Le secret de la plage Koekohe

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« Alors Honoura ? Tu es content d’aller visiter la grande île ? »

La question était rhétorique : le petit garçon était tellement surexcité qu’il avait eu du mal à rester assis durant le voyage en avion. Originaire de Rarotonga, l’île principale des îles Cook, la famille avait économisé plusieurs années pour aller visiter la Nouvelle-Zélande, l’état qui lui était associé. L’aéroport était si beau, si grand, avec cette statue en bois d’un nain de Tolkien.

« Dis Maman, c’est vrai qu’on ne peut pas faire le tour de l’île en une heure de voiture ?

— C’est vrai, il faut beaucoup plus de temps.

— Il faut deux heures alors ?

— Non, beaucoup plus, plusieurs jours au moins.

— Des jours ?! Mais c’est le plus grand pays du monde au moins ! »

Les sourires s’éclairaient sur le passage de la petite famille.

« Et là, Maman, qu’est-ce qu’on fait ?

— On va montrer notre passeport au monsieur. »

La file bougea justement à cet instant, c’était leur tour. Honoura s’accrocha à la tablette et parla :

« Kia Orana, monsieur ! Il faut qu’on vous montre notre passeport ?

— Ici, on dit Kia Ora, mon petit. Et oui, j’ai besoin de regarder votre passeport. Voilà… Tout est en règle, Haere mai*, profitez bien du séjour ! »

Les parents et Honoura purent poser leurs pieds au pays du long nuage blanc. Ils passèrent quelques jours à Auckland, lui montrer ce qu’était un gratte-ciel et un ascenseur, lui faire découvrir des musées, un zoo et les animaux du monde. Puis ils s’échappèrent dans le reste de l’île, se dirigèrent vers le sud. Le paysage était si vert et si vide ! Les plaines vallonées fascinaient Honoura qui ne cessait de coller son nez à la vitre de la voiture. Là encore, ils contemplèrent la magnificence des beautés néo-zélandaises : les vers luisants dans les caves, les geysers, les couleurs éclatantes des lacs volcaniques, les troupeaux de moutons si serrés les uns contre les autres que le petit garçon était certain qu’on les plantait comme on cultivait les taros. Ils prirent le bac qui les menait à l’île du sud. Ils aperçurent les dauphins, les otaries puis distinguèrent une baleine. Ils s’arrêtèrent en fin d’après-midi non loin de la plage de Moeraki.

L’endroit impressionna l’enfant. Ces rochers étaient si gros et si ronds, juste comme des noix de coco de pierre ! La légende Maori disait que ces concrétions étaient les restes d’un échouage d’un canoë géant : des nasses à anguilles. Il n’y cru pas un instant. Qui avait déjà vu un canoë géant ? Des anguilles démesurées, pourquoi pas, mais le canoë, il n’y croyait pas.

Non, décidemment, il n’y croyait pas. Ces rochers ne pouvaient pas être ça. Il regarda le grand lit. Ses parents dormaient paisiblement. Il se décida à aller voir. Il mit ses chaussettes et ses chaussures et sortit sans faire un bruit. La nuit était paisible et suffisamment claire pour que la Lune suffise à lui montrer le chemin de la plage.

La marée était plus basse que dans la soirée. L’endroit était désert. Seul le lent ressac des vagues et les cris des mouettes se faisaient entendre. Il approcha du plus gros rocher. Il était énorme, aussi gros qu’une voiture.

« Je le sais bien, moi, que tu n’es pas un panier à anguille, tu es autre chose. »

Il fit le tour, très sérieusement, contemplant le roc sous toutes ses coutures. Puis, il avança la main doucement vers la calcite et, au moment de la poser, il lui vint l’envie irrépressible d’être poli.

« Kia Orana. »

À cette parole, une légère lumière s’écarta de sous ses doigts. La sphère devint petit à petit plus chaude, puis elle sembla battre d’une énergie intérieure. C’était un rythme lent et grave, paisible et profond. Soudain, un « toc-toc » se fit entendre. Puis la roche se brisa de l’intérieur. La coquille se brisa doucement, comme pour un œuf de tortue. Mais ce n’était pas un animal que Honoura connaissait. Il ne l’avait pas non plus vu au zoo. Il était sûrement aussi gros qu’un éléphant. Mais il ressemblait plutôt à un lamantin avec des oreilles et couvert de plumes aussi colorées que les oiseaux de paradis. Le bébé le vit et se tourna vers lui, roulant un peu à la manière d’un phoque. Honoura posa la main sur son museau et répéta :

« Kia Orana. »

Alors le nouveau-né ferma les yeux et de sa gorge s’échappait une sorte de grognement.

— C’est la mer qui ronronne, songea l’enfant avec plaisir.

Il le gratouilla doucement derrière les oreilles. L’animal se plaqua contre son torse, manquant de le faire tomber.

« Moi, c’est Honoura. Comment tu t’appelles ? »

L’avait-il compris ? L’animal poussa un grognement doux.

« Tu t’appelles Boiaa ? J’aime beaucoup. »

À cet instant, la Lune brilla un peu plus fort. Boiaa tourna la tête vers elle et doucement, s’éleva dans les airs et nagea dans l’espace. Il se rapprocha des étoiles pour se nourrir des lumières de l’infini. Il ondoyait tranquillement et, une fois son festin terminé, il plongea plusieurs fois dans la mer avant de revenir voleter autour du petit garçon. Une fois à sa hauteur, il se reposa sur le sable, avec une grande délicatesse et pourtant en écrasant les fragments de son ancienne coquille de pierre. Honoura entoura la tête de l’animal de ses bras, en un câlin qui fit ronronner les vagues.

« Honoura ! Honoura ! Où es-tu mon chéri ?

— Maman, je…

— Ah ! Tu es là. J’étais inquiète. Il n’y a pas de problème pour que tu ailles sur la plage à la maison mais pas ici mon amour, on ne sait pas ce qui peut arriver, d’accord ?

— Je, euh, oui d’accord Maman, mais…

— Tu veux me dire quelque chose mon chéri ? »

Son visage était souriant et confiant. Elle le regardait sans pour autant s’inquiéter de la présence de Boiaa. Il se retourna mais ne le vit pas. Pourtant, il sentait son souffle chaud lui hérisser les petits poils présents sur son cou.

« Non, rien Maman, rentrons. »

Il lui prit la main et la suivit. Mais à un instant, il se retourna et vit Boiaa en train de nager dans les airs et de les accompagner. Leurs regards se croisèrent. À cet instant, Honoura le sut : il venait de trouver un ami qui resterait avec lui toute sa vie. Alors qu’il remettait la couverture sur lui, il murmura :

« Bonne nuit, Boiaa. »

Provenant de la fenêtre, un léger grognement lui répondit.

*Bienvenu en maori. Kia ora et kia orana veulent dire bonjour respectivement en maori et dans la langue utilisé à Rarotonga (qui est un dérivé du maori)

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