Chapitre 7- 15/08/1939

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05/06/1950

Cher Seigneur Jésus-Christ,

Nous avons commencé à faire les réparations de notre toit ! Alléluia, que Dieu nous bénisse ! Je suis si heureux que nos prières aient été entendues !

Pour poursuivre ce beau mois d’été, nous avons célébré la messe avec des catéchumènes qui se préparaient pour leur confirmation. Comme c’était beau quand le père Jean-Baptiste s’est adressé à eux pour dire qu’ils allaient recevoir l’Esprit-Saint par notre archevêque. Ils étaient au moins une vingtaine. Comme ce fût émouvant, j’en ai eu les larmes aux yeux. Nous avons poursuivi la messe en nous rassemblant, mes frères et moi, à l’autel, pour recevoir le corps du Christ. J’ai pu m'adresser à l’assemblée et regagner ma place. Cela faisait si longtemps que je n’avais pas béni le corps et le sang du Christ. Je trouve cette cène toujours très symbolique, quand le Christ fit de même pour ses disciples. Quand je me suis approché de vous, mon bien aimé, j’ai pu constater que vous m’aviez donné deux fois le corps du Christ. Était-ce une erreur de votre part ? Sachez que je l’ai gardé dans mon cœur en me disant que c’était aussi de la part de votre bienheureuse Mère. Je suis descendu pour aller jouer de l’orgue et devinez quel air j’ai joué ? Je vous laisse réfléchir. Si vous avez trouvé, vous êtes un très bon musicien mon doux Jésus. Comme vous avez pu le constater, j’ai joué l’adagio d’Albinoni. Un ancien morceau que j’avais joué avec le père Théophane. Je suis toujours sur un petit nuage quand je touche les notes de l’orgue pour laisser la musique envahir les âmes de nos fidèles paroissiens. J'aime cette douceur que nous procure cet instrument. Jouer par cœur me donne souvent envie d’improviser la suite, mais ce morceau vous était dédié. Je vous rends grâce pour cette très belle célébration que nous avons eu. À la fin de la messe, j’ai joué la passacaglia en C mineur de Bach. Pas facile sans vous mentir, j’en ai morflé pour bien le jouer. Comme tout le monde était parti pour discuter avec nos catéchumènes, très gentiment, le frère Philémon s’est installé à côté de moi pour écouter le morceau jusqu’au bout. Il était en train de déchiffrer la partition et me tourna également les pages. Nous sommes restés tous les deux à la fin pour ranger la nappe et les ustensiles jusqu’à repartir au cloître, dans un silence très profond. J’aime tellement ce vœu d’obéissance car j’en profite toujours pour vous parler de mes futurs projets. Combien j’aime la saveur de cette chapelle, qui sent si bon les fleurs de Lys et les chandelles que nous avons déposées pour nos défunts soldats.

En parlant de consécration, vous vous souvenez à quelle date m'a-t-on ordonné prêtre ? Moi, je m’en souviens parfaitement ! C’était un quinze août, la fête de notre Mère bien aimée, l’immaculée conception. Comme j’avais dû arrêter mes études pour me préparer à mes vœux perpétuels, mon père supérieur m’avait suggéré d’accélérer le processus comme j’avais vécu avec eux depuis plus de dix neuf ans. Il m’avait dit que j’allais faire ma prise d’habit en même temps que mes vœux perpétuels, ce à quoi, j’avais répondu « c’est un honneur d’être la brebis du Seigneur ». Pendant un certain temps, j’avais prévenu mes amis que je ne pourrais plus les voir, sachant que j’étais parti au moment même où Philémon allait déclarer sa main à Coline. J’étais donc resté un bon moment pour me préparer à vous, mon doux Jésus. J’étais surexcité à l’idée de vous rejoindre pour l’éternité ! Sans aucun doute, c’était vous que j’avais choisi, au plus profond de mon cœur et voici le moment que j’avais tant attendu. L’évêque de notre région était venu spécialement nous rejoindre pour célébrer mes vœux perpétuels. J’avais juré d’être fidèle, obéissant, pauvre et chaste pour vous, Ô mon petit Jésus. Après la célébration, j’avais versé des larmes tout le long de la journée, en étant ému d’être unis à jamais avec vous.

