Chapitre 1 - Un mariage en été

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Le soleil était déjà levé depuis longtemps lorsque Brigitte repoussa le drap. La lumière qui filtrait entre les lames des volets annonçait une belle journée d’été. Il ferait encore chaud sur le Lauragais en cette fin août. Brigitte se retourna et sentit que le lit était encore chaud à la place qu’occupait encore Philippe quelques minutes plus tôt. Elle enfouit son visage dans l’oreiller pour y retrouver l’odeur familière de son mari. Elle décida de paresser encore un peu en attendant son retour. Le château familial avait beau être spacieux, toutes les chambres n’étaient pas dotées d’une salle de bain privative. En tant que benjamin de la famille Villotte de Loubennes, lorsque toute la famille se trouvait réunie, Philippe devait se contenter d’une chambre modeste, du moins selon les standards familiaux. Ce qui gênait le plus Brigitte, c’était la taille du lit, basée sur les standards d’un autre siècle. Elle aimait le confort d’un lit King Size et se sentait à l’étroit sur un matelas d’un mètre quarante. Le grincement de la porte annonça le retour de son conjoint.

« La salle de bain est libre, annonça-t-il en se débarrassant de son peignoir.

— Viens un peu à côté de moi, susurra Brigitte en lui tendant les bras.

— Comment pourrais-je résister ? Mais il ne faut pas traîner, l’Amiral est déjà en bas et j’ai entendu la voix de Louis dans l’escalier.

— On a bien le temps pour un petit câlin. La cérémonie est prévue à quinze heures et c’est à moins d’une heure de route. »

Philippe s’assit sur le bord du lit et caressa le corps voluptueux de sa femme alanguie. Celle-ci vint se lover comme une chatte, avant de le faire basculer sur le dos.

« Qu’est-ce que je sens là ? Tu vois que tu en as envie toi aussi. »

Une demi-heure plus tard, Philippe et Brigitte descendirent prendre leur petit déjeuner dans la vaste cuisine où le reste de la famille était déjà attablée.

« Alors les tourtereaux, on a traîné au lit ? plaisanta Charles, l’aîné de la fratrie.

— Qu’est-ce que tu veux, je n’ai pas l’habitude d’être réveillé par le clairon, lui retourna Philippe. Les parents ne sont pas là ?

— Madame notre mère est partie pour se faire coiffer, répondit Louis, et le Comte doit être dans son bureau. On vient d’apporter le courrier. Il reçoit encore des lettre sous enveloppes !

— Il reste du café ? demanda Brigitte.

— Il est froid, répondit Sophie, la femme de Charles, mais je peux te faire un expresso si tu veux.

— Oui, merci. On va avoir besoin d’énergie pour cette longue journée.

— Depuis combien de temps est-ce qu’on n’a pas eu de mariage dans la famille, demanda Laure, la femme de Louis.

— Le dernier, c’était le mariage de Ségolène, mais ce n’était pas la même chose, répondit Sophie. »

Ségolène, la cousine des garçons, avait épousé en secondes noces Bertrand de Mas-Thomier, après le décès prématuré de son premier mari, François Barthélémy.

« Je n’ai pas revu Lise depuis cette date, je crois bien, reprit Laure. C’était encore une gamine à l’époque. Quelle âge a-t-elle aujourd’hui ?

— Elle doit avoir à peu près vingt ans. C’est bien tôt pour se marier. Vous croyez qu’il y a urgence ? demanda Sophie perfide.

— C’est vrai que dans la famille, ça ne se fait pas d’avoir ses enfants à son propre mariage ! répliqua Brigitte.

— Son mari est plus âgé qu’elle, il termine ses études de médecine à ce que j’ai compris.

— C’est une bonne chose, je me sentais seul au milieu de tous ces militaires et fonctionnaires, reprit Philippe.

— J’espère que tu ne me comptes pas dans les fonctionnaires, mon amour.

— Non, bien sûr, toi tu es la meilleure défenseuse des veuves homicides.

— Oui, et je l’assume. Si la société ne peut pas défendre les femmes battues par leur mari, moi je les défend quand elles ont décidé de s’en débarrasser elles-mêmes.

— Rompons-là cet assaut, très chère, je crois que nous devons déjeuner tôt avant de nous rendre à Saint Félix et j’ai besoin de faire quelques courses d’ici là. Je fais un saut rapide à Saint Orens, tu viens avec moi ?

— Non, merci, je vais profiter un peu du soleil avant de me préparer. Vas-y, on se retrouve au déjeuner. »

Il était un peu plus de treize heures quand Philippe et sa femme se retrouvèrent dans leur chambre.

