Léon

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 Léon est mort.

 Voilà comment ma mère me l’annonça quand je franchis la porte. J’avais raté mon bus et marché les trois kilomètres qui séparaient le lycée de la maison sous une pluie battante. Léon est mort. Trois petit mots qui eurent l’effet d’un tsunami, balayant les digues fragiles qui supportaient mon cœur. Non, c’était impossible : il allait parfaitement bien ce matin. Bien sûr il était malade mais il l’était depuis tellement longtemps que j’étais persuadé qu’il était éternel. J’avais survécu à une journée supplémentaire en enfer : Lucas la Brute du collège m’avait racketté mon argent de poche de la semaine, la fille que j’aimais en secret depuis septembre n’avait toujours pas la moindre conscience de mon existence, le bus avait démarré juste sous mon nez, à croire que le chauffeur l’avait fait exprès, et voilà que Léon était mort. Une vague de chagrin me submergea et je m’écroulai en larmes sur le parquet de l’entrée.

— Oh, ne pleure pas. Il n’a pas souffert, me consola ma mère qui elle-même avait du mal à retenir ses larmes, il est parti dans son sommeil. Il dormait sur le canapé, il ronflait un peu fort, c’est vrai mais tu sais qu’il a toujours eu des problèmes respiratoires. A cause de son nez. Il dormait et d’un coup, plus rien, plus un bruit, il était parti. Le cœur, a dit le Docteur Delvigne.

Savoir qu’il n’avait pas souffert n’enlevait rien à ma peine. Léon était mort et personne n’y pourrait rien changer.

— Je peux le voir ? demandai-je dans un sanglot.

— Il est dans la chambre d’amis.

 Je refermai doucement la porte derrière moi. Léon était là, sur le lit. Figé dans la mort. Son petit corps creusait à peine la couverture que ma mère avait posée sous lui. Il était paisible. Ne plus voir ses côtes se soulever avec difficulté à chaque inspiration et ne plus l’entendre siffler comme une forge à chaque expiration me donna un coup au cœur. Les bouledogues anglais ont toujours ce genre de problèmes nous avait prévenus le docteur Delvigne, le vieux vétérinaire qui nous avait conseillé de plutôt prendre un labrador. Mais j’avais craqué pour Léon, sa bouille chiffonnée et sa démarche pataude dès que je l’avais vu. Je m’approchai et m’agenouillai près du lit. Je posai une main sur son dos et l’autre sur les plis de son cou. Son corps était froid et raide, ses poils ternes, ses yeux vitreux. Mes larmes s’écrasèrent sur sa truffe et son museau. Les mains sur le cadavre inerte de Léon, je pleurais la perte de mon seul ami. Je sentis la nausée me monter à la gorge. Mon front se mit à brûler comme si j’avais la fièvre et une chaleur intense envahit tout mon corps pour venir se concentrer au creux de mes paumes. Une force invisible retenait mes mains et je ne parvenais pas à les décoller du corps de Léon. J’essayai d’appeler ma mère mais les mots moururent sur mes lèvres quand je sentis la première pulsation. Faible mais bien réelle. Le pouls de Léon battait sous mes doigts. Son sang courait à nouveau dans ses veines. Ses pattes tressaillirent et il laissa échapper un petit gémissement. Ma tête était sur le point d’exploser, mes tempes battaient au rythme du cœur de mon chien mort. Quand, après quelques soubresauts, Léon se releva et s'étira en baillant, je pus enfin retirer mes mains, laissant deux marques sur son pelage comme si je l’avais marqué au fer rouge. Je restai immobile, à genoux au pied du lit alors que Léon me léchait le visage. Sa langue était chaude sur ma joue. Son haleine tiède et fétide me fouettait en pleine face. Il sauta en bas du lit dans un grognement, tourna sur lui-même pour attraper sa queue trop courte et se dirigea vers la porte en se dandinant. Léon était vivant. Je tournai et retournai mes mains dans tous les sens, les observant sous toutes les coutures. Léon était mort et je l’avais ressuscité. Parce que Léon était bien mort, mort de chez mort, raide mort, aucun doute là-dessus. Il était mort et je l’avais ramené à la vie, tel un Frankenstein canin. J’avais senti ce truc en moi, comme une énergie qui affluait et traversait mon corps, comme si je la concentrais entre mes mains pour l’insuffler dans celui de Léon.

 J’ignorais si je devais pleurer de peur ou de joie, si j’étais un monstre ou une sorte Dieu, si c’était un putain de miracle ou une abomination. Pourrais-je ramener un homme à la vie? me demandai-je avec un mélange de crainte et d'excitation. Léon serait-il le seul ou n'était-il que le premier ? Je n'avais qu'une envie, recommencer. Je devais comprendre ce qui m'arrivait et pour cela il fallait que je trouve un cadavre. Mais d'abord, j’allais devoir expliquer à ma mère comment Léon était revenu d’entre les morts.

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