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- Décembre 2013 -

Christian vit dans un quartier aisé du dowtown de Toronto, du côté de Financal District. Le bâtiment où se trouve son appartement ressemble à une vieille manufacture qui a été retapée mais qui a aussi gagné en hauteur. Daria et moi empruntons l’ascenseur gigantesque pour nous rendre au cinquième étage. Une boule se noue au niveau de mon estomac et davantage lorsque les portes s’ouvrent et que nous traversons le couloir pour nous arrêter devant la porte d’entrée du quadra canon.

- Tu comptes rester comme ça encore longtemps ou bien on se décide à sonner ? me demande mon amie.

- Je n’en sais rien.

- Tu voulais que ta vie change non ? Hé bien c’est le moment ou jamais de lui faire le plus beau et gros des doigts d’honneur et de prendre une autre direction. Ou sinon on fait demi-tour et on se saoule à la téquila dans ma voiture.

- Tu te balades avec de la tequila dans ta bagnole ?

- J’en ai toujours une bouteille dans le coffre oui. La preuve que ça peut servir.

Daria sonne et un homme que je qualifierais de grande folasse d’un mètre quatre-vingt nous ouvre. Très fin, des cheveux longs, ce gars-là possède tout ce que je déteste chez un mec et je le discerne immédiatement à ses sourcils épilés. Il pose sa main droite sur sa hanche et me dévisage de haut en bas. À l’intérieur le titre Men In Love de Gossip ambiance les lieux.

- Oh mais que vois-je ! s’exclame-t-il d’une voix haut perchée. Un ourson perdu !

- Christian est là ? demandé-je du tac-o-tac d’une voix faussement grave.

Il m’ignore et se tourne vers Daria qu’il scrute dans les moindres détails.

- Mais quelle est dont cette charmante créature ? Serait-ce une espèce que je ne connais pas ? Intrigante, fascinante, mais tellement captivante.

Je déteste son côté théâtral qui me rappelle mon premier baiser d’adolescent que j’aurais aimé éviter, ou à défaut oublier à tout jamais. Christian arrive à notre secours et nous tire des griffes de ce mec. Je hais les divas. Me voilà perdu au milieu d’un océan sans bouée de sauvetage, piégé dans ce monde qui ne me ressemble pas.

Ce loft est gigantesque. La taille de la pièce à vivre fait bien deux fois mon appartement et la hauteur de plafond me laisse sans voix. Le passé industriel des lieux a été conservé avec certains pans de murs en briques, mais aussi d’énormes conduits en acier qui traversent la pièce au-dessus de nos têtes. De grosses poutres en bois claire sont également visibles et offrent une belle perspective. Moi qui m’attendais à une soirée où Madonna serait la reine et où j’aurais pu me bourrer la gueule, c’est râpé. Au lieu de ça j’ai droit à ce qui semble être un vernissage. Des œuvres d’art sont disposées partout à travers les lieux, œuvres contemplées par les invités de prestige de Christian. Deux serveurs passent parmi la foule, avec petits fours sur plateaux, accompagnés de champagne et de vin.

- Je vous débarrasse ? nous propose Christian.

Daria retire sa veste en cuir et nous offre une vue sur son décolleté avantageux.

- Je vous laisse faire le tour. Je reviens tout de suite, me susurre-t-il dans le creux de l’oreille.

Je fais tâche avec ce vieux jean et mon éternel t-shirt noir, ce qui n’est pas le cas de Daria, ou encore de Christian qui porte une chemise rose pâle et un pantalon gris. Un serveur passe à côté de nous et j’en profite pour m’emparer d’un énorme ballon de vin rouge dont je vide rapidement le contenu.

- Finalement les soirées gays c’est très surfait, plaisante Daria.

- Si tu comptais monter sur la table et montrer tes seins, c’est mort.

Nous observons les gens qui nous entourent. Daria focalise son regard sur un couple de femmes en admiration devant une toile peinte exclusivement en noir. L’une porte de grosses lunettes léopard et arbore une coupe au bol, tandis que celle qui l’accompagne est une rousse aux longs cheveux qui se la joue bobo chic au charme naturel.

