Ch.4 - 3 | La semaine avant la fin du monde

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Rika tenu absolument à présenter Asor Lerion à ses amis.

“Vous ne trouvez pas qu’il ressemble énormément à Diane ?”

Lerion souriait. Il se fichait complètement de ce qui se disait et feignait de n’être au courant de rien. Un des amis d’Erika répondit:

“Mais enfin, ça arrive souvent ce genre de chose. On a tous un sosie quelque part, vous savez ?

- Maintenant que vous en parlez, assura Gill, je suis assez curieux de rencontrer cette fameuse Diane que vous semblez tous connaître.”

La situation l’amusait beaucoup. Le corps de Diane était devenu le sien. Il ne faisait pas que lui ressembler: il avait littéralement pris son visage.

“Vous l’embêtez, les gars ! plaisanta un des amis.

- Oui d’ailleurs, c’est bizarre ça, on aurait pu croire qu’elle viendrait ici ce soir, Diane, enchaîna une des autres personnes.

- Ah ? interrogea Gill. Elle vient souvent ?

- Oui, mais vu comme elle semblait bien préparée, on est quasiment sûrs qu’elle partira avec la prochaine Vague.

- Comment ça, bien préparée ?

- Elle avait des réflexes vachement propres…

- Ouais, vachement propres ! répéta une personne qui dansait pas loin. Pas comme toi ! C’est quoi cette façon de te tenir, tu fais quoi dans la vie ?

- Je bricole des trucs, répondit Gill.

- Et tu viens d’où, on t’a jamais vu ici !

- Ah, je ne viens pas du tout du coin, certifia-t-il en buvant un coup dans sa chope de Vantage.

- C’est-à-dire ? interrogea Erika.

- Un bled vraiment très éloigné, je suis sûr que le nom ne vous dira rien...”

Gill n’avait jamais été particulièrement dérangé par ce style de question, qu’il trouvait banales autrefois. Mais maintenant qu’il était de retour dans le Reverse, il trouvait à ces conversations un côté particulièrement irritant. Avant qu’un curieux ne lui demande encore quelque chose de fâcheux, il enchaîna:

“Vous voulez pas danser ? C’est la fin du monde, WOOOOOOUUH !”

L’ensemble des personnes de la pièce cria en levant les mains, des confettis furent lâchés depuis le plafond et la musique devint si forte qu’il fût impossible de s’entendre parler.

Gill découvrit qu’Asor Lerion savait parfaitement comment diriger l’attention ailleurs que sur lui-même, en particulier si ça impliquait d’enjailler tous les humains à proximité. Ce savoir-faire lui rappelait un peu Diane.

Il monta au niveau des balcons et se jeta à moitié sur un des gros fauteuils en velour qui bordaient la barrière, pour s’asseoir. Directement, il eu une autre visite imprévue. Quelqu’un venait visiblement de passer ses jambes au-dessus de lui et s’asseyait maintenant entre ses cuisses, dans un premier face à face qui aurait sans doute été déconcertant pour Gill, en d’autres circonstances.

“Tu permets ?” demanda l’inconnu.

Gill n’offrit qu’un signe de tête et un sourire en guise d’approbation, avant de poser sa Vantage sur la table à côté de lui. Il plaça doucement ses deux mains de chaque côté du visage du garçon, avant de l’embrasser.

“Tu viens chez moi ? demanda l’inconnu.

- Hm, excuse-moi, je viens de me rappeler que j’avais quelque chose à régler avant de pouvoir faire ce genre de choses, informa Gill.

- Maintenant ? Oh, tu peux laisser toutes tes inquiétudes derrière toi !

- Comment tu t’appelles ?”

Gill attrapa les hanches de cette jolie personne et le fit se relever. Il récupéra sa Vantage et la finit d’un coup sec, pendant que le garçon lui disait son prénom. Gill reposa sa chope vide sur la table et susurra à l’oreille de son prétendant: “Amuse-toi bien”, avant de disparaître parmi la foule.

De retour à l’étage du bas, il croisa Rika pas trop loin et lui fit un signe de main, afin qu’elle le rejoigne. Elle s’empressa de venir vers lui. Il l’attendit puis, avant qu’elle ne soit trop proche, lui tourna le dos et se dirigea vers la troisième salle. Elle le suivit.

La troisième salle était nettement plus calme. De larges canapés étaient disposés en travers de ce qui ressemblait à un petit salon, plutôt bien insonorisé, au plafond bas. Gill descendit un escalier qui les amena sur une sorte de cours intérieure, où perçait seulement la lumière de la lune. Il n’y avait personne.

“Je ne connaissais pas cet endroit, comment as-tu pu ouvrir la porte ? demanda Rika.

- Ce n’était pas fermé.

- Je n’étais même pas au courant qu’il y avait un accès…

- Il est dissimulé d’habitude, spécifia Gill, derrière un mur.

- Comment tu savais qu’il ne le serait pas, ce soir ?

- Parce qu’on approche d’une Vague.

- Je ne comprends pas…

- Tu n’as jamais compris, Rika.

- Hein ?!”

Asor Lerion écrasa la trachée de Rika en la frappant avec le flanc de sa main. Elle fût repoussée contre le mur de pierres du Kern. Elle tenta de crier mais aucun son ne sortit.

