La proposition-1

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C’était déjà lundi. C’était déjà le matin. Léa n’en revenait pas d’avoir si bien dormi. Elle se trouvait de plus en plus moche ces derniers temps, mais le miroir lui renvoya l’image d’une belle endormie, ses cheveux blonds en bataille et ses yeux gris encore bridés par le sommeil. Au final, il suffisait d’un bon orgasme pour chasser toute la laideur du monde, à commencer par celle qu’on percevait en soi.

La soirée de la veille ressemblait à un rêve, une parenthèse que son esprit refusait de vraiment mémoriser. Elle se sentait prête à rejeter les évènements dans une oubliette, au même endroit que tout ce qui lui faisait honte et qu’elle s’efforçait d’éliminer. Son téléphone n’était pas du même avis.

À sa sortie de la douche, un nouveau message d’Océane l’attendait et avant même de savoir de quoi il s’agissait, ses excès lui revinrent en plein visage comme une gifle, l’envie de recommencer comme un coup au ventre. C’était juste un message écrit, qui donnait une heure et un lieu, suivis d’un émoticône sourire bien trop sage.

La veille au soir, elle aurait considéré l’invitation comme exagérée. Elles ne se connaissaient pas et ne s’étaient à proprement parler jamais adressé la parole. Se rendre à ce rendez-vous, c'était sauter à pieds joints pour tester la profondeur des ennuis qu'elle pouvait se créer.

« OK, j’y serai. » envoya-t-elle avant de soupirer devant sa propre bétise.

Pas la peine de perdre du temps à se poser, se justifia-t-elle, on est allées bien trop loin l’une comme l’autre pour faire des manières.

Restait à savoir ce qu’Océane lui voulait et en quoi Hugo était impliqué.

Hugo… qu’est-ce que je vais faire avec lui ?

Réaliser à quel point il avait été décevant au lit autant que dans sa façon d’aborder leur relation avait chamboulé Léa. Le matin venu, elle avait les idées plus claires et réalisait enfin que ce couple auquel elle s’était accrochée était déjà fichu. Elle avait été folle de lui et lui aussi, à sa façon. Probablement. Il avait prétendu l'aimer, mais était-ce elle toute entière ou juste son corps qui l'avait attiré ? Pouvait-on se lasser si vite lorsqu’on était amoureux ? N'était-ce qu'une illusion portée par le seul désir charnel ? Léa était perdue. Ses propres sentiments lui paraissaient vides, usés par les déceptions à répétition.

Comme elle s’y était attendue, Hugo n’était pas à l’entrée de la fac, dans leur coin favori. Au tout début, ils s’étaient donnés rendez-vous pour se voir avant les cours, puis c’était juste devenu une habitude. D’abord, ils se prévenaient lorsque l’un des deux ne pouvaient pas venir, puis c’était aussi devenu une habitude.

Par acquis de conscience ou peut-être par naïveté, Léa continuait d’arriver en avance et de l’attendre. Pas ce matin. Elle était résolument arrivée à l’heure pour ne jeter qu’un vague coup d’œil sur l’espace qui avait été le leur. Vide, bien sûr. Au déjeuner, Hugo n’était toujours pas là. Elle ne lui envoya pas de message pour s'enquérir de lui et accepta de manger seule. En se mettant en couple, elle avait cessé de manger avec ses amies, s’était peu à peu désocialisée pour lui offrir l’intégralité de son temps. À présent, elle était condamnée à la solitude. Difficile d'en vouloir à ses amies d'avoir continué sans elle. Impossible de retourner les voir pour tenter de recoller les morceaux, elle avait bien trop honte.

En avalant son repas au plus vite, elle observa les alentours. Le groupe de filles qu’Hugo fixait était encore là, mais en face d'elle cette fois.

Génial…

La brune faisait partie du lot, son visage en partie masqué par les cheveux d’une de ses voisines. Un éclat de rire du groupe lui permit de dégager sa vue. L’estomac de Léa bondit, c’était Océane.

Comment avait-elle fait pour ne pas établir de lien ? Certes, elle ne l’avait vue que de dos la première fois, mais ces longs cheveux bruns et cette carnation si particulière n’étaient pas si courants !

Le nez dans son assiette, Léa renonça à terminer son plat, picora dans son dessert, puis se leva en prenant soin de contourner le groupe encore hilare.

Et si tout ça n’était qu’un piège ? Si Océane était déjà l’amante d’Hugo et qu’elle cherchait à la faire souffrir, à l'humilier ou à la piéger pour se débarrasser d’elle ? Rien ne semblait avoir de sens, mais la coïncidence était trop grosse pour qu'Hugo n'ait rien à voir là-dedans.

Les cours s’achevèrent et Léa était sur le point de rentrer lorsque son téléphone sonna. Une alarme de rendez-vous, celui qu’elle avait savamment occulté durant la journée.

J’y vais ou pas ?

Malgré ses réticences et l’angoisse de plonger dans un piège dont elle ne comprenait pas la nature, Léa était rongée par la curiosité. Jusque-là, Océane n’avait rien fait qui pourrait justifier qu’elle se montre grossière en lui posant un lapin.

Ses pieds la portèrent vers le café proposé par la brune sulfureuse. Océane l’attendait en terrasse, servant de centre d’attention pour plusieurs gorupes de jeunes gens qui la déshabillaient du regard. Au moment où Léa traversait la rue, un jeune homme tenta sa chance. Elle était trop loin pour les entendre, mais la scène était si évidente qu’elle pouvait facilement imaginer ce qui se jouait. Une expression parfaitement neutre sur le visage, Océane l’éconduit en douceur et il se détourna sous les moqueries des témoins avec un sourire déçu.

