Solitude, quand tu nous tiens (Nouvelle)...

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Comme chaque soir, je rentre à la maison, exténuée.

Du moins, je rentre enfin dans mon cocon de quelques mètres carrés.

Dans la principale pièce du studio, je jette sur mon petit canapé orange mon sac à bandoulière comportant mes dossiers du boulot. Je me rends ensuite dans l'espace minuscule qui me sert de cuisine, afin d'y poser mon sac de courses. Dans ce dernier, rien d'extraordinaire: une pizza surgelée, des oeufs, une nouvelle boîte d'antidépresseurs et un gros pot de glace.

Dans la salle de bains, je me lave les mains puis le visage sans pour autant me regarder dans le miroir. Je dois avoir une mine affreuse.

Je reviens ensuite dans le salon, mon téléphone portable à la main.

J'ai tellement espéré qu'il se manifeste de n'importe quelle manière. Un appel, un SMS, ou un message privé via les réseaux sociaux.

Rien.

Mon estomac se met à gargouiller, ce qui me fait penser à mon dîner. Je place directement la boîte de pizza dans mon micro-ondes, pour cinq minutes.

Sans enthousiasme, je récupère mon sac à bandoulière pour bosser sur mes dossiers en cours sur la seule table du studio. Le bip régulier du micro-ondes se fait entendre quelques minutes plus tard, mais je continue à me concentrer sur le boulot.

Surtout pour dissiper mon désappointement.

Pourquoi ne répond-t-il plus à mes messages ? À mes appels ?

Je me lève pour aller regarder par la fenêtre toute proche. Contrairement à ma vie, la rue était animée. Des voitures, des familles à pied qui profitaient des dernières lueurs du jour. Des anonymes qui pressaient le pas pour rentrer sûrement retrouver leur famille ou leur animal de compagnie.

À cette évocation, je me dis que j'aurais dû me procurer depuis lors un chien ou un perroquet bavard, ceci afin de m'entretenir avec chaque soir en rentrant du boulot. Tout valait mieux que cette solitude pesante.

Pour une fois dans ma vie, j'avais espéré vivre une vraie relation sentimentale avec Jamal. Trois mois de pur bonheur depuis notre rencontre et puis plus rien. Du jour au lendemain, il semble avoir disparu de la surface de la Terre depuis une dizaine de jours.

Je ferme brusquement les rideaux pour aller ensuite récupérer ma pizza, qui était moyennement chaude et aussi élastique qu'un chewing-gum. Mais dans mon état, je pourrais mordre dans une semelle de chaussure sans broncher.

Une part, puis une deuxième. Puis une troisième.

Ma mâchoire s'active toute seule, bien que je n'ai aucun appétit. Mais je mange sans m'arrêter, pour combler ma tristesse.

Instinctivement, je m'essuie les lèvres avec les doigts et puis saisis mon portable.

Allez. Une dernière tentative.

"Vous allez atteindre la messagerie téléphonique de..."

  • C'est pas vrai...

Je coupe aussitôt la communication. Je réfléchis. Puis l'idée me vient d'inspecter son profil sur les différents réseaux sociaux que nous avons en commun.

Rien ne s'affiche le concernant. Il semble avoir supprimé ses comptes.

J'essaie de joindre nos rares amis communs. Une manière désespérée pour moi de me sentir en confiance et pour discuter de n'importe quoi avec n'importe qui..

Aucun ne prend mes appels. Ils semblent qu'ils aient eux aussi disparus ou qu'ils m'aient tout simplement mis sur liste noire.

Une crise de panique pointe le bout de son nez. Je me précipite vers mon sac de courses pour y récupérer ma tablette d'antidépresseurs. À mes risques et périls, car je dois en principe prendre mon traitement dans une heure.

Mais bon...

Je regarde anxieusement le comprimé effervescent dans la paume de ma main. Puis décide de le dissoudre dans l'évier.

Je saisis une de mes vestes dans mon armoire en plastique. Je l'enfile en éteignant toutes les lampes avant de sortir, en verrouillant la porte du studio derrière moi.

Une excellente idée de sortir en début de soirée lorsqu'on est agoraphobe.

Mais la solitude me pèse à un point que j'aurais pu tailler la causette avec un lampadaire à l'heure qu'il est.

Fort heureusement, le café le plus proche et qui m'est le plus familier est à quelques mètres de mon immeuble. Je traverse la rue d'un pas pressé, en manquant de me faire écraser par deux voitures.

Une fois à l'intérieur, l'ambiance cozy et le brouhaha à l'intérieur du café bondé me calment instantanément. Des serveuses portant des plateaux tentent péniblement de se frayer un passage à travers les nombreuses tables.

Je sens des gouttes de sueur perler, puis couler le long de mon dos. Mais je prends mon courage à deux mains, redresse la poitrine et file vers une table pour deux inoccupée - avec un menu posé dessus.

Au bout d'un moment, une serveuse qui semble exténuée mais qui fait de son mieux pour le dissimuler vient prendre ma commande, le sourire aux lèvres :

  • Bonsoir ! Vous prenez... ?
  • Un café et un bol de pistache, s'il vous plaît.
  • Ok !

Elle repart prendre une autre commande et je me mets à regarder les balustres et les décorations murales du café. Puis commence à rire nerveusement, la main dans mon menton, en pensant au pot de glace que j'avais oublié de mettre dans mon congélateur.

