19. Vision Mauve

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La porte du salon privé Doctus numéro quatre s’ouvrit à la volée, laissant apparaître la nouvelle recrue et le capitaine de l’Escadron Faucon.

Tous les éléments de la vaste pièce arboraient différentes nuances de violet. Moquette, tapisserie, fauteuils, tables, tout y passait. Plusieurs dizaines d’élèves y étaient réunis. La plupart discutaient en chuchotant, quelques-uns feuilletaient des livres ou s’affairaient sur de petits casse-têtes enchantés.

En traversant le salon, Tom découvrit parmi les étagères de livres un meuble qui en était entièrement rempli. Il voulut y jeter un œil par curiosité, mais Arthur le rappela à l’ordre :

« Viens, j’ai plein de choses à te montrer. Ma chambre est juste là.

Les deux coéquipiers entrèrent dans une nouvelle pièce inoccupée à la décoration très similaire à la précédente.

« Cool. Personne pour nous déranger.

Le capitaine se dirigea vers une des petites armoires personnelles disposées à côté des lits, que Tom imaginait être la sienne. Il l’ouvrit pour en sortir un grand coffret en bois, puis de ce coffret une maquette métallique représentant un terrain de Quidditch qu’il déposa au sol. Très sobre, elle se contentait de représenter les lignes du terrain ovale et les buts.

Il s’assit en tailleur sur son matelas puis pointa sa baguette sur la réplique.

« Amplificatum.

Un éclair lumineux en jaillit pour frapper la maquette, qui se mit à grossir jusqu’à occuper un volume égal à celui du lit. Pendant qu’un Tom médusé observait le terrain gonfler, Arthur sortit du coffret un sac en toile dans lequel il fouilla quelques instants avant de trouver ce qu’il cherchait.

« T’as de la chance, il m’en reste une vierge.

— De quoi tu parles ?

— Une figurine.

Il exhiba une pièce de bois taillée prenant dans les moindres détails la forme d’un joueur de Quidditch monté sur un balai de course. Seul son visage manquait.

« Regarde-moi dans les yeux, sans bouger. Fais-le, tu verras après, ajouta-t-il pour répondre à la confusion du novice.

Tom plongea donc son regard dans les pupilles du capitaine, qui semblait se retenir de ciller.

Ce moment s’étira encore et encore, jusqu’à devenir assez gênant pour Tom, mais son coéquipier était si concentré qu’il se doutait bien que quelque chose d’important se préparait. Le silence fut enfin rompu par un chuchotement.

« Conversio.

Tom put enfin baisser les yeux pour remarquer que la baguette du jeune sorcier touchait le front de la figurine et que cette dernière commençait à se métamorphoser.

Le brun clair du bois qui représentait la robe de Quidditch vira petit à petit jusqu’à prendre les couleurs des Faucons, la silhouette du joueur se fit plus petite et mince, sa peau devint noire, ses traits changèrent jusqu’à former un visage reconnaissable.

— C’est… C’est moi ?

— Oui.

— C’est ouf ! s’écria-t-il en s’en emparant brusquement. C’est tellement précis !

— C’est pas fini, répondit platement Arthur. Pose-là sur le terrain.

Fasciné, il obéit. À l’instant précis où elle toucha la surface métallique, elle se mit en mouvement, ce qui surprit suffisamment Tom pour qu’il bondisse en arrière et chute du lit en laissant échapper un cri ridicule, ce qui arracha un petit sourire en coin au stoïque capitaine.

Le temps que le grand se redresse, le minuscule Tom avait prit son envol et tournait en rond sur le terrain. Le vrai, toujours incapable de refermer la bouche ou de prononcer le moindre mot, vit Arthur poser une à une les figurines de toute l’équipe des Faucons, ainsi que le souafle et les cognards réduits à la taille de minuscules billes. Il lâcha aussi une pépite dorée, qui se mit à tournoyer dans les airs à vive allure, devenant à peine visible. Toutes les figurines s’animaient au contact de la réplique du terrain. À la fin, une minuscule Tessa virevoltait à toute allure et s’amusait à frapper les cognards au hasard, pendant que les poursuiveurs se passaient le souafle pour tirer dans les buts protégés par le gardien.

