10. Versailles

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Tom et Dante étaient confortablement installés dans la cabine fermée du carrosse, posés sur des sièges de velours rouge bordeaux, comme deux nobles du dix-septième siècle. Ce qui fit penser au garçon que si l’école était vraiment plusieurs fois centenaire, peut-être que cette voiture datait réellement de cette époque, rénovée encore et toujours à travers les âges.

Dehors, Rob et Bob finissaient de harnacher les chevaux ailés. À sa grande déception, l’adolescent n’eut pas la permission de s’en approcher de trop près, sous prétexte que les Abraxans pouvaient se montrer assez imprévisibles près d’inconnus. Toutefois, une petite trappe coulissante permettait de voir ce qui se passait à l’avant de la cabine, juste sous le siège du conducteur. Aussi Tom profitait de cette chance pour les admirer en toute discrétion.

Tout chez ces animaux exprimait une certaine majesté ; leurs membres puissants, leur port de tête altier, leur crinière blanche et leur robe brun clair, toutes deux lumineuses… Et puis leur fantastique paire d’ailes, qui devait s’étendre sur au moins trois mètres d’envergure, avec d’innombrables plumes longues et fines, les énormes muscles à leur base, censés les mouvoir… Tom n’était pas loin de croire être encore plongé dans un de ses rêves hyper réalistes.

Bien que prodigieux par leur taille et leur force, les chevaux se montraient bien dociles et ne bougeaient pas d’un poil alors que leurs palefreniers les attelaient hâtivement. Si ce n’était la dénommée Corneille, placée en tête, qui ne tenait pas en place et s’étirait en battant doucement les ailes, comme impatiente de prendre son envol. Enfin, une fois chaque sangle bien en place, Rob se saisit des rennes et bondit à la place du conducteur. Bob fit le tour pour vérifier l’état des roues, siffla, puis s’écria :

— On est bon, parés au décollage !

Le grand Arbor s’approcha et ouvrit brièvement la portière pour leur souhaiter bonne route sans quitter son air bougon. Il adressa tout de même un petit clin d’œil à Tom avant de s’écarter.

C’est alors que Rob agita ses rennes avec force, avec un cri à l’attention des chevaux. Ces derniers se mirent à trotter sans effort, comme si le coche et ses passagers ne pesaient rien, puis passèrent au galop, ailes déployées, après avoir gagné un peu de vitesse. L’enfant comprenait maintenant d’où venait la piste tracée dans le petit champ. Les chevaux continuaient encore leur folle accélération et on s’approchait maintenant bien vite des arbres en face. Le vent s’engouffrait par la petite trappe et fouettait le visage de Tom, qui se refusait à la fermer et ainsi rater le spectacle. Alors que la piste arrivait à son terme, la voix sèche et stridente du cocher s’éleva :

— HOP HOP !

Répondant au signal, Corneille sauta, s’élevant dans les airs à force de violents battements d’aile, suivie immédiatement par les trois autres. Les roues avant du carrosse quittèrent la terre ferme d’abord, d’un coup, manquant de faire tomber le jeune sorcier, qui comprit alors pourquoi Dante avait choisi de s’asseoir en face de lui, côté arrière.

Se redressant après la secousse, le garçon, aux anges, reprit son poste à la trappe pour voir l’ascension des chevaux, qui battaient l’air à l’unisson, en rythme, dans un bruit à la fois fort et doux. Ce rythme ralentissait à mesure que l’on prenait de l’altitude et le carrosse, qui levait la tête jusque-là, semblait revenir doucement à l’horizontale. Tom se positionna à la fenêtre, sur la portière, pour regarder en contrebas.

— La maison d’Arbor est toute petite, mais les écuries sont déjà invisibles, remarqua-t-il.

— Les sortilèges de dissimulation les plus puissants peuvent rendre invisibles des bâtiments entiers, expliqua son tuteur.

— Alors… Ce serait aussi le cas pour l’Académie ?

— Exact, bien vu. L’illusion consiste à tromper l’esprit, il n’y a donc pas de limites à la taille des objets que l’on peut cacher. Enfin surtout de loin. Mais pour réellement rendre l’école indétectable aux esprits et instruments moldus, il ne suffit pas de saboter la vision, mais… Enfin bref, je ne devrais peut-être pas trop développer, en réalité.

— Pourquoi ça ?

— Ta curiosité t’honore, mais disons que… Tu n’as pas besoin d’en savoir plus pour le moment.

Ce ton joueur et plein de mystère commençait quelque peu à irriter l’apprenti. Il n’insista pas plus. Comme d’habitude, ce bougre de renard ne ferait qu’attiser sa curiosité sans rien révéler, c’était manifestement son plus grand plaisir. Il se contenta donc d’observer le paysage sans poser aucune question.

