Chapitre 4- Coline

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Les gens entrèrent dans la chapelle, d’un pas las, en fermant un à un, leurs parapluies. Quelques-uns avaient attrapé froid, tandis que d’autres, se réchauffaient en s’installant vers des bancs en bois. Le lieu était bien mis en valeur, grâce aux éclairages que les moines avaient installés. En parlant d’eux, ils avaient un endroit réservé, c'est-à-dire près de l’autel, où ils étaient tous disposés en cercle autour du père Théophane. Le nombre était incalculable, le frère Félicien et Guillaume qui donnèrent les feuilles de chants, virent qu’ils n’en restaient presque plus. Ils aperçurent que d'autres invités allaient entrer, mais hélas, il n’y avait plus de place. Les deux moines demandèrent aux autres, de rester dehors. Ils s’excusèrent pour le peu d’espace qu’il y avait dans la petite chapelle. Ils n’avaient pas l’habitude d’accueillir autant de monde.

Quatre moines mirent des bancs, à l’entrée de la petite église et des gens les aidèrent à installer le reste. Au moins une centaine de personnes étaient venues des quatre coins du pays pour assister à la célébration. La pluie avait cessé de tomber, des nuages gris continuaient de planer dans le ciel. Quelques personnes enlevèrent leurs capuches, tandis que d’autres, attendaient, sagement. Les moines n’avaient pas d'autre choix que de laisser les grandes portes ouvertes, à la vue du monde extérieur. Les frères Guillaume et Félicien regagnèrent leurs places en attendant encore cinq minutes.

Puis, un grand cardinal traversa d'une traite, la grande allée, pour se diriger vers l’autel. Les moines, qui étaient étonnés de son comportement, le laissèrent se positionner au près du pupitre. Il tapota le micro et demanda de l’attention de toute l’assemblée.

— Avant de célébrer, j’ai quelques mots à vous partager, concernant notre frère bien aimé. Tout d’abord, je tenais à remercier tous les cardinaux de s’être déplacés ainsi qu’à certaines congrégations venues de loin. Pour poursuivre ce discours, je tenais à préciser, pour ceux qui ne sont pas au courant, que le pape a lancé un procès de béatification. Pour être franc, le père Théophane n’était pas du tout un saint. Tout le monde pense qu’il en est un, mais je préfère vous dire les choses. C’était certes, un prêtre comme nous tous, aimé de tous ses paroissiens , mais un homme qui a aussi ses qualités et ses défauts, il était loin d’être parfait. J’ai retenu quelques reproches, concernant certains de ces paroissiens, qui disaient qu’il était vaniteux et assez grotesque. Je partagerais aussi leurs avis, parce que pour être un saint, il faut aussi être orgueilleux.

Certains rires de son discours, tandis que le cardinal Maximilien, ne partageait pas son avis en fronçant des sourcils.

— Nous serons donc trois cardinaux pour mener cette enquête, pour vous prouver qu’il ne s’agit pas simplement d’un grand personnage qui a marqué le cours de l’histoire française, mais qu’il est un homme simple et pécheur. Bonne célébration à tous.

Il descendit les marches une à une, et prit une place pas très loin de celle du cardinal Maximilien. Ils se lancèrent des regards bélliqueux, jusqu’à ce que le cardinal Benoît, lui chuchota à l’oreille.

— Toute cette affaire est fausse monseigneur et je vous le prouverai.

Il ne se défendit pas et garda la tête en se levant, car la cérémonie allait commencer jusqu’à ce qu'il lui répondit :

— Les hommes ne sont pas aussi parfaits que vous, monseigneur Benoît.

Il partit en grommelant dans son propre coin.


