Chapitre 8 — En voiture (2)

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Le moteur de la Citroën hurlait à tue-tête. La voiture souffrait, lançant de longs et douloureux soupirs ponctués de courtes interruptions, çà et là. À ce stade, elle semblait sur le point de rendre l'âme. De trouver le repos éternel, loin de ce monde.

Pied au plancher, quelqu’un tentait de la réanimer.

« Et un siphonnage express de bibi, un ! lança Archie de quelque part. Tu vas voir, mon pote, ta bagnole repartira comme sur des roulettes. Il suffit juste de décrasser un coup, rien de bien sorcier. On va même se faire un road trip, toi et moi. Au bout du monde, je te le dis ! »

Je restai dans les vapes, incapable de me situer dans un quelconque espace-temps. Une odeur nocive de cigarette m’envahissait. La fumée rongeait mes poumons, les brûlant de l’intérieur.

Les échos de ma dispute avec Hélène refirent surface à ce moment précis. Ils cognaient sans relâche l’intérieur de mon crâne.

« … tu as arrêté, toi ? …C’est débile... Lâche-moi ! …Ne dis rien à Pépé… »

Pépé…

Enfin, je l’avais revu, comme je l’avais souhaité. Après tant d’années d’absence, je l’avais serré dans mes bras comme jamais auparavant. Pourtant, je n’avais pas réussi à lui parler. À lui poser cette question qui me brûlait les lèvres. À la fois émerveillé et tétanisé par sa prestance, tout autant que par l’aspect pure-ment imaginaire de la situation, je m’étais tu face à lui, l’observant avec attention comme un écolier face à un professeur.

« Hey, p’tit gars… T’as pas fini de dormir, ouais ? se plaignit Archie. T'es lourd à la fin ! On a des tonnes de choses à se raconter, toi et moi, non ? »

Dans la brume qui me séparait de la réalité, impossible de prononcer le moindre mot. J’écoutais donc… Je ne possédais pas d'autre alternative.

« Tiens, je t’ai déjà parlé de ma planète d’origine, par hasard ? insista Archie. Tu sais quand même que je ne suis pas né sur Terre, au moins. C'est écrit sur ma tronche, quand tu regardes bien... Là d’où je viens, il fait un froid à geler un ours polaire. Sûr que toi, tu ne survivrais pas deux secondes, là-bas. T’es tellement frileux comme gars. T'aurais fière allure, avec ta trogne congelée sur place ! »

Quelle question voulais-je lui poser, déjà, à mon pépé ? me dis-je. C’était si important…

L’atmosphère pesait sur moi, comprimant mes pensées. Tout paraissait faux, flou. Tout se construisait puis se détruisait. Des images de mes joies et douleurs passées se mélangeaient avant de se dissoudre.

C’est fou comme se rappeler de notre bonheur peut nous rendre triste, pensai-je.

« Et ma femme, je t’en ai causé quand même ? poursuivit Archie. Rassure-moi, je t’ai déjà dit que j’avais des gosses, non ? Sûr ! J’ai pas pu oublier un truc pareil.. J’en ai tellement après tout. Au moins une douzaine, de six femelles différentes. Un vrai casanova, t'imagines même pas ! »

Je me demande comment je vais faire moi, avec mon enfant, quand il entrera dans l’adolescence, réfléchissais-je. Impossible de le contredire, sous peine de déclencher une guerre, et impossible d’abonder en son sens, sans quoi je dérogerais nécessairement à mon rôle de père et prodiguerais de mauvais conseils. Alors, que faire ? Rester silencieux ? En retrait ?

« Mes mômes, c’est les plus beaux du monde. Tout leur père ! s’exclama Archie. Tu les aurais vus, quand ils étaient bébés… de vrais petits trésors, pas plus grands qu’un ongle de pied humain ! Mais bon, c’était il y a longtemps et les appareils photos n’existaient pas à l’époque. Et quand la photographie n'avait pas encore été inventée, t’avais plutôt intérêt à posséder une sacrée mémoire visuelle, sinon, tu perdais toute preuve de la réalité à mesure que tu la vivais. Heureusement, je garde mes souvenirs bien présents dans ma grosse caboche, moi… Tiens, je t’ai expliqué aussi que j’avais sept-cents ans ? »

Je me souviens, maintenant, de la question que je veux poser à pépé. Oui, je le sais. Je dois le revoir, encore.

« C’est pas vrai, t’es encore affalé sur la banquette ? s’étonna Archie. Mais t’as quel âge ? On dirait un bébé qu’a pas fait sa sieste. T’es irrécupérable, comme mec ! »

Son odeur nauséabonde s’éclipsa instanta-nément, remplacée par celle du café, bien plus agréable.

Je me réveillai chez mon pépé, une fois de plus.

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