“Vas-y, pose encore une de tes questions, dit-il en sifflant presque entre ses dents.”

La rage qu’il avait contenue pendant presque vingt ans dans la temporalité classique lui venait dans la gorge:

“Oh mon dieu, tu supportes ça si bien, continua-t-il.”

Un éclair de terreur passa dans les yeux de Rika. Lorsqu’Asor Lerion jeta son poing serré autour d’un couteau pour lui trancher la gorge, le corps de la jeune femme se baissa par réflexe. Elle le frappa au ventre, ce qui ne le fit pas bouger. Il lui planta la lame dans l’épaule avant de s’agenouiller lentement devant elle, le poing toujours serré autour du couteau:

“Dis-moi, qu’est-ce que tu vois ? Une occasion de briller dans ta carrière..? dit-il.”

Erika le regardait, sans broncher malgré la douleur.

“Erika Lynn a retrouvé l’agent perdu, hein ?”

Elle soufflait douloureusement par les narines, et attendait la suite.

“Ferme les yeux, Rika, je vais te rafraîchir la mémoire.”

Elle écarquilla les paupières et tenta de gesticuler mais il plaqua son crâne contre le mur avec sa main gauche, et transita au point zéro.

Erika fût plongée avec une vive exactitude dans les souvenirs de cette journée maudite, celle où elle avait été déracinée à tout ce qu’elle avait connu jusque là. Elle entendait la voix d’Asor Lerion dans son esprit:

“Tu traques l’anormalité à longueur de temps, le détail qui dénote, c’est toi qui dénotes le plus Erika, regarde ta vie. Regarde la !”

Des larmes coulèrent sur les joues de la jeune femme aux cheveux blancs. Lerion continua:

“Prudence avec ce que tu appelles “réalité”. Nous autres, on ne peut pas se payer le luxe d’autant de certitudes. Tu crois que tu as de bonnes valeurs, simplement parce que tu as souffert et que tu as choisi un camp ? Tu crois que tu as un regard éclairé, simplement parce que tu as passé quelques années au point zéro ?”

A ces mots, Erika ouvrit les yeux et planta son regard dans celui d’Asor. Il ne s’arrêtait pas:

“T’es tellement peu perspicace que même à l’heure actuelle, tu ne sais pas qui je suis. Tu te souviens de tout mais y a toujours ce truc que tu oublies, tu vois ?”

Elle voulait se débattre mais ses membres ne répondait plus. Il tourna le couteau dans la plaie et articula:

“…C’est que j’en ai rien à foutre de toi.”

Il tenait toujours fermement le crâne de Rika de sa main gauche, et de sa main droite enfonça le couteau un peu plus loin avant de parler avec force:

“C’est MON monde ! Tu vis dedans ! Je te dégage quand je veux !”

Rika fermait les yeux sous la douleur. Gill repris:

“Qu’as-tu fait de si bien dans le reverse, pour te croire à ce point irréprochable, hein ?! L’inaction n’est pas l’absence d’erreur ! Est-ce que ça me concerne que tes amis regardent le corps de Diane comme si c’était un bout de viande ? Non ! Est-ce que j’ai prié pendant toutes ces années pour que tu nous entendes ? Oui ! Qu’as-tu fait à part te cacher avec les intégrés ?!”

Elle ouvrit la bouche mais ne pût sortir un son.

“J’emmerde cette hypocrisie, et toi avec !”

Il se releva en retirant le couteau d’un mouvement sec, avant de donner un coup de pied dans la tête d’Erika qui fût assommée en se cognant contre le mur. La plaie béante à son épaule perdait énormément de sang, mais Asor n’était pas d’humeur à laisser place au doute.

Il détacha la bille d’Erika de la monture de son collier, déboutonna sa chemise et la plaça sur le ventre au centre du patio. Il avait besoin du rayon de lumière de la lune, pour y voir clair. Il s’assit à genoux sur elle et entrepris de graver les signes de transmutation sur le dos de la jeune femme. Patiemment.

La musique du Kern résonnait encore fortement lorsqu’il eu finit et qu’il rhabilla Rika. Il s’assura qu’elle était bel et bien décédée avant de lui rendre sa bille, en la plaçant dans sa bouche et en la lui faisant avaler. Il sorti une petite flasque de sa veste. Elle était remplie d’une poudre qu’il déversa sur le corps. Il jeta un regard à la lune et se demanda si Diane pensait à lui en cet instant. Il prit une profonde inspiration et craqua une allumette, qu’il jeta sur le corps inerte de Rika. Il s’assit en tailleur et regarda brûler son cadavre.

Ce dernier se consuma pendant de longues minutes. Gill chantonnait des prières au paroles endeuillées quand, enfin, cela se produisit: le corps de Rika Lynn se mit à disparaître complètement, absorbé au point zéro. Soulagé, une larme coulait sur le visage de Gill qui affichait un large sourire de gratitude.

Il se dirigea vers la porte du patio et la poussa d’un coup de pied sec. La musique envahit tout l’espace alors qu’il entra dans la lumière du troisième salon. Il toucha sa manche droite à l’intérieur cousu. Sa pensée fût pour Diane:

“Si je te donne mon nom…”

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