Chapitre 1

9 minutes de lecture

Plume

7 ans plus tard

Mince. Il n’est pas léger ce bougre !

Mes muscles sont bandés au maximum, je resserre ma prise sur les poignets de l’homme inconscient que je tire du mieux possible vers le ruisseau, il ne doit plus se trouver très loin. Un petit grognement rauque m’échappe sous l’effort. Mes sens aux aguets m’annoncent que je vais bientôt atteindre mon but. J’évite du mieux que je peux les racines et les crevasses qui se trouvent sur mon chemin, j’ai déjà évité de justesse plusieurs chutes. Il faut dire que ce n’est pas évident de faire attention à tout alors que j’avance à reculons. L’homme est beaucoup plus grand que moi et par logique plus lourd, avec mon petit mètre soixante et mes cinquante kilos tout mouillés, la tâche est ardue.

Le bruit de l’eau se fait de plus en plus présent, plus que quelques pas et je devrais pouvoir arrêter d’égratigner le corps de l’inconnu. Je le malmène depuis une bonne dizaine de minutes, son dos doit être totalement éraflé à force de l’avoir traîné contre la terre battue de la forêt. Je peux sentir le sang couler de ses plaies, l’odeur de rouille me laisse un goût amer dans la bouche. Je n’ai pas peur de la vue du sang, mais l’odeur est tellement présente autour de lui que cela me tire une grimace. Je recule encore d’un pas pour pouvoir être le plus proche de l’eau, souhaitant me débarrasser au plus vite de l’odeur qui inonde mes narines, je ne fais pas attention à l’endroit où je mets les pieds. Mon talon se prend dans une racine qui ressort de terre, je relâche les poignets du blessé pour tenter de me stabiliser en battant des bras, ce qui ne sert strictement à rien. Je sens mon corps partir en arrière alors qu’un petit cri de surprise s’échappe de mes lèvres. La seconde suivante, mes fesses et une partie de mon buste touchent l’eau froide du ruisseau.

Quand je disais que je faisais cinquante kilos tout mouillés, c’était au sens figuré… pas au sens propre !

Je retiens de justesse une exclamation colérique qui veut s’échapper de ma gorge, alors que ma respiration est saccadée. Je sors de l’eau rapidement, retire mon sac à dos que je pose au sol, puis j’enlève ma veste pour l’essorer, avant de reporter mon attention sur l’homme qui a toujours l’air inconscient. Je soupire de soulagement. Mes paupières se ferment quelques instants pour me permettre de reprendre contenance. J’étire mes sens pour être sûre que nous soyons bien seuls, je ne dois pas oublier que l’homme à mes pieds s'est fait attaquer par l’un de nos congénères. Il a une apparence humaine, mais depuis que j’ai senti son odeur, avant de lui porter assistance, j’ai su qu’il était comme moi. Un loup-garou. Cela ne me rassure pas, aux dernières nouvelles j’étais la seule de notre espèce dans ce col… Je secoue la tête pour m’enlever ces pensées, je dois d’abord nettoyer ses plaies. Je prends tout de même quelques secondes pour observer mon poignet et relâche l’air que j’avais stocké dans mes poumons, quand mes iris se posent sur mon bracelet. Il est toujours là, je ne risque donc pas grand-chose.

Allez, Plume, secoue-toi, tu auras tout le temps de te poser des questions après !

Je m’agenouille à côté de l’homme, puis je le détaille rapidement. Il doit mesurer plus d’un mètre quatre-vingt à vue d’œil. Ses cheveux blonds sont coupés court, les traits de son visage sont fins, ses épaules sont larges. Ses bras et ses jambes sont musclés, je détourne rapidement la tête pour ne pas m’attarder sur son corps totalement nu face à moi. Nous ne sommes pas de nature pudique, mais là tout de suite, me retrouver seule face à un homme totalement dévêtu me met mal à l’aise. Je peux sentir mes joues rosir d’embarras. J’ouvre mon sac et sors un linge qui me sert habituellement quand je veux ramasser certaines plantes urticantes, lors de mes promenades en forêt. Je n’ai pas besoin de l’humidifier vu que le sac s’est retrouvé avec moi dans l’eau, j’essore tout de même le tissu, puis nettoie le torse du blond pour enlever au maximum les traces de sang qui me gêne pour voir si ses blessures sont profondes.

