Chapitre 2 : L'arrivée

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Quatre-vingt-quinze heures s'écoulent depuis le réveil de Matthew. Quatre jours qui ne sont pas de tout repos. Aidé de Litz, l'homme suit un programme de remise en forme intensif. Ce dernier a été pensé pour rendre au corps toute sa force, et à l'esprit toute sa vivacité après l'hibernation. Entre deux phases de sommeil, il enchaîne examens médicaux, séances de musculation, d'étirements, plusieurs kilomètres de footing, le tout accompagné d'une batterie de divers tests de mémoire et de réflexion. Toutes les situations d'urgence sont passées en revue et simulées. Après des débuts difficiles, ses anciens réflexes reprennent rapidement le dessus. Avec cet entraînement, Matthew retrouve peu à peu le rythme de sa vie disciplinaire d'antan.

L’explorateur s’habitue à la fadeur des rations décongelées, tout comme aux parties de jeux que Litz propose pour le stimuler pendant les pauses. Désireux de se reconnecter aux émotions humaines, il parcourt de temps à autre les bases de données. Il se divertit devant des films, des séries, de l’art, ou tout fragment de culture autorisé par la Fédération. La majorité de ce qu'il y déniche lui est inconnue, certains éléments lui rappellent des souvenirs de son ancienne vie. Une nostalgie revient parfois lorsqu'il déballe les affaires de sa chambre. Tout y est, même sa belle collection de livres. Des copies d’ouvrages en papier véritable rédigées à l'encre d'imprimerie, dont certains remontent au premier âge après l'Expansion : articles, journaux, romans, science, philosophie, un trésor aux yeux de l’explorateur. Il a vivement insisté auprès de ses supérieurs pour emporter des versions matérielles des archives de la base. Malgré des réticences protocolaires, ils ont fini par accepter. La plupart de ses connaissances du monde au-delà de SysMeg se résument à cette bibliothèque. Par son geste, l’homme espère contribuer à la conservation de ce passé sur un monde de plus.

Au fur et à mesure que le vaisseau approche du système Meg, Matthew ressent l'excitation monter. La même qu'à son réveil, la même qui l'a mené jusqu'ici. Mais avec elle, le stress. La pression de la mission pèse plus à chaque heure. Être le premier à fouler un nouveau monde, le précurseur d'une nouvelle colonie, est le plus grand des honneurs. Il écrit l'Histoire, l'échec ne peut exister. Le voyage n'aura pas de retour, il le sait. Mais lorsque sa mission sera accomplie, que les premiers vaisseaux se poseront sur une planète prête à les accueillir, il sera acclamé comme le plus grand des explorateurs : un héros. Il aura réussi à sauver un peu plus l'humanité de sa propre extinction.

L'espèce humaine décline. Les vieilles légendes donnent à ce mal un nom : la maladie du vivant. Une soif de ressources intarissable qui conduit à l’épuisement et la destruction. Une théorie la rendrait responsable des événements de l'âge sombre, du début de l'Expansion. Le plus grand traumatisme de l'Humanité selon les textes anciens. Cette époque a signé la fin d’une ère, et sa conclusion sert maintenant d’année de référence. Les informations sur le sujet se sont perdues. Il n'en reste plus que des récits flous. Certains parlent de guerres innombrables, de pays aveuglés par l'arrogance de leur puissance. La planète natale Terre aurait rendu l'âme sous la fièvre de l'Homme, le poussant à dépendre de sa technologie pour partir au-delà des étoiles. À bord d’arches de sauvegarde, il aurait vécu des siècles à voyager, une nuit éternelle que beaucoup ont décrit comme l’enfer. Très peu auraient survécu. Puis des générations plus tard, la civilisation a été rebâtie sur un nouveau monde : la Terre II. Une société brillante y a peu a peu grandi. Des cendres des héritages terriens, les sciences n'ont cessé de briser leurs limites passées. Le cosmos s'est changé en un jeu d'exode sur des planètes toujours plus lointaines. Aujourd'hui, les nations ralient une dizaine de systèmes, luttant pour faire perdurer les ressources. Mais l'âge d'or s'amenuise. C'est de ce constat qu'est né la Fédération d'Exploration Spatiale. Garante de l’espoir, elle perpétue le progrès de l'humanité dans le cosmos. Des explorateurs comme Matthew naissent pour assurer l’avenir des nouvelles colonies. Les hautes instances les envoient en éclaireurs sur des terres sauvages afin d’en sonder le potentiel. Ils grandissent seuls, ne côtoient que ce qui constitue leur mission, et ne contactent jamais la vie civile. Comment porter une telle responsabilité, un tel sacrifice, si l’on a goûté aux plaisirs de la normalité ? Comment se résoudre à l’isolement total et permanent ? Un explorateur n’a rien à perdre, c’est ce qui le rend insensible aux sentiments du commun des mortels. Il ne connaît que le rôle qu’il joue. Il vivra et mourra pour l’accomplir. Une unique dévotion : SysMeg, tel est l’esprit de Matthew Jonathan Drent.

