Chapitre 10 - 1

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Ce matin, je me réveille tôt, pressée de déjeuner et de prendre une douche. Je m'habille en vitesse.

La journée d'hier a été riche en émotions. Il serait bon que je puisse confirmer certains points. A quatorze heures, j'ai rendez-vous avec le docteur Chopin. J'ai hâte. Hâte d'échanger avec lui, hâte d'explorer mes cauchemars, même si ces moments sont éprouvants, hâte de recevoir des réponses à mes questions.

Mais avant, le commissaire Bergal m'a, à nouveau, convoquée en fin de matinée. Que va-t-il encore m'apprendre, que va-t-il encore me reprocher ? J'appréhende cet interrogatoire mais je ne peux y échapper. Et puis, au fond de moi, quelque chose me donne envie de savoir.

Lorsque je pénètre dans son bureau, son attitude s'avère toujours aussi froide, son ton toujours aussi cassant.

Sans préambule, tout juste un bonjour rapide et machinal, il lance ses questions :

— Avez-vous retrouvé la mémoire ?

— Malheureusement, non.

— Quelques souvenirs ?

— Non.

— Et vos cauchemars, parvenez-vous à les décrypter ?

— Ils semblent s'éclaircir, mais rien de vraiment précis.

Un geste agacé du policier ponctue ma réponse.

— Quelles étaient vos relations avec votre compagnon, Patrick Grenas ?

Abasourdie par cette question improbable, je reste mutique une poignée de secondes.

Malgré mes efforts, je ne perçois qu'un grand vide.

— Je n'ai aucun souvenir de lui.

Face à moi, il soupire, ne cachant pas son irritation.

Dois-je lui demander des précisions au sujet de l'accident ? Même si cet intérêt me surprend moi-même. Je tergiverse encore quand il reprend :

— Comme je vous l'ai déjà dit, sa voiture a été sabotée.

Il laisse passer un temps pendant lequel il m'observe.

— Un flexible du système de freinage a été sectionné.

À nouveau, un silence.

— Vous comprenez de quoi il s'agit ? crie-t-il.

Sa façon soudaine de hausser le ton provoque un retrait de mon corps.

— Je m'en doute.

— Vous vous en doutez ! Vous vous doutez de quoi ?

Je reprends ma respiration puis :

— Que ses freins n'ont plus fonctionné et que cela a provoqué l'accident.

— Vous voyez, quand vous voulez !

Que dois-je déduire de cette remarque ?

Le sentiment de culpabilité et de profond malaise que j'éprouve à ce moment-là ne m'est pas inconnu, il me renvoie, semble-t-il, à des épisodes passés. Mais je n'ai pas le loisir de m'y attarder.

La porte du bureau s'ouvre à la volée. Son collègue l'appelle :

— On a besoin de toi.

— Ce sera tout pour aujourd'hui. Au revoir, Mademoiselle.

D'un mouvement mécanique, je me lève, réprimant un soupir de soulagement. Sans attendre, je rejoins le couloir et glisse vers la sortie.

— Bonjour, Julie.

Un homme assez fluet, de taille moyenne, me fait face. Une mèche de cheveux ondulés semble vouloir cacher le léger strabisme qui affecte ses yeux. Son attitude semble amicale. Mon regard vide et mon silence semblent le surprendre.

— Tu as vu le commissaire, toi aussi ?

— Je…

Dois-je lui répondre ?

Cécile traverse le hall à grands pas.

— Bonjour, Joël, dit-elle d'une voix tonique.

Pendant qu'ils s'embrassent, je cherche le souvenir de ce visage. Puisque, vraisemblablement, je le connais.

— Julie a eu un problème, elle a perdu la mémoire, explique-t-elle.

— Je suis désolé, je ne savais pas. Que s'est-il passé ?

Sans prendre en compte son interrogation, Cécile le questionne à son tour :

— Tu as appris pour Patrick ?

— Oui, le commissaire me l'a dit. Quelqu'un aurait provoqué sa sortie de route. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? D'ailleurs, il m'a posé des questions qui m'ont surpris.

Puis, pivotant vers moi :

— Tu n'étais pas avec lui samedi ? Tu ne te souviens vraiment de rien ?

Je secoue la tête tristement.

Joël consulte sa montre.

— J'ai un rendez-vous dans un instant, je dois vous laisser. Ça te dérange si je passe dans l'après-midi ?

— Non, bien sûr. Julie voit son médecin à quatorze heures mais nous devrions être à la maison vers seize heures.

Il hésite à m'embrasser puis me serre dans ses bras un court instant et s'éloigne.

— Qui est-ce ?

Le regard au loin, Cécile articule à peine :

— Un collègue et ami de Patrick.

Puis, elle se tourne vers moi, me regarde fixement avant de me prendre par le bras avec un sourire.

— Allez, viens, on rentre.

Dans la voiture, j'observe Cécile à la dérobée. Elle conduit en pilote automatique. Ses yeux semblent se perdre, très loin.

Je me décide.

— Cécile, pourquoi tu ne me parles pas ? Pourquoi tu ne réponds pas à mes questions ?

— Ce n'est pas simple.

— Pour moi non plus.

— Je ne sais pas par quoi commencer.

— Tu te dérobes sans arrêt, ça m'angoisse encore plus.

— Je suis désolée. C'est si difficile. Beaucoup de choses se bousculent dans ma tête. Il faudrait que je trouve le moyen. Et puis…

Un voile humide se glisse sur ses paupières.

— Je ne me souviens pas, mais je sens bien que tu me caches des choses.

— Je ne veux pas t'en rajouter dans ta situation.

— Et moi, je ne t'en rajoute pas en étant chez toi ?

— Non, tu es la bienvenue.

Des larmes coulent sur ses joues.

— Dis-moi s'il te plait.

Cécile attend encore, elle soupire puis se lance, dans un souffle.

— Je n'arrive pas à être enceinte. Depuis des mois, je suis un traitement, j'ai déjà fait deux FIV et ça ne marche pas.

Ses paroles ne sont pas celles que j'attendais.

— Je ne sais pas quoi te dire. Je… La vie est injuste.

— La vie est ainsi.

Quelques secondes s'écoulent, puis elle poursuit :

— ça fait plusieurs années qu'on suit un processus long et fastidieux, sans aucun résultat. On perd parfois courage et puis, on y revient.

— Je suis à nouveau là, au moins pour t'écouter. Mais je comprends que ma grossesse inattendue te heurte.

— Tout ce que je te souhaite est d'être enfin heureuse.

Cécile pose sa main sur la mienne alors que nous arrivons.

*

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