- Janis et Bridget, s’exclame Daria, son verre de vin à la main.

- Qui est Janis ?

- Celle avec la coupe au bol. Elle est originaire de Suède et est venue s’installer au Canada pour percer dans le milieu underground de l’art contemporain. C’est aussi une féministe qui revendique la place de la femme dans la société à travers ses œuvres malheureusement incomprises du grand public.

- Et Bridget, la rousse ?

- Hm, c’est sa maitresse, sa muse. Janis est un peu plus vieille et a une certaine emprise sur Bridget. Le genre de relation SM mais doux, du SM lesbien quoi. Oh, et j’oubliais, elles ont un chat qu’elles ont appelé Frida.

Je ris à tout ce naturel dont faire preuve mon amie en racontant son histoire. Il nous arrive souvent de jouer à ce jeu, que ce soit au restaurant, dans un café ou un bar, ou encore dans le train. Observer les gens et leur inventer une vie est devenu notre truc. Daria pointe de l’index le gars qui nous a ouvert la porte, ce grand blond aussi fin qu’un fil de fer.

- Luc, plus connu sous le nom de Mister Twink dans le milieu du porno gay. Il a tourné quelques scènes assez hardcore. Son trip : se faire passer pour une chienne qui aime se faire fouetter le cul par des daddies musclés. Il bosse dans le milieu de la mode et dit connaître Anna Wintour. Par milieu de la mode j’entends qu’il bosse pour H&M.

Je termine mon verre et le dépose sur le plateau d’un serveur afin d’en prendre un second. C’est à mon tour de désigner un nouveau participant. Le grand gagnant est un beau brun aux yeux bleus habillé d’un sweat à capuche sous une veste de costard, et d’un jean. Son visage ne m’est pas inconnu.

- Attends, ce ne serait pas …

- Mark, me coupe Daria.

M’étaler sur la relation de « Maria » ou « Dark » me prendrait beaucoup trop de temps. Tous les deux se fréquentaient déjà quand j’ai rencontré Daria. Mark est un mec sympa, le type de gentil en voie de disparition. Il voyait Daria comme sa promise, la seule, l’unique, et il n’était pas de nature à aller tremper sa queue dans le premier minou venu. C’est elle, et surtout ses névroses, qui ont détruit son cœur à coup de scalpel. La rupture fut douloureuse pour les deux parties.

- Et merde, il arrive, s’effraye-t-elle. Qu’est-ce que je fais ?

- Tu peux toujours partir en courant.

- Daria ? Quelle surprise. Tu as l’air en forme.

C’est étrange. Ils sont à la fois gênés et nostalgiques de se retrouver. Deux années ont passé depuis leur rupture, deux années durant lesquelles ils ne se sont jamais revus.

- Toi aussi.

Ils se fixent dans le blanc des yeux, comme s’ils essayaient de se remémorer ces moments passés ensemble, à tenter de comprendre ce qui a tout fait capoter. Le temps d’un instant, l’un comme l’autre revit avec passion et douleur cette relation.

- Drôle de sensation hein ? ajoute Daria.

- Oui, comme tu dis.

Je me racle la gorge dans l’espoir d’attirer son attention et d’être un peu plus visible. Mark se tourne vers moi et joue l’étonné, comme si je venais d’apparaître.

- Je te croyais sur la côte ouest, lui fait remarquer mon amie.

- Oui, c’est toujours le cas. J’ai réussi à trouver un peu de temps libre pour passer les fêtes de fin d’année en famille. Une sorte de retour aux sources. C’est bizarre, je n’étais pas revenu depuis … tu es resplendissante en tout cas.

Les joues de Daria rougissent. Elle est comme ces adolescentes dont les hormones parlent à leur place.

- Qu’est-ce qui t’amènes ici ? lui demandé-je.

- Je suis venu avec des amis.

Daria est tellement troublée qu’elle n’arrive plus à lui parler.

- J’imagine que tu dois avoir un tas de trucs à me raconter, poursuit Mark à Daria.