« Il y en a un qui vole un peu au hasard non ? remarqua Tom.

— Hein ? … Ah tu veux parler de l’attrapeur. Son rôle est de trouver la petite balle dorée qu’on ne voit pas bien, le vif d’or. À taille réelle, c’est comme une petite noix dorée, avec des ailes de libellule. Donc là, forcément, on dirait un grain de sable. Quand l’attrapeur s’en empare, le match se termine et donne cent cinquante points à son équipe, d’après les règles officielles. Mais à Beauxbâtons, les matchs sont plus courts et les vifs d’or plus lents qu’en pro, du coup ils donnent trente points seulement.

— Donc… Si jamais on n’arrive pas à l’attraper…

— Le match continue indéfiniment, ou alors se termine par accord mutuel entre les capitaines. Le règlement de l’école nous force à stopper la rencontre après trois heures de jeu, dans notre cas. Enfin bref, on n’est pas là pour ça.

Arthur tapota sa baguette contre le terrain, et tous les minuscules joueurs se rangèrent en même temps en ligne face à lui avant de se figer, suspendus. Arthur s’en saisit pour les replacer un par un à sa guise. Il les bougeait pour illustrer ses explications au fur et à mesure.

— Regarde bien. C’est une des tactiques les plus simples et efficaces ; l’ascension. Imaginons que je récupère le souafle dans mon camp. Je vais immédiatement prendre de la hauteur pour m’écarter des défenseurs. Là, s’ils me suivent, ça laissera mes coéquipiers – et surtout à toi – assez d’espace autour des buts pour marquer. Sinon, ils resteront près de vous et ça me permettra d’avancer tranquillement. Ensuite, avec une charge en piqué, je pourrai gagner assez de vitesse pour…

Son exposé se prolongea un temps indéfini. Tom faisait son possible pour rester concentré et intégrer le millier d’infos à la seconde prodigué par son capitaine, mais au bout d’une bonne heure au moins de cours magistral incessant, il ne parvenait plus à retenir les trajectoires complexes que lui montrait Arthur. Elles se croisaient, s’entortillaient jusqu’à former un nœud indéchiffrable. À mesure qu’il essayait de les démêler, il sentait ses propres neurones se nouer, jusqu’à lui donner mal au crâne.

Il avait arrêté de poser des questions et se contentait de hocher la tête sans pour autant comprendre ce qui se passait sur la maquette, dans le seul but de voir son supplice prendre fin le plus tôt possible. Il en venait à prier tous les dieux pour que le monologue fou d’Arthur trouve une conclusion, au moment où une petite voix suraigüe s’éleva depuis la maquette :

— Désolé mais je crois bien qu’il s’endort, ton collègue !

Tom fut tiré en sursaut de sa torpeur par l’intervention. Elle réussit enfin à stopper net le discours du capitaine, qui n’avait pas repris son souffle depuis le début. Il découvrit sa propre petite réplique, qui avait quitté sa position pour venir se camper juste au-dessus du nez d’Arthur.

— Mais… Elles parlent ?! s’exclama le handballeur.

— Bien sûr, lui répondit sa propre réplique. Je suis comme toi des pieds à la tête, alors si tu parles, je parle ! Et il était temps puisque tu n’osais pas jusqu’à maintenant ! T’as décroché après trente minutes et il continue de balancer ses piqués, ses passes croisées descendantes et ses trajectoires hélicoïdales périphériques excentrées orthonormales mes c…

— Merci, on a compris, coupa Arthur. Je disais, dans le cas où la défense s’adapterait pour interc…

— Non ! insista mini-Tom. Tu disais rien du tout, il te suit plus là le frérot je te dis ! Tu parles à un mur depuis un bon moment, il sature !

