Chapitre 13 — La question

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À la fin de sa vie, mon grand-père se reposait sur un lit médicalisé, dans son salon. Son cancer, métastasé à plusieurs endroits depuis la vessie, avait atteint les reins.

Sa dégradation physique nous rappelait constamment à quel point la situation paraissait critique. Son visage s’était transformé à une vitesse effarante. Méconnaissable, avec ses joues creusées et sa peau étirée, la maladie l’avait défiguré en trois mois à peine. Nous nous attendions au pire à chaque seconde qui passait.

Ses traitements le plongeaient dans un sommeil profond. Lorsque je m'approchai de lui, je retins mon souffle, surveillai le sien. Ainsi endormi, il avait l’air serein. Il respirait paisiblement et le temps semblait arrêté autour de lui.

À ses côtés, un oncle que je connaissais à peine lui tenait la main, anxieux. Des oncles inconnus, j’en avais revu quelques-uns depuis l’annonce de la maladie de mon pépé. Réapparus par enchantement, alors qu'ils n’avaient plus donné le moindre signe de vie depuis des lustres. Je n’avais jamais su ce qui les avait poussés à revenir ici, mais j’avais toujours douté de leur sincérité.

Leur présence était l'indicateur le plus fiable en ce qui concernait l'état de santé de mon grand-père. Seules une tumeur ou une maladie incurable auraient pu les ramener auprès de lui. À l’époque, plus je les voyais, plus ils se montraient « présents », plus je redoutais la fin. Cela m'effrayait.

Par politesse, je ne m’étais pas mêlé de ces affaires de grands. J’avais laissé aux autres membres de la famille le soin de régler ces problèmes, espérant toutefois que leurs visites satisfaisaient mon pépé, ce qui semblait être le cas.

Les yeux embués, je demandai à mon oncle de me laisser seul avec mon grand-père. J’en avais besoin. Je me souvenais que son réveil n’allait pas tarder. Si je voulais capter son attention, c'était maintenant.

Je ne pouvais pas oublier cette scène, gravée en moi pour toujours. Dès qu'il se réveillerait, le trop plein d’émotions m’empêcherait de lui parler. Ensuite, tout le monde accourrait vers lui et je me ferais le plus petit du monde.

Mais cette fois-ci, les choses allaient changer.

Enfin seul avec mon grand-père, je lui pris la main. Je me confiai :

« Je suis désolé, pépé. J’aurais voulu changer le cours des choses. J’aurais voulu que tu vives plus longtemps. Que tu sois éternel. Mais je sais que c’est impossible. Je n’arrive pas à me faire à l’idée de revivre cela une seconde fois. J’ai l’impression que je vais imploser. »

La main de mon pépé serra soudainement la mienne. Les yeux ouverts, le visage sérieux, il m’écouta avec intérêt. Il semblait toujours serein. Je continuai :

« Tu vivras toujours en nous, tu sais ? Tu es constamment dans mes pensées. J’essaie de te ressembler au mieux. De me rappeler ta façon de voir les choses. J’aimerais les voir aussi clairement que toi. Faire aussi bien que toi. Tu sais, je vais être papa, pépé. Et j’aimerais être un aussi bon papa que toi… »

Ses yeux brillants restaient rivés sur moi. Sa main se serra plus fort encore. Je savais quelle force et quelle volonté il lui fallait pour rester éveillé. Pour m’écouter. Une larme roula sur ma joue. Plus réelle que jamais.

« Pépé… Comment on fait, pour être un bon père ? Comment tu as fait, toi ? »

Le sol vibra à l’instant où je prononçai ces mots. Les murs tanguèrent. Un rayon de soleil se faufila dans la pièce — un autre signe, crus-je à cet instant.

Je contemplais mon grand-père, bienveillant envers moi malgré la douleur qui l'assaillait. L'environnement s'assombrissait doucement — s'estompait serait un mot plus approprié, car le décor parut s’effacer de lui-même.

Comme un rêve qui prend fin ; un réveil avant l’heure.

Mon grand-père desserra sa main. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Un sourire sincère, perçant la souffrance ridant son visage. Ainsi, il parut paisible et rassuré.

Parfois, c'est dans le silence que la vérité se dévoile le mieux. Ou plutôt, c'est grâce à ce silence qu'on parvient à la capter. On regarde toujours dans la même direction, inéluctable-ment, mais on visualise enfin le chemin tracé devant nous. On fait abstraction de tout ce qui nous entoure, du bruit de la vie et de nos pensées, puis tout devient clair, précis.

Les yeux de mon pépé brillaient. Soulagé, il expira un instant. Il ne dit rien... mais il avait souri.

Ce sourire authentique fut la réponse la plus éloquente qu’il pouvait me donner.

Il se rendormit paisiblement, l'air soulagé.

Le brouillard encombra mon esprit à nouveau. Je prononçai mes derniers mots avant mon réveil.

« Merci pépé. »

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