Chapitre 17

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Une caresse humide effleurait sa main. Cette sensation provoquait à chaque fois un soupir de délice chez la petite fille. Allongée sans bouger, elle voulait profiter encore de son repos mais aussi de cette approche délicate et affectueuse. Elle attendait avant d'ouvrir les yeux avec la certitude que la chienne reviendrait lui prodiguer sa tendresse. Un rituel immuable et sûr existait entre elles, qui la rassurait, qui enjolivait sa vie. Qui changeait tout.

Cet après-midi, son amie devait venir à quinze heures. La rencontre était prévue depuis plusieurs jours et semblait réjouir les deux fillettes.

Après avoir préparé un jus de fruit, deux verres et quelques biscuits, elle s'était assuré qu'aucun grain de poussière ne vienne ternir sa chambre. On offre ce que l'on a de plus beau à un ami.

À trois heures moins le quart, elle sautillait et chantonnait, toute à sa joie. Quelques minutes plus tard, elle commençait ses allées et venues entre la fenêtre et la pièce fraichement aérée où les jeux étaient disposés.

Après un coup d'œil à l'extérieur, elle consulta l'horloge. Quinze heures.

Elle va arriver, se disait-elle en retenant son impatience et sa gaieté.

Dans le chuintement de ses sandales de corde, elle regagna sa chambre. Ses livres s'alignaient sur l'étagère, classés par ordre alphabétique. Elle en repoussa un qui dépassait légèrement.

Quinze heure dix. L'inquiétude pointait déjà le bout de son nez. Toutefois, elle se réfrénait en se disant que toutes les pendules ne donnent pas forcément la même heure.

Du bout des doigts, elle vérifia que même le dessus de l'armoire avait été nettoyé avec soin.

Quinze heures vingt. Elle avait peut-être mal compris l'heure de son arrivée. Peut-être s'agissait-il de la demie. Alors, il était trop tôt.

Ah, elle croyait avoir perçu le bruit du portail. Pourtant, d'habitude, elle sonnait à la porte.

Non, ce n'était pas elle.

Quinze heures trente. La petite fille se demandait si son amie n'était pas malade. Mais, dans ce cas, elle lui aurait téléphoné.

Quinze heures quarante.

Elle s'était peut-être trompée d'heure. Peut-être s'agissait-il de seize heures et non quinze.

Mais elle n'y croyait pas. La tristesse l'envahissait peu à peu.

Un nouvel aller-retour, d'un pas désabusé.

Parfois, elle arrivait en retard…

Alors, elle s'asseyait sur son lit et prenait un livre, sans pouvoir fixer son attention sur lui.

Il était dix-sept heures. Elle se sentait malheureuse, tellement déçue. Même pas un coup de fil pour la prévenir. Et, comme d'habitude, elle n'aurait pas un mot d'excuse. Combien de jours resterait-elle sans nouvelles ?

Encore une fois, elle s'était fait prendre au jeu-piège de l'amitié.

Son cœur pleurait, ses yeux restaient secs.

Mais elle ne parvenait à se résoudre à ne pas attendre.

*

Qu'est-ce que l'amitié ? Un attachement induit par une bonne entente, un sentiment partagé, empreint de bienveillance. Des fous rires, une écoute, des échanges, un soutien.

La petite se montrait-elle trop exigeante ? Elle avait besoin de réciprocité, d'une oreille attentive et de confidences. De confiance, bien sûr. Besoin de vrai.

Mais dans ces écoles payantes, les relations ne s'avéraient pas toujours simples. Elles manquaient parfois cruellement de franchise, de tolérance et se trouvaient corrompues par des paramètres liés à l'argent. Pour certaines filles, la différence de milieu social constituait une raison primordiale de garder ses distances. Heureusement, une poignée d'entre elles n'adoptait pas cette attitude et montrait une ouverture d'esprit très appréciable qui permettait des échanges plaisants et constructifs.

Même si la situation financière de ses parents se trouvait limitée, elle ne lui posait pas de problème. Dès son plus jeune âge, ce genre de considérations avait été écarté. Son instinct lui indiquait qu'il ne s'agissait pas là d'une des finalités de la vie. Certains éléments lui paraissaient indispensables, d'autres seulement accessoires, bien qu'importants.

L'amitié se révélait pour elle une notion irréalisable, un espoir fugace, effleuré du bout du doigt. Apparemment, les humains s'arrogeaient le droit de mentir, de donner puis reprendre, de jouer des sentiments de l'autre, en bref, de faire souffrir sans vergogne.

Alors, peu à peu, la fillette s'était réfugiée dans l'univers qu'elle s'était créé avec ses amis canins. Eux, au moins, se montraient francs, sincères, fidèles et ne la trompaient pas.

*

— Iris ?

La boule de poils apparaissait, remuant tout l'arrière-train à cause d'une queue trop courte.

À son grand étonnement, ses parents avaient cédé, ce point restait inexplicable mais elle avait fini par balayer la question, considérant la réponse comme sans intérêt. Ils avaient accepté d'acheter un chien. Il fallait cependant que l'apparence de celui-ci corresponde à leur besoin de démonstration, d'ostentation. Ce n'était donc pas la race que la petite fille souhaitait mais la caniche était là.

Très vite, la pauvre bête s'était retrouvée affublée de pompons qui ornaient ses pattes, sa tête et le bout de sa queue. Cela supposait des brossages méticuleux et des passages réguliers chez le toiletteur. La petite fille se soumettait à ces facéties. La chienne aussi.