« Qu’est-ce que tu as prévu comme tenue ? demanda Philippe.

— Pour l’église, je vais rester sage, répondit Brigitte, mais je vais me lâcher ce soir. Pour provoquer mes chères belles-sœurs et pour aguicher mes neveux.

— Je n’en attendais pas moins de toi, mon amour. Laisse quand même une chance à la mariée !

— Pas de blanc pour un mariage, comment est-ce que tu trouves ce vert ?

— Il se marie à merveille avec tes yeux. »

Brigitte se débarrassa rapidement de sa tenue décontractée et de ses sous-vêtements.

« Et si j’y allais comme ça, je ferais encore plus d’effet !

— Je crains que nous n’arrivions pas à temps. J’aurais trop envie de te sauter dans la voiture.

— Bon, d’accord, tu préfères le noir ou le blanc ? demanda-t-elle en présentant deux ensembles de lingerie en dentelle fine.

— Je te répondrais bien « sans rien », mais tout de même, nous allons à l’église. Le blanc ira très bien.

— Je suppose que ton frère va porter sa tenue de gala.

— Oui, sans doute, les étoiles et les décorations ça fait toujours bien sur les photos.

— Il en a combien d’étoiles maintenant ?

— Vice-Amiral d’Escadre, ça doit faire quatre.

— Et toi, tu t’habilles comment ?

— Je vais mettre mon costume de lin beige.

— Toi aussi, tu vas les faire craquer. Beau gosse ! »

Connaissant le plaisir que sa compagne avait à conduire les cheveux au vent, Philippe avait loué pour la circonstance un cabriolet BMW Série 2. Il avait laissé le volant à Brigitte pour parcourir les vingt kilomètres jusqu’à Saint Félix. Elle arrêta le véhicule sur la place centrale de la bastide, reconnaissant quelques visages connus, identifiant à leurs tenues les invités de l’autre famille. Philippe remarqua son cousin Michel, le prieur de l’abbaye voisine d’En Calcat. Il n’avait pas eu l’occasion de le revoir depuis les évènements survenus quelques semaines plus tôt[1].

« Je dois te remercier au nom de la communauté des Sœurs de Sainte Scholastique pour les efforts que vous avez engagés, toi et ton ami Ange, un prénom particulièrement approprié dans ces circonstances.

— C’est surtout Ange et son équipe qui ont travaillé, moi, je n’ai eu qu’une modeste contribution.

— Quoi qu’il en soit, la Mère Supérieure m’a rapporté que Sœur Marie des Anges allait beaucoup mieux, et je dois ajouter que vous l’avez convaincue d’accepter l’aide d’un praticien spécialisé.

— Ne le prends pas mal, mais Dieu a parfois besoin d’un petit coup de main. Il ne peut pas être partout ! Allez, je ne veux pas te mettre en retard, on reparlera plus tard.

— Oui, tu as raison, je crois qu’ils m’attendent à l’église. »

Petit à petit, les différents petits groupes se dirigèrent vers la Collégiale de Saint Félix, Philippe et Brigitte suivirent le mouvement, saluant en chemin oncles, tantes et cousins. Malgré la température élevée de cette fin d’été, les hommes étaient pour la plus grande majorité contraints de porter des costumes et des chemises fermées, le cou serré dans leur cravate ou quelques rares nœuds papillons. Il y avait plus de variété dans les tenues des femmes, palette de couleurs pastel ou criardes, chapeaux plus ou moins extravagants et robes de tous styles, dans la mesure de la bienséance requise pour la circonstance. Brigitte se demanda combien de ces dames allaient changer de tenue pour la soirée. Elle-même avait prévu de le faire, au risque de passer aux yeux de toute la famille pour une audacieuse libertine, ce qui de doute façon, resterait bien en deçà de la réalité.

Lorsque l’organiste commença à jouer l’Aria de la 3e suite de Bach, tout l’assemblée se tourna vers le fond de l’église, pour regarder entrer Lise Barthélémy, au bras de son beau-père Bertrand de Mas-Thomier. Brigitte dut reconnaître que la jeune femme avait belle allure dans une élégante robe champagne, sans excès de fioritures. Derrière elle suivaient Ségolène elle aussi très élégante dans une robe rouge, ses cheveux blonds coiffés d’une large capeline assortie, marchant au bras de Pierre Delprat, le père du marié.

Au troisième rang, Philippe se dit que l’après-midi allait être longue.

[1] Lire « Mélodie au couvent »

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