Chapitre 4 : Eva (1)

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Matthew se réveille en sursaut sur sa couchette, transpirant à grosses gouttes.

Son esprit dérivait dans un sommeil agité. Les cauchemars le suivent depuis l'arrivée dans le système Meg. Cette fois-ci, c'était l'image d'un visage... Une personne qu'il ne connaissait pas, mais qu'il pensait pourtant connaître. Une femme d'un certain âge, ridée, la peau rongée par une maladie. Ses yeux semblaient tristes, effondrés. Sa bouche tentait de sourire. Elle parlait, mais Matthew ne retenait pas ce qu'elle disait. Puis d'un seul coup, elle se mettait à pleurer, tandis qu'un nuage rouge l'emportait au loin et la brûlait jusqu'à ce que son crâne devienne poussières.

Ces visions d'horreur l'empêchent de bien dormir depuis quatre nuits. Il a passé plusieurs examens médicaux, Litz n'a pourtant détecté aucun problème physique. Tout se joue dans sa tête.

L'homme s'assoit sur le matelas en respirant profondément. Sa chambre est plongée dans l'obscurité. Le courant d'air de la ventilation ronronne en bruit de fond continu. Seul, il réfléchit. Depuis sa sortie d'hibernation, il n'a pas pris le temps pour un vrai recul sur lui-même. Peut-être est-ce le bon moment.

Il le sait, jamais il n'a été aussi heureux qu'en arrivant ici. Cette mission, c'est tout ce pourquoi il existe. Tout ce à quoi les gens l'identifiaient. Tout ce dont il a toujours rêvé. Ses souvenirs les plus lointains remontent à son adolescence. Déjà à cette époque, on le formait comme élite de l'humanité. Il ne sortait jamais de la base de la fédération. On l'entraînait, encore et encore, à supporter les voyages spatiaux, la solitude, à résoudre tous les problèmes en ne s'aidant que de lui-même. Etais-ce une bonne enfance ? Matthew pensait que oui. Il ne s'était jamais plaint. Il savait que tout ceci était pour la bonne cause. Sauver l'Humanité. Sauver les générations futures en leur apportant un nouveau toit. Si la littérature lui a appris quelque chose, c'est que l'Homme ne peut guérir de la maladie du vivant. Elle est inhérente à lui-même. Mais tant que ses effets seront maîtrisés, il y aura toujours moyen de sauver l'espèce.

Telle a toujours été sa motivation. A présent le voilà. Son vaisseau flotte au milieu du vide, cherchant la planète qui sera son nouveau chez lui. La mission se déroule sans accrocs. Tout va pour ainsi dire à la perfection.

Alors pourquoi tous ces cauchemars ? Ces visions de choses qui lui semblent inconnues et familières à la fois. Peut-être est-ce le stress, la pression, la solitude qui pèsent sur son inconscient. Ces trois sentiments l'ont pourtant accompagné toute sa vie sans jamais le faire souffrir. L'espace a un effet sur les êtres vivants... Peut-être est-ce le mal de l'espace ? Peut-être est-ce l'attente de voir enfin Meg 15, pour l'instant si timide sur les radars.

Il a d'ailleurs longuement réfléchi ses derniers temps au pire des scénarios. Le cas où Meg 15 n'existerait plus. Dans cette situation, les objectifs seraient échoués. Le Darwin suivrait le protocole « Retour à la maison » et utiliserait toutes les ressources restantes pour rentrer à sa base de lancement. Bien sûr, une merveille technologique comme ce vaisseau survivrait à la route, les ingénieurs l'ont construit pour cela. En revanche, aucune procédure ne prendrait en compte la vie de Matthew. Un simple individu coûterait trop d'énergie à l'appareil pour le replonger en cryogénisation. Il le sait, aucun retour possible...

Dans des instants de pessimisme, il se voit s'éteindre à petit feu, vidant toutes les rations du cryoconservateur avant de mourir de faim.

Rien que de l'évoquer, la sombre pensée revient le hanter.

Stop !

Non. Il ne doit plus y songer ! Cette idée l'effraie trop. Il n'aurait plus de raison de vivre. Tous ses espoirs réduits à néant.

« Argh ça suffit, dit –il ! »

D'un geste, Matthew se lève et quitte la chambre en courant. Lorsqu'il se sent perturbé, il évacue par un footing dans les couloirs du Darwin. Sur son passage, les lumières s'allument. Tandis qu'il parcourt les artères principales, son esprit se concentre sur des pensées plus agréables. Il faut oublier, se détendre.