Iris, une caniche royale noire, présentait un port majestueux, une démarche élégante. Elle se vautrait dans l'herbe avec délectation aussitôt sortie du toilettage où on l'avait aspergée de parfum. Puis, elle se blottissait dans les bras de sa jeune maîtresse et tendait sa tête avec un regard implorant.

— Viens ma griotte, viens dans ton refuge !

La petite fille se serrait contre elle, se lovait contre sa confidente. Des soupirs répondaient aux coups de langue ; d'un mouvement délicat du museau, d'une caresse douce, l'une transmettait à l'autre l'apaisement, celui qu'un amour véritable pouvait apporter. Elles s'enivraient de longs moments de tendresse, ce sentiment unique que seule une chienne s'avérait capable de partager avec elle.

L'arrivée d'Iris, avait suscité en elle un véritable émerveillement, une joie immense. Le chiot avait éveillé chez la petite un instinct maternel certain, malgré son jeune âge. Puis, avec le temps, une formidable complicité s'était installée, la soutenant les jours de tristesse, la faisant rire aux éclats quand elle était joyeuse.

Bien sûr, leur jeunesse les réunissait dans le jardin, autour d'un ballon, à la poursuite d'insectes, dans des roulades sur la pelouse. Mais au-delà de cet évident accord, existait entre elles, un sentiment très profond, indestructible impliquant une extraordinaire compréhension.

La chienne passait beaucoup de temps couchée à côté de sa jeune maîtresse pendant que celle-ci lisait dans sa chambre ou sur l'herbe. De temps à autre, un soupir ou un bâillement lui échappait, cette manifestation attirait l'attention de la fillette qui finissait par s'arracher à son récit et se mettait en mouvement pour gambader avec son amie à quatre pattes. Cette dernière inventait des mimiques et expressions variées, ses modulations ondulant du grave à l'aigu, surprenantes et drôles, intriguaient l'enfant, l'obligeant a des efforts pour en saisir le sens.

Iris prêtait une formidable attention à la petite fille ; bien sûr, elle écoutait les mots qu'elle prononçait les jours de peine, elle s'appliquait à percevoir ses moindres émotions, mais, bien plus encore, son regard pénétrait son cœur et tremblait à sa tristesse. Ses gémissements et son attitude aimante représentaient les meilleurs baumes pour atténuer son chagrin. Penchant sa tête, elle s'efforçait de la comprendre comme aucun humain ne l'avait jamais fait et ses réponses délicates et affectueuses enveloppaient la fillette d'une immensité d'amour.

En retour, si la chienne semblait souffrir, sa maîtresse s'employait à en chercher la cause jusqu'à ce qu'elle en localise l'origine et parvienne à la soulager. L'animal, en geignant, la guidait dans son exploration et supportait ses manipulations éprouvantes car elle en comprenait l'objectif.

Toute l'affection reçue et donnée ensoleillait la vie et le cœur de ces deux êtres si unis.

Dans quelque circonstance que ce soit, chaque fois que la petite rencontrait un chien, un contact amical s'instaurait. D'emblée, l'animal s'approchait d'elle, un museau fraternel tendu vers elle. Quelle que soit la taille de la bête, la franchise de l'approche entraînait une sympathie naturelle de l'un envers l'autre. Au moins, dans ce cas, sa timidité s'envolait-elle instantanément. La simplicité et la spontanéité de la rencontre évitait les ambigüités que pouvaient créer les humains. Les relations se trouvaient fluides, sans complication inutile, agréables. Qu'il était bon de prodiguer des caresses à une fourrure douce, d'effleurer une truffe fraîche !

À la ferme fréquentée pendant les vacances, une amitié particulière s'était nouée avec les deux chiennes, des bergers allemands à la carrure impressionnante.

La plus âgée dirigeait le troupeau avec autorité, elle protégeait les bâtiments avec efficacité mais elle savait montrer une grande douceur à ceux qu'elle appréciait. Si la mère était pourvue d'une robe grise et dorée, sa fille possédait un pelage aux couleurs fauves et noires magnifiques. Cette dernière défendait son territoire, campée sur ses pattes puissantes. L'une et l'autre avaient immédiatement saisi l'état d'esprit de l'enfant et lui avait répondu avec beaucoup d'estime et de générosité, instituant entre elles des relations harmonieuses et respectueuses. Au contraire de sa mère, la plus jeune n'acceptait pas les coups de son maître, elle n'entendait pas le laisser agir de façon injuste et malfaisante et n'hésitait pas à montrer ses crocs et à manifester son opposition.

Lorsqu'elle mit bas, crocs en évidence, elle interdit clairement à l'homme de l'approcher. Par contre, à l'arrivée de la fillette, la chienne émit un gémissement mélodieux, ses yeux se firent tendres. Les mots qu'elle entendit s'avéraient empreints de déférence envers elle, elle en était consciente et heureuse. La petite, d'abord assise près d'elle, fit la connaissance de ces adorables boules de poils, sans se précipiter dessus, puis s'enquit de l'autorisation d'avancer. La jeune maman comprenait la démarche de son amie humaine, elle l'encouragea du regard puis d'un murmure affectueux à la rejoindre. Les minutes qui suivirent furent, pour toutes deux, emplies d'un merveilleux bonheur, leur amour s'exprimait.

Ces intenses amitiés ne s'éteignirent qu'à la fin de la vie des chiennes, rien d'autre n'aurait pu les rompre.

Si la fillette restait dans l'attente de sentiments humains sincères, ses vœux étaient exaucés autrement, sa soif d'affection se trouvait étanchée. Au moins pour un temps.

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