Pour la première fois, j’avais pu célébrer la messe au sein de notre village. Les paroissiens étaient heureux d’avoir un nouveau prêtre aussi jeune.

Un jour, toujours pendant le mois d’Août, lorsque je célébrais la messe au sein de notre chapelle, j’avais remarqué un visage familier tout au fond de la petite église. Il avait à côté de lui ses affaires et avait le visage sombre. À la fin de la messe, en saluant tout le monde, il ne manquait plus que ce jeune homme qui n’avait pas bougé d'un poil. J’entendis des pleurs qui me brisèrent l’âme. En fermant doucement les portes et en étant seul avec lui, je m’étais approché et m’étais mis à côté de lui. Il avait le visage en larmes et se retourna pour ne pas que je le regarde.

— Phil… Qu’est ce qui te met dans tous ses états ?

Je ne pensais pas le rencontrer ainsi, et moi qui espérais qu’il était avec sa belle Coline.

— C’est que… Je… Elle…

Il n’arrivait pas à parler, ses larmes coulaient sans arrêt. Je le rassurais en le serrant contre moi et caressa ses cheveux.

— Calme-toi Philémon, ça va bien se passer, ça va bien se passer… Raconte moi tout ça calmement et cesse de pleurer, d’accord ?

En prenant le mouchoir que je lui avais tendu, il se moucha très fortement et essuya ses yeux tout rouge. En comprenant qu’il n’avait pas de bague autour de son doigt, ma tête se décomposa pour lui et me senti triste.

— Oh je vois… Je, je suis désolé qu’elle ait refusé…

Il m’arrêta en me faisant un signe avec sa main droite.

— Non non, ce n’est pas ce qui m’a fait le plus de mal Barthélémy, heu non, je veux dire…

— Théophane, mon nom est désormais Théophane.

Il me sourit nerveusement et se tourna vers moi pour se confier.

— Comme c’est beau, me complimenta-t-il.

Je lui souris tristement, à mon tour.

— Je ne comprends pas, on se connaît depuis qu’on est tout petit… Bon d’accord, je peux comprendre qu’elle ne m’aime pas, ce n’est pas de sa faute, mais ce que je ne comprends pas c’est qu’elle ne m’a ni invité à ses fiançailles et ni à son mariage et cela m’a plus brisé le cœur qu’autre chose ! Crois-tu qu’elle le savait ? Que je l’aimais ? Et que c’est l’une des raisons pour laquelle je n'ai pas été invité ?

Déchu d’entre tout cela, je m’étais débarbouillé le visage en décryptant tout ce qu’il venait de me dire.

— Je… je ne sais pas Phil… Peut-être ?

Complètement anéanti pour mon ami, je le rassurais en lui disant que le bon Dieu allait réparer son petit cœur brisé.

— Tu, tu crois qu’il y a de la place dans ce monastère ?

Toc toc toc.

Le cardinal Maximilien qui était plongé dans sa lecture, enleva ses lunettes et demanda la permission d’entrer. Le grand cardinal qu’il avait croisé lors de l’enterrement, vit qu’il n’était pas seul, il était accompagné de trois aux cardinaux qui étaient alignés, devant son bureau. Il referma le petit cahier et le positionna à sa gauche.

— Il y a un problème monseigneur Benoît ?

Il se mit à rire en se frottant sadiquement les mains et monta sur une petite estrade. Il se pencha dangereusement de son ami en touchant le carnet.

— Intéressant ce que vous avez, mon frère bien aimé…

— Que voulez-vous ?

— Ce que je veux ?, demanda-t-il en prenant le journal— Je cherche la même chose que vous mon ami, béatifier le père Théophane, n’est-ce pas ?

— C’est exact, monseigneur Benoît.