L'heure décisive sonne. Des signaux d'alertes se déclenchent partout, annonçant l’étape suivante de la mission. Matthew accourt vers la salle des commandes. Son cœur tambourine dans sa poitrine. Après vingt-six années de voyage, le vaisseau touche enfin au but. Le Darwin atteint les frontières extérieures du système Meg. Les calculs des ordinateurs ne se trompent jamais. La destination est là, devant. Maintenant, il ne reste au pilote qu'à arrêter l'appareil dans sa course. Plus simple à dire qu'à faire. Depuis son lancement, le Darwin voyage en hyperespace, une vitesse de propulsion égale à celle de la lumière. Les progrès fulgurants de la science ont permis de défier les lois de la physique. Le transport de la matière sur des distances infinies a été le sujet de prédilection des savants à la suite de l’Expansion. Les études sur le comportement de la lumière ont démontré que, contrairement aux postulats antérieurs, celle-ci ne se déplaçait pas toujours de la même manière dans l’univers. Des singularités impactent sa vitesse, comme les trous noirs, les trous de ver, ou bien des phénomènes baptisés voies hyperspatiales. Ces dernières, bien stabilisées, fonctionnent comme des raccourcis dans la réalité. Elles peuvent projeter un objet linéairement entre deux points en augmentant sa vitesse, jusqu’à égaliser celle de la lumière. En trois siècles de recherches, l’Homme a appris à s’en servir. La technologie sait à présent créer artificiellement une voie d’hyperespace, et y insérer un vaisseau. Cependant, la manœuvre pour s’en extraire est difficile. Matthew la connaît dans les moindres détails, mais le risque ne diminue pas. Plus le voyage est long, plus les dégâts à la sortie sont importants. Ici, le blindage du Darwin été prévu pour encaisser au maximum le choc. Les dommages devraient être minimisés. Cela n’aura rien d’une promenade de santé pour autant.

Se souhaitant bonne chance, l'homme entre dans la salle des commandes la gorge serrée. Autour de lui, une panoplie infinie de voyants lumineux, de manettes, et de boutons se présente, avec au centre un siège de pilotage. Plusieurs écrans affichent le même message paniqué « Alerte ! Arrivée dans le système Meg ! Arrêt nécessaire. Fenêtre : 65 minutes... ». Le temps joue contre lui, il doit faire vite. En face se dresse une immense surface de verre transparente montant sur le plafond et les côtés. Au travers se dessine un volet sombre de métal occultant tout le champ de vision. Il s'agit du volet de protection. Il empêche la lumière du vortex d'hyperespace de griller l'intérieur du vaisseau. Matthew s'approche du tableau de bord et respire à fond une grande fois. Toute la démarche remonte dans son esprit. Il se met en position.

« Je suis avec toi Matthew, réconforte Litz. J'enclenche tous les systèmes en mode manuel. Tu peux y aller.

-Oui... Oui... Je vais le faire...Allez ! »

Tel un coureur au signal de départ, Matthew se précipite sur les commandes. Ses gestes essaient de joindre rapidité et précision. Il pianote sur les pavés numériques une vingtaine de minutes, passant de l'un à l'autre comme une furie. Des signaux de défaillances mineures se déclenchent. Sa nervosité augmente. Il tente de minimiser les dégâts et de passer à la suite. Arrêter un vaisseau comme le Darwin nécessite plusieurs étapes.