Il a beau être de nature Lupine, pour le moment rien ne me dit qu’en plus de l’attaque du loup il n'a pas été blessé par une lame ou un projectile en argent… Je rince une première fois le linge dans le ruisseau et l’approche à nouveau de lui pour recommencer mon débarbouillage, je peux enfin y voir plus clair. Concentrée dans ma tâche et malgré mes sens à l'affût, je sursaute quand j’entends une branche se briser plus loin. J’arrête mes gestes, tentant de maîtriser ma respiration du mieux possible, puis pousse mes sens le plus loin possible. Rien ! Je ne sens rien !

L’angoisse monte le long de mes veines, je continue de scruter les environs, en vain. Je tente de calmer mon rythme cardiaque et mes iris se reposent sur l’homme à mes côtés, j’observe ses plaies qui commencent à cicatriser. Je peux discerner des coups de crocs et de griffes, la plaie qui m’inquiète un peu est celle parcourant son abdomen sur plusieurs centimètres et qui semble plus profonde. Toutefois, je suis rassurée, il porte juste les stigmates de son combat lupin. Il devrait donc parvenir à se soigner assez rapidement, je porte encore une fois la main à mon sac pour en sortir le pot de crème cicatrisante que j’emporte toujours avec moi. Elle l’aidera à guérir plus vite.

Prenant une bonne noisette de crème, je les approche de la plaie quand une poigne de fer arrête mon geste. Je sursaute et retiens du mieux que je peux le cri de frayeur qui souhaite sortir de ma gorge, ma respiration s’accélère alors que je baisse les yeux sur l’homme semi-conscient. Il me scrute de ses prunelles marron qui arborent un regard haineux et soupçonneux.

Mince, il n'aurait pas pu rester inconscient le temps que j’applique la crème et que je déguerpisse ? Dans quoi je me suis encore fourrée…

Je déglutis difficilement et je ne parviens pas à décrocher mes yeux des siens, malgré toute l’animosité qu’il me porte. En même temps, il ne me connaît pas. Si j’étais à sa place, je me méfierais aussi. Je tente une première fois de retirer mon poignet de sa main, mais sa prise se fait plus ferme. Je ferme les yeux une brève seconde pour essayer de retrouver mon calme, après tout, je n’ai rien à me reprocher, mon but est juste de l’aider. Et soyons francs, de nous deux, c’est lui qui pourrait me broyer en un claquement de doigts.

— Ça vous aidera à cicatriser plus vite, dis-je le plus calmement possible, malgré ma peur constante.

Il secoue la tête de gauche à droite, pourtant, je peux voir dans ses iris qu’il analyse mes paroles, il observe la crème que j’ai sur les doigts. J’insiste une nouvelle fois en lui disant qu’il n’a rien à craindre, que ce sont des produits naturels. Au bout d’une bonne minute, sa poigne se fait moins pesante jusqu’à libérer totalement mon poignet. J’applique le baume sur sa plaie, le sentant tressaillir sous mes doigts froids. Ma tâche accomplie, je rassemble mes affaires, avant de lui jeter un nouveau regard. Il a de nouveau perdu connaissance.

C’est le moment de déguerpir.

Je sors une bouteille d’eau de mon sac, la pose à côté de lui et me hâte de partir.

***

Dix minutes plus tard, je passe la porte de ma petite maison qui donne sur le salon. Les pièces ne sont pas grandes, mais elles me suffisent amplement. Je vide le contenu de mon sac sur la table basse, pour que le tout puisse sécher tranquillement, puis je vais accrocher le sac à dos dans la salle de bain pour éviter qu’il ne goutte dans toute l’habitation. J’en profite pour prendre une douche bien chaude, ce qui m’aide à délier les muscles de mon corps et relâcher la pression qui s’y est emmagasinée.