Elle revient soudainement à elle et je préfère m’éclipser timidement. Je continus mon parcours en sirotant mon verre. Je passe devant le couple de lesbiennes ainsi qu’à côté de Mister Twink qui me regarde d’un drôle d’air.

- Connard, juré-je entre les dents.

Je m’arrête devant une peinture qui m’interpelle. Il s’agit d’un original de Rothko. Nicole ayant fait des études aux beaux-arts sur Sherbrooke, je sais reconnaître un Rothko quand j’en croise un. Mon quadra canon doit avoir du fric. Est-ce une de ses acquisitions ou une simple location ? En tout cas, simple location ou pas, il a du poignon.

- Vous connaissez Rothko ? me demande Christian.

- Pas personnellement, plaisanté-je.

Je jette un petit coup d’œil par-dessus l’épaule de Christian et constate que Daria discute encore avec Mark. J’ai peur de l’énorme connerie qu’elle pourrait faire.

- Je n’y connais pas grand-chose. Pas assez pour pouvoir apprécier l’œuvre à sa juste valeur.

- Pas besoin d’être un expert pour apprécier une œuvre. Il vous suffit de vous arrêter, d’observer, de patienter, et de ressentir.

C’est tout là mon problème, je suis incapable de ressentir quoi que ce soit, et ce n’est pas un morceau de tissu colorié qui risque de provoquer quelque chose chez moi.

- On ne couchera pas ensemble ce soir, lâché-je de but-en-blanc.

Un sourire séduisant illumine le visage de Christian.

- Et qu’est-ce qui vous fait penser que j’avais l’intention de coucher avec vous ?

- Une intuition.

Je le quitte et poursuis mon chemin pour prendre l’air sur le balcon depuis lequel j’ai une vue imprenable sur les buildings de la ville ainsi que sur la CN Tower.

- Ok. Partons du principe que j’ai une furieuse envie de vous mettre dans mon lit, comment je devrais m’y prendre ?

Je me retourne et aperçois l’immensité du loft depuis la baie vitrée.

- En temps normal, quelques téquilas chez Hyck suffisent. Malheureusement le sexe a tendance à brouiller les esprits.

- Hm, l’éternelle stratégie des trois rendez-vous. Que diriez-vous d’un dîner dans ce cas ?

- Pourquoi pas.

Christian se rapproche doucement de moi. Son visage n’est plus qu’à quelques millimètres du mien. Les battements de mon cœur s’accélèrent et alors que je crois sentir ses lèvres contre les miennes, il les effleure et se retire.

- Bien, murmure-t-il, considérez cette soirée comme notre premier rendez-vous.

Jamais un semblant de baiser ne m’a fait autant tourner la tête, jamais.

***

Je rentre chez moi détendu tandis que Daria a préféré poursuivre la soirée avec Mark. Cette sensation de bien-être n’a rien avoir avec ce que j’aurais pu trouver avec un vulgaire plan cul. En seulement quelques heures Christian m’a donné l’impression d’être moins bousillé que je ce que je croyais. Malgré l’heure tardive Nicole ne dort pas. Enveloppée dans une couverture sur le canapé, elle regarde une chaine musicale à la télévision, le genre de programme que nous avions l’habitude de regarder quand nous étions ados lors de nos nuits blanches. Elle tourne la tête vers moi. Je retire mes chaussures et la rejoins. Un paquet de céréales entamé trône sur la table. L’alcool m’a ouvert l’appétit et je pioche une poignée de pétales de blé.

- Je t’ai attendu, déclare-t-elle.

- Pas ce soir Nickie, je suis crevé.

Je grignote en fixant l’écran de télévision et trouve le sommeil sur l’épaule de ma sœur.

Lorsque je me réveille une odeur de pain grillé me chatouille les narines. Je porte les vêtements de la veille et émerge péniblement. La lumière extérieure m’ébloui à tel point que j’ai du mal à ouvrir complètement les yeux.

- J’ai cru que tu ne te réveillerais jamais ! s’exclame-t-elle.

- Qu’est-ce que tu fais ?

- Je nous prépare le petit-déjeuner.

- Qu’est-ce que tu prépares ? Ça sent le brûlé.

