intense inonde la pièce. Aveuglé, Matthew pénètre en tâtonnant le mur.

« Qu'est-ce que c'est que ça ! Litz ! Litz ! Qu'est-ce qu’il se passe ? »

Aucune réponse. La source provient de dehors, de l'espace. Même la vitre protectrice ne l'atténue pas. Meg 15 a-t-elle explosé ? Non, ce n'est pas un cataclysme.

« -Matthew.... »

Encore cette voix.

« -Qui est-ce ? C'est... C'est impossible !»

La lumière brille plus fort. Son corps tout entier frémit. Le sol vibre sous ses pieds. La présence est là, toute proche. Un être l'épie. L'espace d'une seconde, il distingue une auréole. En son centre flotte une petite sphère blanche. Matthew ne croit pas ce qu'il vit. Les informations surchargent son cerveau. Brusquement, ses genoux tombent à terre. Son énergie l'abandonne.

La lumière s'éteint, Matthew s'effondre.

Lorsqu'il reprend conscience, il est allongé au sol à côté du siège de pilote.

« -Matthew ? Tu es réveillé, répète Litz en boucle ?

-Oui... Je vais bien Litz... Qu'est-ce qui s'est passé ?

-Mes systèmes de surveillance t'ont suivi toute la nuit. Tu es sorti de ta chambre et tu as couru pendant vingt minutes un peu partout dans l'aile Est. Ensuite, tu es venu ici, tu es tombé et tu as dormi pendant quatre heures. L'hypothèse la plus probable : tu as fait une crise de somnambulisme aigue.

-Ah oui... C'est étrange...

-Je tiens à te faire passer un examen médical et psychologique dans une heure. Ton pouls était agité, il est important de vérifier ton état. Comment te sens-tu ?

-Je me sens bien. J'ai suivi une silhouette, je crois. Il y avait une lumière aussi, juste derrière la vitre. J'ai senti une présence...Tes instruments ont détecté quelque chose ?

-Négatif. Aucun corps n'est passé à proximité du Darwin.

-Tu en es certaine ?

-Affirmatif.

-J'ai rêvé. C'est très bizarre, tout était si réel... Je ne me rappelle rien d'autre. J'ai dû faire du somnambulisme tu as raison, et un rêve très lucide... Si c'est le cas, ça m'inquiète. Je vais passer les examens.... En tout cas je suis en pleine forme ce matin. C'est comme si j'avais bien dormi.

-Tant mieux, car j'ai une excellente nouvelle à t'annoncer !

-Ah oui ? Tu as du nouveau concernant les sondes c'est ça ?

-Il y a une heure, la sonde atmosphérique DAP3 a découvert une île à la surface de Meg 15. Ses coordonnées géographiques sont en cours de définition.

-Une île ! C'est vrai ? Par tous les astres ! On va pouvoir se poser sur Meg 15 alors ?

-Affirmatif. Mais on a du pain sur la planche.

- Je ne suis pas contre de l'action ! Je n'y croyais plus.»

Exultant, l'homme oublie l'expérience de cette nuit et souffle de soulagement. Enfin, ses prières ont été exaucées.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire OswinSwald ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0