Chapitre 3 — Souvenirs et vertiges

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Après avoir payé sa courte course, la dame se prépara à rentrer chez elle, avant de se retourner, subitement, et de revenir vers moi.

J’ouvris la vitre.

« Un problème ? m'enquis-je.

— Moi, non, sourit-elle. Mais vous par contre, j’ai l’impression que vous avez l’esprit ailleurs. Vous m’avez rendu beaucoup trop de monnaie, non ? »

Incroyable ! Dans cette ville, non seulement les gens bavardaient, mais, en plus, ils étaient honnêtes !

En effet, je lui avais rendu toutes les pièces qu’elle m’avait données. J’avais bel et bien la tête ailleurs. Je m’en excusai, bien qu'amusé par la situation :

« Drôle de journée, pour moi, désolé. Pour la peine, je vous offre cette petite balade. Gardez la monnaie, j’aurais au moins eu la joie de revoir cette demeure dans laquelle j’ai passé de si bons moments, dans ma jeunesse. 5, rue des Tilleuls... j'aurais dû me souvenir de cette adresse. »

Je scrutai le portail fleuri, vers lequel elle s’était dirigée. Elle sursauta :

« Vous voulez dire que j’habite l’ancienne maison de votre grand-père ?

— Oui, drôle de coïncidence, comme vous dites !

— Il faut croire qu’il s’agit d’autre chose que d’une coïncidence, me reprit-elle. J’y vois presque un signe. J’espère que cela ne vous attriste pas trop.

— En fait, je ne sais pas trop quoi ressentir, mais ça me fait quand même plaisir de m’être arrêté ici. J'ai pu repenser à une personne qui m'est chère. C'est une situation très bizarre. Je m'excuse de vous avoir dérangé avec ça.

— Oh non ! Ne soyez pas désolé. Vous savez, j'aimais énormément mon papa. C'est pour cela que j'ai voulu l'accompagner jusqu’à la fin. Quand je revois cette maison, je repense constamment à lui. Je comprends donc ce que vous ressentez, même s'il ne s'agit pas des mêmes personnes. »

Le silence qui s'ensuivit était d'une éloquence rare. Sans un mot, nous avions exprimé ce qu'il y avait à exprimer. Nous échangeâmes un sourire triste et sincère.

« Je suis navré pour votre père, repris-je. Je repars travailler et vous souhaite une agréable journée. »

Je regardai ma confidente du jour rentrer chez elle, curieux. En percevant le hall d'entrée, moderne et très éloigné de celui que j'avais connu lorsque mon grand-père habitait ce lieu, mon cœur se souleva légèrement.

« Jolie gonzesse ! s'exclama Archie, qui réapparut subitement sur le siège arrière. Pourquoi t'essaies pas d'aller voir à l'intérieur ?

— Probablement parce que je suis marié, et que cela ne m'intéresse pas, Archie !

— T'es pas drôle, tu sais ça ? En plus, même si la blonde te tape pas dans l'œil, moi, je suis sûr que t'aimerais quand même aller voir la maison de ton pépé, non ?

— Et pourquoi ça, hein ? me braquai-je. Pour m'apercevoir que les temps ont changé ? Pour me rappeler que tout ce qu'il nous avait légué n'existe plus vraiment ?

— Et t'en es si sûr, Monsieur Je-Sais-Tout ? T'es pas aveugle des fois ? T'as pas vu les signes ? Les symboles ? T'es tellement buté que t'y crois pas, aux symboles, hein ? T'aurais la Sainte Vierge devant les yeux que tu lui baiserais même pas les pieds, t'es nul !

— Tu n'existes pas Archie, grognai-je. Alors lâche-moi pour de bon ! »

Des signes ? J'y croyais autant qu'à la Sainte Vierge et à Archie. Même s'il fallait bien avouer que ces enchaînements de situations étrange-ment liées me paraissaient trop... étrangement liées.

« T'en meurs d'envie, insista Archie. Sûr que la petite blonde te laisserait entrer vite fait !

— Je ne sais pas..., me résignai-je. Peut-être qu'elle me prendrait pour un fou ?

— Bah, y a qu'un moyen de vérifier, non ? Tu t'avances, tu sonnes, et tu poses ta question à la dame ! Par contre, lui baise pas les pieds. C'est pas une sainte, celle-là, à mon avis. Même que lui baiser les pieds, ça ferait fétichiste ! »

Il avait beau être vulgaire, Archie me fit sourire. Il avait raison : je mourais d'envie de visiter l'ancienne demeure de mon grand-père.

Je sortis de la voiture. J'avais l'impression que l'air pesait une tonne.

Pris de vertiges, je m'arrêtai quelques secondes dans l'allée, devant la porte d'entrée. Je levai la tête et regardai le ciel vaciller en tous sens. J'entendais les échos de la voix d'Archie résonner.

« T'embrasseras ta nouvelle donzelle de ma part ! »

Il alluma une cigarette avec l'allume-cigare et prit place à l'avant du véhicule, côté conducteur. Étendant sa graisse, sa peau flasque épousait la forme du siège. Elle formait des vagues gélatineuses.

Encore étourdi, je soufflai un peu, puis me décidai. J'avançai, respirai, frappai à la porte.

Lorsque celle-ci s'ouvrit, je manquai de tomber à la renverse. J'écarquillai les yeux. Les fermai. Les frottai. Ils s'embuaient de larmes.

Une personne m'accueillit...

C'était mon pépé !

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