En faisant le vide, un souvenir monte des limbes de sa mémoire. Une ancienne scène de sa jeunesse. Il devait avoir onze ans. C'était son anniversaire. Il se rappelle. Sa chambre à la station avait été décorée pour l'occasion. Sûrement l'une des rares fois où il y avait un peu de couleurs dans la pièce. Il revoit un sourire joyeux, celui de sa formatrice. Eva, Eva Fern.

Une femme incroyable. Celle qui l'avait accueilli à la fédération étant bébé. Elle s'est occupée de lui jusqu'à son départ, il y a vingt-six ans. Il l'aimait comme sa propre mère. Elle lui disait qu'il était voué à partir, loin au-delà de tous les maux des hommes, pour vivre heureux. Elle lui a transmis sa passion pour l'espace, la musique, lui a appris à piloter, à aimer lire. En fait, elle lui a tout donné. Eva a fait de Matthew l'explorateur d’aujourd’hui.

Dans ce souvenir, elle se tenait face à lui, un gâteau à la main. Un vrai gâteau ! L'homme n'arrive plus à y croire. Elle l'avait préparé elle-même, avec de vrais ingrédients. Tout ceci pour lui ! Cette femme faisait des miracles. Il y avait des bougies, il venait de les souffler. Elle lui tendait un cadeau. Il sautillait de joie. Sa toute première paire d'oreillettes personnelle, avec en mémoires tous ses titres musicaux préférés. En y repensant, il se souvient les avoir emportées avec lui. Elles sont rangées dans ses affaires, dans l'un des tiroirs contre sa couchette. Eva lui a offert le seul cadeau d'anniversaire de sa vie. Les années suivantes, ses supérieurs lui ont interdit.

Eva l'aimait, il le sait. Son visage doux ne ressemblait à aucun autre. Clair, les cheveux marron et lisses, des yeux d'un bleu cristallin. Une grande beauté. La seule personne qui l'a suivi et soutenu jusqu'au bout, jusqu'à l'heure fatidique du lancement de SysMeg. Avant le départ, Matthew l'a remerciée du plus profond de son cœur. Des mercis accompagnés de larmes pour chacun. Eva est la dernière personne qu'il ait vue. Le dernier humain de sa vie.

En pensant à elle, son cœur se réchauffe. Toutes les mauvaises idées disparaissent, emportées. Matthew s'arrête de courir. Il se sent mieux.

« Merci... Merci Eva... »

Sa gratitude, il se promet de lui témoigner à chacun de ses pas sur Meg 15. Elle sera leur planète, leur maison. Une victoire qu'ils partageront ensemble. Priant qu'elle soit encore de ce monde, il l'imagine les yeux vers le ciel, se disant qu’il y était arrivé.

« J'espère que tu es fière de moi, où que tu sois... »

Matthew n'a plus envie de dormir à présent. Son footing l'a tonifié. A la place, il décide de couper court à cette nuit et de reprendre la mission.

Après s'être lavé, il retourne dans la salle des commandes et se prépare à démarrer les propulseurs. Impossible d'attendre une seconde de plus. Si Meg 15 ne se montre pas, il la cherchera lui-même. La vue devant n'a pas changé. Le vide infini, les étoiles, et Meg Alpha tel un phare au loin.

« Litz ?

-Oui Matthew, je suis là.

-J'ai changé d'avis. Nous partons immédiatement vers la zone habitable.

-Affirmatif. Tous les systèmes de navigation sont opérationnels. J'ai coupé le pilote automatique, ainsi que quelques instruments endommagés.

-Guide-moi avec la carte du système que tu as construite. Indique la position du Darwin en temps réel.

-Affirmatif. »

Sur tous les écrans encore valides s'affichent la carte en trois dimensions du système Meg. Les points de repère fixés par Litz s'allument en bleu, tandis que la chaîne d'astéroïdes apparait comme un obstacle vert. Le Darwin est indiqué en rouge. Autour de l'étoile centrale se dessine un anneau violet clignotant. Il s'agit de la zone habitable théorique à atteindre.

« -Combien de temps cela va-t-il nous prendre à pleine vitesse, demande Matthew ?

-Environ cinq jours.

-Très bien. Nous ferons une pause toutes les deux heures et un temps de repos de neuf heures toutes les dix heures.

-Affirmatif.

-Conserve tous tes détecteurs actifs pendant le trajet. Je ne veux pas rater Meg 15 lorsqu'elle se montrera.

-Affirmatif.

-Eva... C'est pour toi. »

Il respire à fond et se cramponne au volant directionnel.

« On est parti ! Mets donc un peu de musique Litz ! »

L'homme redirige l'énergie vers les réacteurs arrière avant d'enclencher leur démarrage. A l'extérieur, une dizaine de lumière se mettent à pousser le vaisseau titanesque. D'une immense éruption, il se propulse comme une comète à travers l'espace.

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