D'abord, annuler toute poussée arrière. L'absence de frottements seule a maintenu constante la vitesse du vaisseau au cours du voyage. En théorie, aucun propulseur n'est censé fonctionner dans ce sens. Matthew vérifie, c'est bien le cas.

Ensuite, déployer les propulseurs avant. Une fois en marche, ils fonctionneront dans le sens opposé au mouvement avec une énergie titanesque. Le Darwin sera alors immédiatement stoppé. Matthew enclenche la commande mais deux d'entre eux ne répondent pas correctement. Pour ne pas de risques, il coupe leur alimentation et redirige toute la puissance sur les autres en priant que cela suffise. Avant d'appuyer sur le bouton de démarrage, l'homme regarde le minuteur et se visse sur son siège. Plus que neuf minutes, le moment ou jamais.

Il attache sa ceinture et se prépare à se cramponner.

« On se revoit de l'autre côté Litz.

-Affirmatif. »

Sa respiration se bloque. Son doigt appuie sur le bouton. 3...2...1... Allumage.... Ses yeux se ferment.

Un bruit perce le silence, brutal. Une note pure, un son incroyable, une onde de choc. Au travers des paupières, une lumière vient pénétrer l'obscurité. D'instinct, son regard s'éveille, attiré. Le décor brille de mille feux autours de lui. Les tableaux de commandes se distordent, prennent des formes sans queues ni têtes. Les écrans s'éteignent. L'un d'eux, sur sa droite, se brise en mille éclats. Le volet de protection, tombant tel le voile de la nuit se déforme, s'étire, bout comme de l'eau. La logique devient abstraite quelques secondes. La réalité se mélange. L'univers se rétracte. Matthew se sent partir. Ses pensées se troublent. Son cerveau ne tient pas la charge.

Il s'évanouit.

Une éternité, puis un choc le ramène à la conscience. Matthew se réveille sur son siège, indemne. Sa tête tourne, mais les vertiges s’estompent. La salle des commandes a retrouvé ses perspectives. Les appareils redémarrent sans mal. La surface vitrée a tenu, mais le volet a subi de sérieux dégâts. Le métal a fondu. Certains endroits continuent de rougeoyer. Le pilote se relève en tremblant.

« -Litz, appelle-t-il. Litz ! »

Un long silence... La voix du robot retentit.

« -Je suis là Matthew.

-Etat de la situation ?

- Aucun système vital touché... L'énergie totale du vaisseau a baissé de quatre-vingt-huit pour cent. Nous avons atteint un seuil critique. Recharge immédiate requise.

-Aucune perte importante ?

-Aucune pouvant compromettre la mission. Le blindage du vaisseau a rempli sa fonction et a supporté le choc. Les pertes actuelles des systèmes entrent raisonnablement dans le seuil des prédictions. Tout s’est déroulé selon le plan. »

Matthew erre quelques instants, tentant de recoller toutes les informations. Son esprit se clarifie. Il réalise qu'il est bel et bien en vie. La manœuvre a fonctionné.

« -Litz ?

-Affirmatif ?

-Le vaisseau s'est-il arrêté ?

-J'évalue... »

Une pesante minute s'écoule.

« Affirmatif Matthew, le Darwin s'est arrêté. Si je peux me permettre ce trait d'esprit, tu t'es débrouillé comme un chef. Félicitation !

-Oh... Par tous les astres... Merci... »

Soulagé, l'homme s'écroule au sol.

« J'ai réussi...

-Affirmatif. Dois-je mettre une musique de victoire ? J'en compte un bon millier dans mon répertoire.

-Pas tout de suite, merci. »

Il rit un instant.

« -Litz... Où sommes-nous ? ... A-t-on atteint le système Meg ?

-J'évalue... »

A nouveau, le silence, cette fois-ci insupportable.

« Affirmatif Matthew... A première mesure, nous nous situons à environ cinq-cent millions de kilomètres de l'étoile Meg Alpha. Je n'ai pas encore repéré Meg 15, mais ce n'est qu'une question de temps.... Nous y sommes Matthew... »

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