  • Bonsoir.

Je lève les yeux et je vois debout en face de moi une connaissance.

Un ami de Jamal, un étudiant en médecine qui est devenu au fil du temps un ami commun et que je n'avais pas vu depuis un certain temps.

  • Malick !
  • Tamara, ça fait un bail ! On ne s'est pas revus depuis l'enterrement.
  • L'enterrement ? Quel enterrement ?

Malick hausse un sourcil tout en me dévisageant.

  • Mais... L'enterrement de Jamal !
  • Jamal ?... Jamal ? Jamal est mort ?

Malick s'asseoit lentement en face de moi, l'air incrédule.

  • Tamara... Est-ce que tu vas bien ?

Je ne sais absolument pas quoi répondre.

  • Tamara, tu ne te rappelles pas ?
  • Co... comment est-il mort ? Et quand ?

Cette fois-ci, Malick me regarde d'un air réellement inquiet.

  • Tamara... Il y a dix jours, dans sa voiture. D'après ce que tu m'as raconté le jour de l'enterrement, il... il conduisait comme d'habitude comme un malade, après qu'il soit allé te chercher au boulot. Il avait la mauvaise habitude de consulter son portable en conduisant.

Il marque une pause avant de poursuivre :

  • Il n'a pas vu une vieille dame traverser au passage piéton et en voulant l'éviter, vous vous êtes encastrés dans un mur. Par chance, tu avais porté ta ceinture de sécurité. Lui, non. Mais tu sais, moi et les potes on était réellement inquiets pour toi depuis quelques jours. Il semble que tu nous aies bloqués sur les réseaux sociaux et directement à travers nos numéros de téléphone. Amy même a tenté avant-hier de venir directement chez toi, mais le gardien de ton immeuble lui a dit que tu n'étais pas là.

Complètement sonnée, je parviens à murmurer :

  • J'étais sûrement au boulot...
  • J'ai tenté de te joindre au boulot en début de semaine. Une secrétaire m'a révélé que tu n'y es pas allée depuis la mort de Jamal. D'ailleurs, ta patronne et tes collègues sont très inquiets aussi, car ce n'est pas dans tes habitudes de t'absenter ainsi. Mais Tamara... tu ne te rappelles réellement pas de l'accident ? Ton visage à été coupé par endroits par les éclats du pare-brise mais heureusement, ça a bien cicatrisé depuis on dirait, ajoute-t-il en me fixant intensément.

Tout à coup, une succession de flashs surgissent de mon subconscient.

Moi et Jamal dans sa voiture.

Je me rappelle lui dire de lever le pied pendant qu'il consultait un SMS.

Puis le voir tourner brutalement le volant, l'air terrifié.

Le crash.

Les lumières de l'hôpital. Les médecins penchés au-dessus de moi.

Puis chez moi, après l'enterrement. Toute seule sur mon lit. En train de bloquer sur mon portable machinalement tous mes contacts, mes collègues, ma famille.

Dans ma salle de bains. En évitant soigneusement de regarder mon visage défiguré dans le miroir de l'armoire à pharmacie.

Dans le parc. Où je passais depuis mes journées entières à regarder le lac, avec mon sac à bandoulière posé à côté de moi sur un banc. Avant de rentrer en début de soirée à la maison après avoir fait les mêmes courses que la veille.

  • Tamara.

Malick me prend doucement la main puis vient s'asseoir à mes côtés lorsqu'il me voit pleurer pour la première fois depuis la mort de Jamal. Il me serre dans ses bras et je ne peux m'empêcher de faire couler des torrents de larmes sur sa poitrine.

  • Chuuut, ça va aller, me murmura-t-il doucement. Ta famille était morte d'inquiétude, surtout qu'ils sont à l'autre bout du monde. Si tu veux, on peut les appeler tout à l'heure quand tu iras mieux. Également, avec les potes, on peut organiser quelque chose demain soir, chez toi ou chez moi, en l'honneur de Jamal. Cela pourrait te faire du bien d'avoir de la compagnie. La solitude n'est jamais bonne conseillère. La preuve.

Les yeux étrécis, gonflés et rougis, je finis par aquiescer, tout en me demandant comment j'ai pu effacer temporairement les aspects de ma vie antérieure dans une partie reculée de mon cerveau.

  • C'est sûrement l'état de choc, analyse-t-il, comme s'il était en train de lire dans mes pensées. Je connais un excellent thérapeute qui pourra t'aider. Pas de médicaments avec lui, juste l'écoute et la parole, afin que tu puisses retrouver le chemin de la sérénité. Tu es d'accord ?
  • Oui. Et... Malick, merci. Quelle chance que je sois sortie ce soir et qu'on se soit croisés ici. Si tu ne m'avais pas sorti de mon état de choc, je ne sais pas comment les choses auraient pu évoluer.

Il me sourit en me pressant la main, tandis que la serveuse dépose sur la table ma commande.

Je lui tends le bol de pistache avec un faible sourire.

  • On partage ?

Il m'essuie doucement les yeux et mes joues avec un mouchoir avant de répondre avec un sourire franc :

  • Volontiers. Et... Tamara. Dis-toi que quelle que soit la situation, tu ne seras jamais seule. Jamais. Tu pourras toujours compter sur nous.

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