Chapitre 20

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Ici, elle se sentait bien. Dans ce coin reculé du jardin, les branches des arbres et leur feuillage accueillant se refermaient au-dessus d'elle, l'isolant, la protégeant pour un instant au moins, du regard des adultes. Ici, rien ne pouvait l'atteindre. Du moins, se plaisait-elle à le croire.

Cheminant d'abord au gré de l'allée de graviers, dans le crissement chuintant de ses pas, la jeune fille avait gagné le fond du terrain, comme à son habitude. Il s'agissait d'une sorte de fuite, même très provisoire, et celle-ci lui apportait un certain apaisement.

À travers les branchages, par la large porte-fenêtre, elle apercevait ce qui se passait dans la maison et suivait les allées et venues sur la terrasse. Le son des conversations lui parvenait, étouffé, comme un ronron percé de tonalités plus aigües ; lorsque les voix s'éloignaient, elle s'en inquiétait. De son poste, elle surveillait que l'on ne vint pas la déranger. Elle ne souhaitait pas être surprise, elle redoutait cela. Mais personne ne la voyait. D'ailleurs, personne ne cherchait à la voir. C'était très bien ainsi.

Depuis quelques années déjà, elle ne jouait plus, n'inventait plus d'histoires, ne mettait plus en scène des aventures issues des feuilletons de la télé. Elle se repliait ici pour profiter du calme, des chants des oiseaux et des parfums de la nature.

Après avoir terminé le chapitre en cours, assise dans l'herbe, elle avait abandonné son livre sur le sol et regardait le ciel. Elle cherchait du regard les oiseaux qui, au-dessus d'elle, pépiaient : trit, trit chantait le rouge-gorge, tilut, tilut lançait le moineau. Tous deux, chacun à son rythme, sautaient d'un rameau à l'autre et jouaient à cache-cache. Les bergeronnettes, chardonnerets, merles, grives entrecroisaient leurs variations flutées. À peine parvenait-elle à en distinguer un, qu'il s'échappait plus haut pour renouveler ce jeu sans fin. Puis, il lançait dans les airs de nouvelles notes avant de disparaître, un sarment dans le bec.

Dès le printemps jusque tard, aux confins de l'automne, les fleurs dispensaient leur fragrance sucrée et déployaient avec élégance leurs atours colorés. Des bouquets de pivoines bataillaient pour se faire une place dans un parterre ; leur rouge profond magnifiait le vert foncé de leur feuillage nervuré. Des massifs de dahlias délivraient leurs pétales ébouriffés dans un camaïeu de jaune et d'orange qui éclairait le carré. Des roses crèmes s'alanguissaient dans une pose gracieuse ; les boutons s'égayaient le long des tiges, avec toujours une formidable douceur, même au seuil de la fanaison. Des cosmos offraient une palette de tons du fuchsia au violet et penchaient leurs ramilles chargées de fleurs délicatement striées. À l'opposé paradait un merveilleux plan de comtes dont les pousses abondantes s'entremêlaient avec joie et folie dans un pétillement désordonné d'étamines jaunes, auréolées de longs pétales blancs.

Un brin d'herbe dans la bouche, elle mâchonnait pour en extraire une sève âcre. Au début, le jus douceâtre rafraichissait sa langue puis la sensation se transformait en un resserrement désagréable des papilles qui la faisait grimacer.

Alors, elle se tournait vers les insectes qui grésillaient autour des végétaux.

Par une danse langoureuse, les bourdons semblaient vouloir charmer la beauté dont ils s'approchaient, sans jamais la tromper sur ce qu'ils étaient, se montrant patients, attentionnés et caressants. Après avoir déployé des trésors de démonstration et attendu avec respect l'autorisation de leur hôte, ils se faufilaient doucement dans les calices et se blottissaient avec tendresse, ne laissant plus voir qu'un abdomen rayé de velours jaune et brun.

Les abeilles se montraient plus nerveuses, plus pressées mais tout aussi impliquées dans leur tâche. Brusques, vite effrayées, elles voletaient autour de leur objectif, d'abord en reconnaissance, puis en chasse d'un précieux butin. Jamais, elles ne perdaient de vue leur devoir, faisaient passer leur mission avant leur propre survie, sans s'accorder le moindre instant de distraction. Cela pouvait-il être une base satisfaisante pour une vie ?

Une motte de terre fraîchement remuée attirait son attention. Une multitude de fourmis s'activaient sans relâche aux alentours. Leur va-et-vient incessant finissait par creuser le sol ; le passage ainsi créé s'avérait tellement étroit qu'elles se croisaient avec difficulté, se bousculant parfois ou se détournant provisoirement sur une voie annexe mais toujours, elles poursuivaient leur besogne. Certaines d'entre elles tiraient ou poussaient des charges bien plus lourdes qu'elles, mettant en péril un frêle organisme qui pourtant se révélait si résistant. Quel courage !

Le spectacle s'avérait toujours différent, toujours intéressant. La jeune fille pouvait les regarder de longues heures sans se lasser tant l'observation se révélait édifiante.

Certains jours, elle parlait aux oiseaux et même aux fleurs. Parfois, un moineau semblait lui répondre d'un sifflement étonné. Souvent, le bouquet à qui elle s'adressait imprimait un mouvement inattendu dont la lenteur et la douceur lui délivrait en retour un message attendri.

Aucun ne la décevait. Les uns comme les autres avaient toujours des réponses bienveillantes et pleines de délicatesse. Même les insectes se montraient attentifs et respectueux.

Dans son coin de jardin, elle jouait à se perdre sans jamais s'égarer. Dans ce coin de nature, au contraire, elle se retrouvait.

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