Ils étaient apparemment en train de contourner le pic depuis lequel ils avaient décollé. La diligence demeurait assez proche de son flanc, sans plus s’élever. À présent, les chevaux planaient paisiblement, prenant seulement quelques doux virages de temps à autre. Tom recherchait constamment à apercevoir la fameuse Académie, sans jamais rien trouver d’autre que de grands arbres ou des crêtes rocheuses. Maintenant qu’il y pensait, le transplanage aurait pu les porter bien plus loin que ce qu’il imaginait…

— Il n’y a vraiment aucun signe de civilisation par ici… On est où ?

— Près de l’école, sourit Dante.

— Oui, merci je sais, mais… Dans quelle région ? Où dans le monde ?

— L’Académie se trouve dans une réserve naturelle des Pyrénées, non loin de la frontière espagnole.

— Merci, répondit l’adolescent du fond du cœur.

— HEP HEP ! cria Rob à l’extérieur.

Sur ce, les Abraxans se mirent à descendre progressivement, en décrivant des cercles autour d’un grand plateau rocheux jaillissant de la côte montagneuse. Tom remarqua que de ce côté du pic, de nombreux autres sommets délimitaient comme un très vaste enclos pour la forêt, plus bas.

— Cette zone que tu vois là, ce cirque naturel, c’est ce qu’on appelle le Domaine. De nombreuses créatures magiques y vivent, surtout afin de fournir l’école en spécimens à étudier pour les élèves et en ingrédients de potions. Mais le contrôle que peut exercer Arbor et ses trois enfants sur le Domaine n’est pas… Absolu. On risque de tomber à de rares occasions sur de très dangereuses créatures, il est donc interdit de s’y aventurer sans un professeur. Mais si jamais, pour une raison ou une autre, tu devais enfreindre cette règle… Assure-toi au moins de ne pas être seul.

La gravité de son expression figea son pupille sur place. Jamais il n’avait affiché autant de sérieux.

— Compris, déglutit le garçon.

— Bien, dit-il en retrouvant le sourire, regarde en bas, nous devrions être assez proches pour que l’Académie se montre, à présent.

Et en effet, lorsque Tom observa de nouveau le plateau, il ressentit une vague d’excitation. Bien qu’il ait déjà été ébahi par une foule de fantaisies, cette vue-là les dépassait toutes sans exception.

— C’est un truc de ouf ! C’est pas un collège, c’est pas possible ! C’est… C’est Versailles quoi !

— C’est bien mieux que Versailles, assura le professeur.

De là-haut, on pouvait tout voir de l’Académie de sorcellerie Beauxbâtons, un fier palais qui évoquait réellement un château du dix-septième siècle, dans le plus pur style français. Ses grands murs blancs tapissés de multiples fenêtres et ses quelques tours effilées se dressaient royalement sur de nombreux étages, le tout couvert d’impeccables tuiles bleu barbeau. L’immense école formait un « U », avec son bâtiment central et ses deux longues ailes. Entre celles-ci se trouvait une étrange – et pourtant familière – plaine de gazon, ovale, encerclée par de grandes tours de bois.

Face au luxueux édifice, on pouvait voir de sublimes jardins à la française, trois rangées de cinq grands carrés de verdure, traversés par de petits sentiers traçant des formes géométriques précises, certaines se répétant, pour donner un ensemble symétrique et harmonieux. On y trouvait haies, cyprès, roseraies, et bon nombres d’autres arbustes et plantes à fleur, tous rigoureusement taillés pour prendre des formes précises, architecturales. Ils formaient murs, arches, boules, dômes, cylindres ou pyramides parfaites. À certaines intersections, entre les carrés, se tenaient de grandes et anciennes statues représentant des formes humaines et des formes animales, d’or ou d’argent. Dans le jardin du centre, les grandioses jets d’eau pure d’une fontaine alimentaient un bassin rond. Au-dessus de celle-ci trônait la plus imposante des statues, mais Tom ne devinait pas ce que cette masse indistincte représentait exactement.

Plus loin, derrière l’Académie, il y avait un parc plus naturel, occupé par un grand étang en son centre. De part et d’autre de ce parc, on apercevait deux autres ovales de gazon, semblables à celui au centre du palace. Au-delà encore, la pente du pic reprenait brutalement, comme si ce plateau n’avait rien de normal. Et quelque chose murmurait à l’oreille de Tom que c’était bien le cas. Les sorciers avaient sans doute aménagé eux-mêmes ce vaste rectangle plat, jaillissant de la montagne et donnant sur d’abruptes falaises de tout côté.