Léa était impressionnée. Elle-même n’aurait pas su quoi dire si une telle chose était lui arrivée. Elle observa la victime d’Océane et s’étonna de le trouver séduisant. La jeune brune était difficile ou déjà en couple. À cette idée, le doute lui serra la poitrine. Lorsqu’elle arriva à proximité, le regard de jais se tourna vers elle et un sourire illumina ce visage aux traits réguliers.

Oh la vache !

Elle était encore plus jolie lorsqu’elle souriait, ses yeux se plissant en virgules espiègles. En comparaison, Léa se sentit banale, rabaissée jusqu’à la médiocrité par la sensualité fraîche et légèrement exotique qui se dégageait d’Océane.

La brune se leva et entreprit de lui faire la bise, un geste disparu, devenu presque tabou à force de distanciation. Léa accepta le contact, gênée d’un tel accueil de la part d’une personne à qui elle n’avait jamais parlé, mais dont elle avait tant vu.

— Tu t’assoies ? proposa Océane.

— Euh, oui.

— Hugo va arriver, mais je voulais te parler avant.

Hugo ? Ah oui…

Léa avait presque oublié cette composante de leur relation : Océane les voulaient lui et elle, pas juste Léa. Elle se lança :

— Tu voulais me parler de ce qui s’est passé hier soir ?

— Euh non mais si tu veux, on en parle.

Hein ? Non-non-non !

De quoi voulait-elle parler dans ce cas ? Est-ce que l’envoi de vidéos aussi intimes à une inconnue était si banal pour elle que ce n’était même pas à l’ordre du jour ?

— N... non, dis-moi ce que tu voulais me dire ! esquiva Léa.

— D’accord. Hugo et moi on bosse ensemble sur un projet, mais on se heurte à un problème… disons de logistique.

— Je suis en droit, pas en logistique.

— Je sais, mais tu vas comprendre… Hugo n’est pas concentré, on n’avance pas et je ne peux pas changer de partenaire pour ce projet, encore moins tout faire moi-même avec mes autres activités.

— OK…

— Il y a deux semaines environ, il m’a demandé de sortir avec lui.

— De… quoi ?

— Évidemment, j’ai dit non, mais depuis c’est pire encore. Parfois il refuse qu’on se voie pour travailler, d’autres fois il en profite pour me refaire des avances.

— Mais quel salaud ! On est ensemble depuis le début du semestre !

— C’est ce que m’a dit une amie, alors j’ai pris contact avec toi.

— Pour me prévenir ? Tu aurais pu me le dire par téléphone.

— Je ne cherche pas à me venger ou à mettre le bazar dans votre couple, ça ne m’apporterait rien. Ce que je veux, c’est qu’il me lâche et qu’on puisse avancer jusqu’à rendre notre projet. S’il se moque de réussir son année, ce n’est pas mon cas.

— Mais comment je peux t’aider ? On est… sur le point de rompre, je crois.

Océane accusa réception de l’information, apparemment contrariée.

— D’accord… mince, je ne savais pas. J’ai l’impression que c’est ma faute.

— Pas du tout ! cria Léa, provoquant des regards étonnés dans leur direction. Pas du tout, reprit-elle plus doucement, c’est lui le fautif.

— Merci, ça compte pour moi que tu ne m'en veuilles pas.

— Et tu comptes faire comment pour votre projet ?

— Tu pourrais venir travailler avec nous. Si tu es là, il se comportera correctement et je pourrai en finir avec cette histoire.

Léa réfléchit. Au final, Océane comptait se servir d’elle comme d’un cerbère.

— Je sais que c’est égoïste comme demande, reprit la jeune brune, mais je ne vois pas comment m’en sortir autrement.

— C’est pour ça que tu m’as envoyé tous ces trucs ?

— Tu veux parler des vidéos ? Non, je te les ai envoyées parce que ça m’excitait de le faire, répondit-elle avec une expression neutre en portant sa paille à ses lèvres.

— Tu es sérieuse ?

— Ça ne t’a pas excitée, toi ?

Léa était coincée. Évidemment que si ça l’avait excitée ! Plus qu’un peu même, et elle avait déjà confirmé son assentiment par message la veille. Muette, elle se réfugia dans la carte des boissons. Le serveur choisit ce moment pour venir lui demander ce qu’elle voulait, lui faisant encore gagner du temps. Lorsqu’il s’éloigna avec sa commande, Océane reprit :

— Je n’ai pas essayé de t’acheter ou de te faire chanter, ça s’est juste fait comme ça. Tu regrettes ?

Carrément pas !

— Je ne sais pas, répondit Léa. C’était juste… bizarre.

— Oui.

— Et j’ai un peu honte.

— Mais c’est ça qui fait tout le sel, tu ne crois pas ? C’est parce que c’est interdit que c’est excitant.

— Oui. Sûrement.

— Ah, voilà Hugo, s’exclama Océane.

Elle avait parlé bien plus fort que nécessaire, probablement autant pour la prévenir que pour faire remarquer à Hugo qu’il était trop tard pour s’enfuir discrètement. Léa tourna la tête et aperçut le visage blanc comme un linge de son soi-disant petit-ami. Il lui fallut de gros efforts pour masquer la colère que sa vue lui inspirait.

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