* * *
Lorsque le cercueil fut mis au cimetière, tout le monde quitta ce lieu sacré, sous des larmes de tristesse et de deuil. Le frère Philémon, qui allait rejoindre ses frères, fut pris au dépourvu en voyant Coline se diriger vers lui. La femme rousse lui demanda si elle pouvait lui parler et il hocha la tête, en s’éloignant de tout ce brouhaha. Ils se dirigèrent dans une petite forêt, où des gouttes de pluies tombaient à travers les branches de sapins. Elle garda la tête basse, en portant son sac à main, enroulée par-dessus ses gants noirs. Le moine attendit qu’elle parle, mais elle resta silencieuse pendant un bon moment, jusqu’à ce qu’elle se mit à rire en voyant une petite mésange faire son nid.

— Tu es toujours triste j’imagine ?, osa parler le frère Philémon pour rompre ce silence.

— Un peu, mais je me dis à la fois qu’il doit être heureux d’être avec notre Seigneur.

Le religieux partagea son avis en hochant délicatement la tête. Il croisa les bras et fit de son mieux pour marcher, mais malheureusement c’était son handicap, il n’avait pas le choix que de déambuler de travers. La jeune femme aperçut sa démarche maladroite et fit une petite grimace.

— J’imagine que l’accident n’a pas arrangé ta jambe…

Il soupira et s’assit sur un banc en pierre. Elle l’imita en posant son petit sac sur ses genoux.

— Les chirurgiens ont fait tout leur possible pour me soigner, mais cela ne me dérange pas, comme je me déplace peu…

— Le Seigneur t’as rendu fort.

Il sourit de travers et grimaça, en sentant la douleur lui lancer. Elle s’en inquiéta et demanda si elle pouvait faire quelque chose, mais il répondit que ce n’était rien. Le vent siffla sur leur visage avec des oisillons qui piaillèrent dans les sapins. La jeune femme rousse en profita pour respirer le doux parfum des fleurs sauvages.

— Tu voulais me dire quelque chose ?

Elle se pinça les lèvres en devenant muette et contrôla ses larmes.

— Oh Philémon, je dois t’avouer qu’il n’y a pas que le père Théophane qui me tracasse, mais mon mari aussi…

Elle passa un coup de langue sur son rouge à lèvre et se mit à parler, d’une triste voix :

— Il y a quatre mois, mon mari a enchaîné les procès pour défendre ces témoins et il les a perdus… Nous n'avons pas eu d’autre choix que de mettre nos enfants chez mes parents et chez les siens, le temps de regagner des sous… Nous avons vendu notre maison et nous nous sommes installés dans un quartier bien plus pauvre… Depuis, il ne va plus à la messe et pense que c’est de la faute du Seigneur… J’ai essayé de le raisonner mais il me répète à longueur de journée qu’il est un bon à rien, que c’est de sa faute si nous nous sommes retrouvés dans cette situation, que c’est de sa faute si j’ai attrapé la tub…

Au moment même de finir sa phrase, un filet de sang coula le long de sa lèvre. Elle attrapa aussitôt un mouchoir et la nettoya, en tremblant. Philémon, triste d’entendre tout ce discours, se noua le cœur, les larmes aux yeux.

— Et le patinage artistique ? Cela n’a pas fonctionné ?

Elle remua la tête en tripotant son mouchoir en sang.

— J’ai arrêté pour m’occuper des enfants… Je suis perdu Philémon, je suis perdu… Je n’ai pas de médecin pour me soigner, je suis fatiguée à longueur de journée, je demande au bon Dieu à ce que nous retrouvions une vie de famille ! Oh Phil, je veux retrouver mes enfants, je veux retrouver mon mari !

Elle se mit à pleurer et à s’effondrer en posant sa tête sur celle de Philémon. Le moine, le cœur battant à mille à l’heure, tapota Coline en voulant la serrer aussi dans ses bras, mais il reprit conscience en sachant que ce n’était pas sa femme et qu’il devait obéir au bon Dieu. En restant fort, il recula gentiment Coline qui elle aussi, se rappela que ce n’était plus son ancien ami d’enfance, mais qu’elle était face à un moine. Elle reprit ses esprits en sentant la main de Philémon, la serrer contre la sienne.