— Mais pas le même but, répondit-il brutalement en faisant tomber le carnet sous les yeux de son frère.

Le père Maximilien ramassa le feuilleton et souffla pour enlever la poussière.

— Si j’ai bien compris, vous ne désirez pas que le père Théophane devienne un saint parce que vous en êtes jaloux.

— Moi ? Jaloux ? Voyons mon frère, ça serait un péché ! Ce que je cherche c’est de prouver que ce moine n’était rien d’autre qu’un pauvre pécheur ! cracha-t-il en frappant son poing contre la table.

Le cardinal regagna sa place et remit ses lunettes.

— Vous savez monseigneur, les saints peuvent être aussi des pécheurs.

— Je le sais ! Mais je vous prouverais que j’ai des témoignages contre le père Théophane !

— Et moi je vous exige de sortir d'ici !

— Attendez, monseigneur Maximilien, je ne suis pas venu pour lui, mais pour vous dire que le pape vous envoie en mission.

Surpris, le prêtre le toisa dans un long silence jusqu’à ce que l’autre cardinal demande aux autres de partir avec lui.

— Il vous attend à Rome ! Saluez-le bien de ma part ! s’exclama-t-il en croisant le frère Philémon.

Le moine qui venait d’entendre toute la conversation, bouleversé, il s’avança vers le cardinal.

— Vous n’allez pas abandonner monseigneur !

Celui-ci-rangea les documents dans une petite mallette, garda précautionneusement le cahier gris en le tournant de droite à gauche et se mit à regarder le petit moine.

— Donnez-le à sœur Humbeline.

— Mais, mais comment-allez vous faire ?

— Elle m’écrira avec cette adresse.

Le petit moine, en obéissant, prit les papiers et les serra contre lui.

— Vous allez, tous, m’écrire par lettre sur tout ce que vous avez vécu avec le père Théophane. Suis-je assez clair ?

Il hocha la tête en voyant le cardinal mettre un chapeau.

— Ça ira pour suivre deux affaires en même temps ?

— Mais oui, ne vous inquiétez pas pour moi, rassura-t-il en frappant doucement à son épaule.

— J’ai une question monseigneur ? Vous vous connaissez avec le père Théophane ?

Il se mit à rire gentiment en refermant son beau manteau gris.

— Ah ! Le père Théophane et moi étions de très bons amis ! Pourriez-vous m’ouvrir à la page quinze ?

Le frère se mit aussitôt à lire à voix haute en commençant par ce paragraphe :

« Philémon fut admis dans notre communauté. Nous étions tous heureux d’accueillir un nouveau membre, cela faisait si longtemps qu’un jeune n’était pas entré ici. Ô mon Jésus, ce fut terrible lorsque nos paroissiens nous avaient annoncé qu’une nouvelle guerre allait éclater, je n’y croyais pas du tout lorsque le père Théophane m’avait annoncé que son père allait partir au front ainsi qu’au reste de la communauté. Je m’étais effondré au sol en pleurant toutes les larmes de mon corps en vous demandant de cesser ce massacre ! Philémon m’avait aidé à me relever et pleura, aussi, à son tour. Ce fut une nouvelle ambiance à l’Abbaye, tout avait changé… Tout était devenu sinistre et si sombre… jusqu’à ce qu’une autre nouvelle, vienne bouleverser ma vie… Signé, le père Théophane... »

Le frère Philémon, qui s’en souvînt parfaitement, versa des larmes et referma le petit carnet. Le cardinal Maximilien, qui partagea ce souvenir avec lui, nettoya ses yeux, pétillants de larmes.

— Il est en train de raconter toute notre vie… Je, je ne le savais pas du tout…

— Je suppose que mon nom sera marqué quelque part, il avait tout envisagé, il est fort, très fort et vous aussi mon frère, que Dieu vous bénisse et vous garde dans son amour éternel.

— Vous de même monseigneur, bonne route.

Sans plus tarder, le frère Philémon courut dans le couloir et frappa à la porte de sœur Humbeline pour tout lui raconter.

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