— C’est vrai ça ? lança le stratège à son apprenti.

— Bah… C’est un mini-moi, il est bien placé pour savoir je crois.

— Bah enfin, merci ! railla la figurine.

— Dans ce cas, soupira le capitaine, on va s’arrêter là pour aujourd’hui. Vous pouvez vous amuser.

Les acclamations de multiples voix fluettes s’élevèrent, puis les figurines se remirent à jouer librement. Arthur les fixait sans en perdre une miette.

« C’est grâce à elles que j’en sais autant sur vous. Tous les soirs, je les regarde jouer. Ce qui est pratique, c’est qu’elles jouent comme vous joueriez à votre plein potentiel. Je dois quand même les mettre à jour, en répétant l’enchantement régulièrement, pour qu’elles évoluent en même temps que vous. Mais je sais exactement de quoi l’Escadron Faucon, mon équipe, est capable. Ils peuvent dire ce qu’ils veulent, ces abrutis qui nous regardent perdre match après match. Ils regardent, mais ils ne voient pas. Ils ne voient ce qui va arriver. Moi, je le vois. Je vous vois.

Un peu flippant quand même…

— C’est vraiment cool, ce truc de simuler des joueurs. Un peu comme un jeu vidéo.

— Quoi… ?

— Un jeu vidéo, c’est… Heu… Pff, laisse tomber, un truc de moldu.

— Si ça ressemble à ma maquette, ça doit être sympa.

— Ça l’est.

Les deux joueurs observèrent encore en silence pendant quelques minutes les minuscules répliques se livrer à une lutte acharnée en bourdonnant et virevoltant dans tous les sens, comme un essaim d’abeilles furieuses. Enfin, Tom finit par se lasser du spectacle. Si son partenaire parvenait à déchiffrer ce fatras, lui n’avait pas encore autant de connaissances et d’expérience, cela demandait encore trop d’efforts pour un jeune moldu lessivé après une longue journée de cours de magie. Il se leva, sans causer de réaction chez son capitaine.

« Bon, c’était cool cette petite session tactique, mais il se fait tard, je vais te laisser.

— Avant que tu partes, dit-il sans se détourner de son terrain magique, je veux que tu saches que je compte sur toi. Pas seulement pour progresser individuellement, mais pour m’aider à faire ressortir le meilleur de chaque joueur de cette équipe. Sur le terrain, pour moi c’est facile, mais en dehors… Tu t’en sens capable ?

La question prit le jeune garçon au dépourvu.

— Heu… Je sais pas. Je viens d’arriver, je les connais à peine…

— Personne n’a jamais répondu oui sincèrement à cette question, ne t’en fais pas. Mais je continue à la poser et j’espère qu’un jour on y arrivera tous ensemble. Devenir meilleur. S’entraider. C’est parfois très simple, un geste, un sourire, un mot, une question… Apprends à connaître tes coéquipiers, s’il te plaît. Je ne te demande pas d’en faire tes amis, de faire semblant de tous les apprécier. Mais de les connaître. Si tu les connais, tu sauras comment les aider. Parle-leur de toi, qu’ils puissent faire pareil. Pour le bien de l’équipe, pour l’amener vers le succès qu’elle veut et qu’elle mérite, que je la vois atteindre. Si on ne le fait pas, peu importe à quel point on s’entraîne bien, ça ne marchera pas, on arrivera pas à libérer tout notre potentiel.

— Compris, dit Tom, convaincu. J’essayerai.

— Ah, une dernière chose… Cette petite maquette est un secret de l’équipe. Si d’autres joueurs venaient à savoir ce qu’on fait et à nous copier, on perdrait cet avantage. J’aimerais que tu n’en parles pas.

De toute façon je doute que quiconque irait fabriquer puis regarder des copies de joueurs pendant des heures comme toi mais bon… ok.

— Ça marche. Je dirai rien.

— Merci.

Ses yeux n’avaient pas quitté le jeu une seconde.

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