— Écoute-moi Coline, je ferais tout pour t’aider. Je ferai en sorte à ce que ton mari retrouve la foi, car tu vois, le problème vient de là. Si lui-même n’espère pas au bon Dieu, il finira par perdre son métier… Il ne faut pas qu’il se décourage et toi aussi. Restez forts ! Vous avez toujours écouté les bons conseils du Seigneur alors continuez ! Continuez à vaincre ce qu’il ne va pas et persévérez, dans ces moments les plus difficiles. Ce que je te conseillerai, c’est de rester avec ton mari, ici, en attendant que les choses s’arrangent, acceptes-tu ?

En pleurant, cette fois-ci de joie, elle le serra fort contre lui en le remerciant plusieurs fois. Tout rouge, le frère Philémon accepta, cette fois-ci, et la serra contre lui en sachant que c’était un jeu dangereux pour lui et sa foi. Il supplia Dieu d’épargner cet amour qui le frappait très fort dans son cœur, et souffla de soulagement, en la voyant s’éloigner de lui.

— Comment-as-tu fait pour venir ici ?

— Nous avons fait l’aumône avec mon mari…

Triste d’entendre cela, il demanda aussi comment elle avait fait pour trouver une belle tenue, elle répondit que cela venait de sa sœur, qui les avait aidés, gentiment. Il demanda si ses parents ne pouvaient pas les accompagner dans cette épreuve difficile, mais elle répondit que depuis la fin de la guerre, les cours des temps avaient changé et qu’il était très difficile de faire partager l’argent par courrier. Elle partit en disant qu’elle allait rejoindre son mari pour en parler et en se trouvant seul, il se mit à verser des larmes.

Oh Dieu, pourquoi ? Pourquoi est-ce que je suis toujours dans cet état alors que tout ça, c’est du passé ? Je veux que ça cesse cet amour que j’ai pour elle, je veux que ça cesse…

Il essaya de se raisonner en pensant à l’amour que Dieu lui envoyait chaque jour, jusqu’à ce qu’il vit une ombre, provenant du chemin de gauche, s’approcher de lui. Quand il découvrit la personne, il se leva et voulût le fuir, mais au lieu de ça, la personne le prit par le bras.

— Phil attends…

— Que viens-tu faire ici papa ?

— Comme toi mon fils, je viens pour le père Théophane…

— Je te signale que tu nous as abandonné avec maman ! Alors laisse-moi tranquille !

— Phil attends ! Ce n’est pas ce que tu crois…

Il soupira en continuant son chemin, mais son cœur lui demanda de faire demi-tour et de présenter ses excuses.

Pourquoi Dieu est-ce-que vous m'obligez à faire ça ?

Il se retourna en demandant pardon et son père le remercia en lui tapotant l’épaule gauche.

— Écoute Phil… je… puis-je me confesser ?

Surpris, il lui répondit en hochant la tête et retroussa ses longues manches en poursuivant son chemin avec lui.

— Est-ce que… tu, tu as besoin d’aide pour ton amie ? J’ai entendu dire qu’elle avait besoin d’un médecin.

En voulant lui faire la tête, il se contenta de jouer son rôle de moine en prenant des grandes respirations.

— Oui mais le problème, c’est qu'on n'a pas les moyens…

— Je peux t’aider ?

Stupéfait, il le regarda avec de grands yeux, ébahis. Jamais il n’aurait imaginé que son père puisse l’aider alors qu’il ne pensait qu’à sa jolie demeure et à l’argent qu’il dépensait tous les jours.

— Tu, tu as drôlement changé…

— Tu sais mon fils, lorsque j’ai fait la guerre, j’ai appris beaucoup de chose… Et le père Théophane m’en a aussi appris…

Soulagé d’entendre ces douces paroles, il se posa des questions si c’était une bonne chose de continuer à le critiquer… Serait-ce le moment de faire la paix avec lui ?

— Je suis fier de toi, Philémon. C’est grâce à toi si j’ai pu retrouver la foi.

Heureux de l’apprendre, il sourit en se tournant vers un nouveau père qu’il n’avait jamais connu auparavant.

— Non papa, ne me remercie pas, remercie plutôt le père Théophane, répondit-il en regardant le ciel.

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