De la fumée émane de la plaque de cuisson où de l’huile crépite dans une poêle.

- Je voulais faire du bacon avec des œufs.

- Oh non, ça va me foutre la gerbe. C’est gentil mais je n’ai pas faim.

- C’est quoi ton problème ? Je te prépare à manger et le seul truc que tu trouves à faire c’est de m’engueuler ?!

- Je ne t’engueule pas, je te dis juste que j’ai pas faim et puis je déteste l’odeur de la bouffe au réveil le matin.

- Tu veux que j’éteigne le feu hein, c’est ça ?! Bah je vais l’éteindre ton feu !!! Tu me fais chier !

- Nickie arrête, c’est bon.

Une poignée de secondes suffit pour qu’elle m’échappe et que le stress et son agressivité montent en flèche.

- Depuis combien de temps est-ce que tu n’as pas pris ton traitement ? Et est-ce qu’Owen sait que tu es là au moins ?

- Va te faire foutre avec ton traitement de merde ! Je vous emmerde, toi et le traitement !!! C’est facile hein pour toi, toi et ta petite vie parfaite !!! Tu ne m’as jamais soutenu !!!! T’’es comme eux, tu me traites comme un chien !!!

Le ton de sa voix augmente. Elle bouge dans tous les sens, fait les cents pas, trépigne d’impatience en se tordant les doigts.

- Fous-toi-le où je pense ton petit-déj de merde !!!

Elle veut attraper la poêle mais tape dans le manche et se brûle la main. Nicole hurle et le tout se renverse par terre. J’accoure pour arrêter le feu.

- Nickie !!! Est-ce que ça va ???!!!

Je veux regarder sa brûlure mais elle ne me laisse pas faire et m’envoie un puissant revers en plein visage. Le coup est puissant et durant un instant je me vois partir. Nicole a disparu quand je rouvre les yeux.

- Merde !

Je cours à travers l’appartement et essaye d’ouvrir la porte de la salle de bain.

- Ouvre cette porte Nicole ! OUVRE CETTE PUTAIN DE PORTE !!!

Je prends de l’élan et fonce dessus pour la défoncer, sans grand succès. Je réitère le geste, puis une troisième fois. C’est plus compliqué à faire que ce qu’on voit dans les films. L’armoire à pharmacie est grande ouverte, des boîtes de médicaments à moitié ouvertes jonchent sur le sol, et Nicole continue d’avaler ces pilules en grande quantité.

- Recrache-ça tout de suite !!!

Je bondis sur elle mais elle me tient par les épaules et me repousse tandis que je cramponne mes mains à sa mâchoire pour lui extirper tout ce qu’elle a dans la bouche. Nicole en profite pour me mordre d’un coup sec et franc. Je hurle avec cette impression d’avoir les doigts broyés. Elle veut quitter la salle de bain mais je l’attrape par le bras et la tire vers moi.

- Lâche-moi !!!!!!!

Hors de question d’abandonner. J’essaye de ne pas la lâcher, et sans trop savoir comment, Nicole glisse sur une flaque d’eau qui l’entraîne dans la douche. Elle tente de se raccrocher désespérément au rideau qui s’arrache sous son poids. Un bruit sourd résonne lorsque sa tête cogne contre le carrelage.

***

Je suis assis dans cette salle d’attente, entouré de tracts et autres posters de prévention en matière de santé avec le tic-tac de l’horloge comme berceuse. Je suis levé depuis même pas une heure et je suis déjà à l’hôpital à devoir prendre soin de Nickie, comme je l’avais plus ou moins prédit.

- Comment va ton œil ?

Henry me tend une poche de glace que je pose délicatement sur cet œil amoché. Cette scène a un goût de déjà-vu.

- Tu devrais voir un médecin.

- Ce n’est rien, je m’en remettrai.

- Je suis désolé de te dire ça mais t’as une sale mine. Repose-toi et je t’appelle dès que ta sœur se réveille.

- Ça va aller je te dis, je vais attendre.

- Ok. Tu veux qu’on en parle ?

- Pas vraiment non.