Il n’était pas accessible autrement que par le vol… Quoique… En regardant mieux, un étroit et tortueux chemin permettait de descendre de l’Académie vers son Domaine et tout en bas, en lisière de forêt, on trouvait un plus modeste bâtiment, plus proche d’un vieux chalet que du château de Versailles.

Alors que le carrosse approchait du sol, les détails de l’architecture complexe se faisaient plus nets, plus époustouflants encore. Il semblait avoir capté l’attention de quelques dizaines d’élèves qui passaient par là et certains attendaient maintenant de voir qui pouvait bien arriver.

— Combien d’élèves vivent ici ?

— Oh, sacrée question… Je dois avouer que j’ai pas les chiffres exacts, mais je dirais… Un bon millier et demi, au moins. Une grande partie sont français, espagnols, portugais et italiens. Mais il y a aussi quelques maghrébins, grecs… En fait on regroupe tous les apprentis sorciers trop loin de Poudlard et Durmstrang, qui couvrent respectivement la Grande-Bretagne et l’Europe du nord. Enfin ne t’inquiète pas, tous les cours sont en français. Non ne demande pas, dit-il en voyant les questions surgir sur le visage de l’élève, je ne développerai pas plus au sujet des autres écoles, c’est pas le moment, nous atterrissons.

Effectivement, l’attelage survola les somptueux jardins dans un ultime virage pour se retrouver à quelques mètres de la terre ferme, près de l’aile ouest. Le manque d’espace relatif entre le bâtiment et le bord de la falaise confortait Tom dans l’idée que la plateforme entière n’avait rien de naturel.

La descente s’acheva, pas plus douce que le décollage. Les grands battements d’ailes laissèrent place au galop des chevaux, qui ralentirent l’allure petit à petit. Rob leur fit faire demi-tour, puis trotter vers les jardins et l’entrée principale, côté sud, où leur effort prit fin.

— Enfin ! Ça fait vraiment un siècle que j’attendais de voir l’Académie ! lança l’adolescent tout sourire.

— Et bien la voici ! J’ai un tas de choses à te faire visiter ! Descendons, nos fans n’attendent que ça.

Sans se faire prier, Tom récupéra ses affaires, puis ouvrit la portière avant de mettre pied à terre, suivi de près par son guide. Tout de suite, les quelques dizaines d’élèves curieux amassés aux balcons proches reconnurent l’embonpoint et le costume brun du professeur Oudini et l’accueillirent par de grands cris enthousiastes. Il salua de la main en retour comme une star habituée à passer sous les projecteurs.

— Par « nos fans », vous vouliez dire « mes fans », non ?

— Oh mais ils seront bientôt fans de toi aussi, j’en suis sûr…

Ils se mirent à rire tous les deux. Après avoir remercié et salué Rob, ce dernier relança les chevaux ailés vers leur voyage retour. Les occupants des balcons étaient retournés à leurs occupations. Tom et Dante se dirigèrent vers les jardins à pied, sur le sol très rocheux qui entourait l’école. L’obèse commençait déjà à souffler un peu fort. Parler en même temps n’allait rien arranger, mais il se donna tout de même la peine de donner certaines explications nécessaires à son pupille.

« Tu n’as peut-être pas remarqué d’aussi loin, mais les uniformes des élèves ne sont pas tous identiques.

— Non, j’ai pas vu… Pourquoi ils sont différents ?

— Et bien à Beauxbâtons, les élèves sont divisés en quatre sections, que l’on appelle les Familles. À chaque Famille correspond certains traits de caractère communs, ce qui permet aux professeurs d’adapter leurs méthodes d’enseignement selon les élèves qu’ils affrontent… Non ne me corrige pas ! Je sais très bien ce que je dis, on ne m’enlèvera pas de l’esprit que ces diables que sont les étudiants ont déclaré une guerre universelle et sans trêve au corps enseignant en général ! s’exclama-t-il de son air enjoué.

— D’accord, sourit le nouvel élève. Du coup par quels traits de caractère on les différencie ?

— Je ne vais pas te parler de tout ça immédiatement, ça pourrait plus ou moins fausser les résultats du test, que tu en saches trop… Dans les familles de sorciers, les secrets de l’école ne font pas long feu et les premières années qui débarquent ici savent déjà plus ou moins où ils veulent aller et comment y arriver, alors ils essayent souvent un peu de tricher, c’est bien dommage… Donc forcément, quand ils n’ont pas de frères et sœurs aînés pour tout gâcher, ou quand ils viennent de familles moldues, je me garde bien de ne pas tout révéler tout de suite.

— Sans oublier que c’est bien plus drôle pour vous de les laisser en galère totale. J’imagine que vous n’allez pas m’expliquer du tout en quoi consiste ce test ?

Les yeux du prof brillaient d’un éclat vert et malicieux.

— Tu me connais déjà trop bien pour que je puisse le nier.

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