J’en ai aussi profité pour détacher mes longs cheveux roux qui étaient tressés, qui une fois libérés, viennent se nicher jusqu'au niveau de mes reins. Je profite de cet interlude pour essayer de me vider l’esprit, mais rien n’y fait, je repense sans cesse à ma journée. Habituellement, quand je suis nerveuse ou angoissée, une douche permet de me vider la tête, mais aujourd’hui c’est inefficace. Je me lave rapidement, avant de me sécher et d’enfiler un bas de jogging et un t-shirt trop grand pour moi, un des seuls vestiges de mon passé.

Je décide de calmer mes nerfs avec une infusion, pendant que l’eau chauffe, je vérifie mon stock de remèdes et de plantes pour les marchés des jours à venir. Le cri strident de la bouilloire me ramène au présent. Je me sers une tisane, puis m’installe à la table de la cuisine. Cette dernière est de taille modeste, mais fonctionnelle. Les meubles sont assez anciens, mais ils me plaisent tel quel, le bois à vieilli avec les années. Cependant, je trouve cette pièce chaleureuse et agréable, je préfère les meubles anciens aux récents. Ils sont plus robustes et ont un charme que le style moderne n’a pas, à mon goût bien sûr. Une table en chêne est installée au milieu de la cuisine, elle peut accueillir quatre à six convives, peut-être, je ne sais pas. Je ne me suis jamais retrouvée à plus de quatre autour de celle-ci, elle a, elle aussi, fait son temps. Il me suffirait de la poncer légèrement et de patiner au brou de noix ou bien de la vernir pour qu'elle retrouve une jeunesse. C’était un de mes projets quand j’ai emménagé, cependant entre mon travail d’herboriste, les marchés et les visites de mes clients réguliers, je manque de temps.

Une migraine commence à pointer le bout de son nez, j’ai beau tout faire pour occulter la journée passée, rien n’y fait. Mon esprit vagabonde vers l’incident de cet après-midi et ma rencontre avec l’homme... Enfin, ce loup-garou... je croyais qu’aucune meute n'habitait dans les environs…

Mince !

Approchant la tasse de mes lèvres, je tente de reprendre pied. Posant ma main gauche sur mon collier, je serre fermement les pendentifs. Et dire que tout allait très bien ce matin… Il faisait beau et je n’avais pas de marché. J’avais donc décidé d’en profiter pour me reposer un peu, avant de lister les plantes qui me manquaient et que je pouvais facilement trouver dans la forêt du col où je vis. Une fois prête, j’étais partie profiter du soleil réconfortant, après quelques jours de pluie incessante. Je souhaitais aussi en profiter pour courir et me délier les pattes, cela faisait un moment que je ne mettais pas octroyer ce plaisir.

La nature est ce que je préfère, même si j’ai un but premier, je me laisse souvent aller à mes pensées et je finis par m’enfoncer assez loin dans les bois. C’est exactement ce qu’il s’est passé aujourd’hui. J’ai vagabondé pendant plusieurs heures, profitant de mère nature et des bienfaits qu’elle m’apporte. Le calme, la sérénité, me reconnectant aussi à la terre, aux arbres. J’en avais besoin et cette journée me semblait parfaite pour pouvoir apaiser tout mon être.

Je pensais marcher encore une dizaine de minutes, avant de rentrer sous ma forme lupine, mais l’odeur du sang m’a tout de suite happée avec violence. Je ne pouvais pas ignorer la personne qui se vidait de son essence vitale, non loin de moi. Mes pas m'ont guidé jusqu’à trouver l’homme au sol, inconscient et fortement blessé. Je ne souhaite pas qu’on découvre ma nature, c’est bien pour ça que je la cache, mais je ne peux pas non plus ignorer quelqu’un en détresse.

Finalement, j’extrapole en pensant qu’une meute est dans le coin, mais si cela se trouve, il est comme moi, solitaire, et il a juste fait une mauvaise rencontre… J’aurai préféré qu’il reste inconscient tout le long, mais ce qui est fait est fait ! J’espère juste qu’il ne va pas me chercher et me laisser reprendre le cours de ma vie...

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Bonjour les louveteaux.
Voici le premier chapitre, alors qu'en pensez-vous ?

Vous venez de faire la rencontre de Plume, quelque peu maladroite quand même :)

Qui est ce mystérieux homme qu'elle a aidé ?

A tout à l'heure pour le second chapitre :)

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