Mon regard fixe le vide. Je perds pied avec la réalité au fur et à mesure que le temps passe. Visiblement rien n’a changé. Ma sœur est encore dans un sale état, et moi toujours incapable de faire quoique ce soit avec cette furieuse envie de partir en courant sans regarder derrière moi.

***

La poêle pleine de graisse trône fièrement par terre et ma salle de bain a été retournée tel un un sac à main qu’une femme aurait vidé. Mes yeux se posent sur la chambre où reposait, il y a deux jours de ça, le corps sans vie de John Doe. J’ai fait un putain de doigt d’honneur à ma vie hier soir et elle n’a pas apprécié le geste. Ma tête aussi lourde qu’une pastèque tombe entre mes mains. Je frotte mon visage, épuisé par les derniers événements, puis dégaine mon téléphone portable. Je ne réfléchis plus, je n’hésite pas, j’appelle.

- Allô, Debbie ?

La conversation est brève. Je ne laisse aucune faille pour les banalités et me satisfais du strict minimum, c’est-à-dire Nicole. Voir ressurgir Debbie dans ma vie est suffisamment difficile pour ne pas se laisser aller, ce qui pourrait s’apparenter à des débordements d’émotions, qui chez moi se caractérisent par de la violence physique et verbale. Debbie est prête à me rejoindre. Je lui raccroche presque au nez.

***

J’ai rendez-vous avec Christian ce soir pour un resto et je n’ai pas la tête à ça. Je ne vois qu’une seule solution pour me changer les idées jusqu’à ce soir : courir. J’enfile un vieux sweat à capuche gris, un short, ma vieille paire de Nike, pour enfin filer à travers les rues de Toronto, musique sur les oreilles. Metric chantonne Help I’m Alive, et me donne la force et l’endurance pour débuter mon footing. L’air est frais, le ciel légèrement brumeux, mais ça n’a pas d’importance. J’ai la sensation d’être seul au milieu de cette fourmilière. Je déambule entre les passants sans faire attention à qui que ce soit. La foule n’est que figuration. Je suis l’acteur principal de cette scène. Je suis seul. Les voitures défilent sous mes yeux, puis j’emprunte la direction d’un parc pas très loin de chez moi. Quelques promeneurs de chiens du dimanche se donnent rendez-vous ici, ainsi que des marcheurs habitués à ces promenades. Je ne pense plus à rien.

N’ayant pas envie de rentrer chez moi, je prends un tout autre chemin, direction Yorkville. Daria et moi avons un double des clés de chacun. Il est arrivé plus d’une fois que je retrouve celle que je considère comme ma moitié, endormie sur mon canapé alors que je venais de me réveiller. Elle débarque par moments en pleine nuit, soit après un rendez-vous loupé, ou après une fête dans le coin quand l’alcool ingéré ne lui permet plus de rentrer chez elle. Elle fait parfois irruption dans ma chambre avec ce besoin urgent de me parler. Alors j’ouvre les yeux et elle se glisse sous ma couette sans être dérangée par ma nudité ou ma gaule nocturne.

J’ouvre la porte d’entrée et rentre comme chez moi. L’odeur de transpiration me pique les yeux. Une douche s’impose. Je me retrouve nez à nez avec un mec à poil alors que je pénètre dans la salle de bain. L’eau chaude de la douche a rempli la pièce de vapeur tel un hammam. Le gars en question prend une serviette et l’enroule autour de la taille. Malgré la rapidité de son geste j’ai le temps d’admirer son anatomie et autant dire qu’il est bien fourni. Décidemment Daria sait les choisir. Je fais demi-tour avec l’image de cette queue en tête.

- Qu’est-ce que tu fais là ?

Daria est dans sa cuisine habillée d’une nuisette noire et d’un peignoir en soie.

- Mark est à poil dans ta salle de bain.

- Et tu as un œil au beurre noir.

- Mark est à poil dans ta salle de bain, répété-je en me dirigeant vers la cuisine.

- Et tu as un œil au beurre noir.

- Tu as le choix entre l’absence de réponse ou un bon vieux mensonge du type je me suis cogné dans une porte ou je suis tombé dans les escaliers.

Elle ferme son peignoir et prépare du café.

- Dis-moi juste que tu vas bien.

- Je vais bien. Qu’est-ce qui t’a pris de faire ça ? Je croyais que ça se passait bien avec Isaac ?

- Si je suis ton principe je n’ai pas le droit de m’envoyer en l’air avec deux mecs ? Je ne te savais pas si machiste et conservateur.

Notre conversation est interrompue par la venue de Mark.

- Désolé, je ne voulais pas déranger, s’excuse-t-il. Je vais devoir filer, on m’attend. Tu n’aurais pas vu ma veste ? continu-t-il en se tournant vers mon amie.

Le reste de ses affaires retrouvé, Mark dépose un délicat baiser sur les lèvres de sa belle. Il ouvre la porte d’entrée et se retrouve nez à nez avec Isaac. Le beau psychiatre reste stoïque, agacé par la vue de ce gars. Il tient un café de chez Starbucksdans une main et un muffin dans l’autre. Daria ne bouge plus. Ok, sa relation avec Isaac n’est pas totalement définie et les règles n’ont probablement pas été établies, pas au bout de quelques baises, n’empêche que cette situation la fout mal. Je n’ai pas d’autre choix que de sortir Daria de cette merde. Je m’avance vers Mark que j’attrape par la taille pour l’embrasser tendrement. Par chance il ne me repousse pas.

- Je t’appelle, lui susurré-je.

Je n’irais pas jusqu’à dire qu’il a pris son pied mais sa non réaction soulève débat. Mark s’immisce entre Isaac et moi et quitte l’appartement.

- Tu reçois tes rencards ici maintenant ?

- Si tu voyais l’état de mon appartement tu comprendrais mieux pourquoi. Je vous laisse causer, je vais me doucher.

Je me fais tout petit jusqu’à arriver dans la salle de bain. Je me débarrasse de mes vêtements humides puant la sueur et rentre dans la cabine de douche où l’eau quasi bouillante coule le long de mon corps tatoué. Les yeux fermés, je m’évade. Je savoure ce moment, le « ici et maintenant », cette chaleur et l’odeur de vanille imprégnée dans la pièce. Mes yeux s’ouvrent subitement lorsque la porte de la douche s’ouvre. Daria se fait une place et plaque ses cheveux trempés en arrière.

- Le petit-déjeuner à domicile, plutôt sympa. Je crois qu’il est officiellement temps pour toi de réellement définir la nature de votre relation.

- T’as roulé une pelle à Mark.

- Excuse-moi mais c’est tout ce que j’ai trouvé en si peu de temps pour t’éviter un interrogatoire de la part d’Isaac, mais surtout ne me remercie pas. Et à quoi tu joues ? Je croyais que tu l’aimais bien ton psychiatre ?

- J’avais un peu bu et …

- Non, attends, tu ne vas quand même pas une fois de plus mettre ça sur le dos de la téquila ? C’est si difficile pour toi de garder les cuisses fermées après avoir bu ?

Elle ne rebondit pas sur ce que je dis et savonne son corps.

- Tu veux que je te rappelle à quel point ça a été dur pour ce pauvre Mark quand tu l’as largué ? Ne me dis pas que tu te lances à nouveau dans quelque chose avec lui ?

- Nous sommes des adultes consentants, et on en avait envie, ça s’arrête là. C’est comme retrouver le doudou que t’avais quand t’étais gamin. T’as forcément envie de le sentir une dernière fois avant de t’en débarrasser.

- Vous comptez vous revoir ?

- Non.

- J’ai rendez-vous ce soir avec Christian, changé-je de sujet.

- Christian ?

- Le quadra canon.

- Donc tu te lances ?

- Tu te lances avec Isaac ?

- Rien à voir. On parle de ton œil ?

- Hors sujet.

- On parle de ce que tu me caches ?

- L’œil au beurre noir ?

- L’autre truc.

- Veto !

La discussion s’arrête là et chacun termine de se savonner dans son coin.

***

C’est un fait, je ne gagne pas très bien ma vie. Ce n’est pas le boulot d’infirmier psy qui me rapportera un paquet de fric. Alors oui j’ai les moyens de me payer un beau petit appart pas très loin du cœur de Toronto, oui j’arrive à entretenir ma consommation de vin rouge, de bière, de téquila, et de pizzas, mais à part ça je ne voyage pas, et je ne fréquente pas les grandes boutiques. Je ne dors pas non plus dans de la literie de marque, et mon armoire se résume à des t-shirts noirs et à deux trois jeans. Qui plus est j’ai toujours ce prêt étudiant sur le dos que je dois rembourser. Il est clair que je suis loin de l’univers dans lequel Christian baigne.

Je fais un effort vestimentaire et me rends chez mon quadra canon. Lorsque je toque à la porte je crois entendre un « entrez » lointain. Je m’exécute et pénètre timidement à l’intérieur. Je découvre les lieux sous un autre angle que lors de la soirée vernissage. Je marche, j’observe, je tourne en rond, puis je me retourne et vois Christian, le corps encore humide. De l’eau perle le long de son torse saillant tandis que de la vapeur émane de la salle de bain. Seule une serviette blanche enroulée autour de la taille cache une partie de son anatomie. Je vis cette scène pour la seconde fois de la journée, ce qui n’est pas pour me déplaire.

- J’ai pris un peu de retard, tu ne m’en veux pas j’espère ?

Je sens la chaleur émaner de la salle de bain s’emparer de mon être. Ma queue gonfle et cette excitation augmente au fil des secondes. Le cul me fait vraiment vriller.

- Tu me laisses quelques minutes et je suis tout à toi.

Je n’ai pas envie de patienter. Je ne pense plus à ce restaurant mais à lui, à ce corps robuste, à ces bras capables de me soulever, à cette queue qui se cache sous cette serviette. J’avance d’un pas timide et colle mes lèvres contre les siennes en lui donnant un furtif coup de langue avant de me retirer.

- Considère ce baiser comme un deuxième rendez-vous accéléré, lui dis-je.

Je retourne à la charge et l’embrasse cette fois-ci fougueusement. Le french kiss classique. Il y a des baisers qui vous écœurent pour la vie, et il y a les autres.

Ses mains se posent sur mon cul, et sa serviette tombe à mes pieds. Nos langues s’entremêlent avec passion. Je glisse ma main droite entre ses jambes et attrape sa bite. Elle me parait épaisse, pas spécialement longue mais d’un bon calibre. Christian détache ses mains de mon cul pour ouvrir ma chemise d’un coup, arrachant l’intégralité de mes boutons. Je n’ai qu’une seule chemise, il vient de me la ruiner. Peu importe, je suis trop chaud pour penser à ça. Je défais ma ceinture, fais tomber mon pantalon, et sors à mon tour ma queue. Nos deux bites sont aussi dures l’une que l’autre et se touchent telles deux épées prêtes à combattre. Christian enroule ses bras autour de ma taille et me soulève. Mes jambes s’agrippent à lui, et nous nous dirigeons dans sa chambre en nous embrassant passionnément.

J’ai connu assez de mecs et eu assez de rapports sexuels pour avoir un élément de comparaison. Je peux affirmer haut et fort que Christian est un putain de coup, le genre de mec qui sait quoi faire et à quel moment. Le genre de mec qui vous laisse faire quand vous avez envie de prendre les commandes. J’ai beau être passif comme on dit dans le milieu, je ne suis pas de ces gars qui se contentent de tendre leur cul à attendre que ça passe. J’aime jouer, j’aime diriger, j’aime contrôler autant que j’aime qu’on me dirige.

Le restaurant est vite oublié et je m’endors contre le torse velu de mon quadra canon. Une fois de plus à ses côtés, le temps d’un instant, j’oublie ma vie. Il y a quelque chose chez ce mec qui me fait me sentir différent, qui me rend différent, et j’aime cet homme que je pourrais devenir.

La sonnerie de mon téléphone me sort des bras de Morphée. La chambre est plongée dans la pénombre et j’ai du mal à émerger avant de mettre la main sur mon iPhone.

- Allô ? Oui. Oui, j’arrive tout de suite.

J’avais complètement zappé Debbie. Je me tourne vers mon quadra canon et pose mon oreille contre son torse, à la recherche des battements de son cœur.

- Tu vérifies si je suis toujours en vie ? déclare-t-il les yeux encore fermés. Tu fais ça souvent ?

Je n’en dis pas plus. Je me vois mal lui parler de mon réveil aux côtés de John Doe. Je me lève, à la recherche de mes vêtements que j’enfile rapidement.

- Tu t’en vas ? me demande-t-il en s’asseyant dans le lit.

- J’aimerais rester, vraiment.

- Alors restes.

Une fois de plus mon passé compliqué ne me permet pas d’être honnête.

- Je t’appelle dés que je peux.

Mon départ ressemble à un au revoir comme on en voit beaucoup après une nuit torride. J’aimerais lui avouer que je ne veux pas que les choses s’arrêtent là mais ce n’est pas le genre de truc que l’on sort à un mec au bout de quelques jours, et je ne suis pas du genre à déclarer ma flamme non plus.

Je quitte les beaux appartements du Financial District pour retourner sur Queen Street. J’ignore l’heure qu’il est, comme en dehors du temps, encore sur mon petit nuage qui redescend d’un coup. La porte d’entrée de chez moi n’est pas fermée à clefs et les lumières sont allumées. Debbie est là et sirote une de mes bières sur le comptoir de la cuisine. La voir avec cette bouteille à la main ravive en moi de mauvais souvenirs.

- Debbie ?

- Je t’ai déjà dit un millier de fois de m’appeler maman James ! Et tu devrais penser à fermer ton appartement à clefs.

Elle boit une gorgée de sa bière et s’installe sur le canapé. Je prends une mousse à mon tour et un silence apparait tel un épais mur de glace nous séparant.

- Je t’ai appelé, de nombreuses fois, déclare-t-elle. Je me suis pas mal entretenue avec ton répondeur d’ailleurs. As-tu seulement au moins écouté mes messages ?

- J’étais très occupé.

- Pendant trois ans ? Mon fils me manque James.

J’aimerais lui dire que ma mère aussi, mais ce serait lui mentir. Je ne vois plus une mère, je ne vois que Debbie, cette femme qui a cumulé les mauvais choix et fait de moi cet homme que je déteste et dont je dois affronter le reflet dans le miroir chaque matin. Je la hais pour ce qu’elle a fait de moi.

- Tu comptes rester longtemps en ville ?

- Autant de temps qu’il le faudra pour Nicole.

- Je la pensais avec Owen.

- Ça a été le cas, durant quelques mois. Et puis un jour il m’a appelé pour m’avertir qu’elle avait quitté leur appartement et qu’il ne pouvait plus supporter ça, que c’était terminé, qu’il abandonnait. Durant un temps je l’ai crue chez toi.

- Pourquoi ne pas être venue alors ?

- Parce que comme Owen j’ai aussi abandonné. Je n’avais plus la force. J’ai abandonné mon rôle de mère. J’ai échoué. Et je m’en veux, je m’en veux de ne pas avoir réussi à la protéger, de ne pas avoir réussi à protéger Ethan de ton père.

- Jacob tu veux dire.

- Ça reste ton père.

- Et c’est parti !

Je descends plus de la moitié de la bouteille et retiens un rot acide qui me bousille l’estomac.

- Voilà pourquoi je ne réponds pas à tes appels, pourquoi je ne viens pas pour les anniversaires, les fêtes de fin d’années, et toutes ces autres conneries. Parce que je ne veux pas entendre tout ça.

- Que tu le veuilles ou non, on est et on restera toujours ta famille.

- On n’a jamais été une famille. Je t’ai téléphoné pour une seule et unique chose : que tu t’occupes de Nickie. Va la voir, convainc-là de rester avec toi, et rentrez à Westmount toutes les deux.

Je plaque la bouteille sur la table basse et m’isole dans ma chambre. Les larmes montent. Il est hors de question que je craque, pas ce soir. Je ferme les yeux en respirant profondément, à deux doigts de la crise de nerfs.

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