Chapitre six : Yassine

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« Je vais y aller.

– Ça fait quatre fois que tu dis ça, Yass. Et t’es toujours là ! Si tu le dis encore une fois, je te mets dehors ! »

Je souris puis m’appuis sur un meuble de cuisine.

« Je voulais être sûr que… »

Je ne termine pas ma phrase, je sais que tout ne va pas bien. On a arrêté de vivre, de parler depuis le résultat de cette prise de sang. Charline se tourne vers moi, elle a préparé des immenses plateaux repas pour elle et sa sœur.

« Christen a proposé de prendre des sushis, lâche-t-elle, et j’ai refusé. J’ai menti, j’ai dit que j’avais déjà fait les courses. C’est tellement idiot.

– Pourquoi idiot ?

– Tu sais pourquoi, Yass. »

Je m’approche avec lenteur. Pendant longtemps, les contacts avec Charline ont été hésitants. Tous deux, on bougeait avec cette peur que l’autre demande plus parce qu’on l’avait vécu chacun à notre manière. Il fallait toujours plus de preuves à apporter. On a trouvé notre rythme, trouvé ce qu’on aimait, ce qui nous convenait à tous les deux. Et tout a été balayé. Je sais qu’elle est triste, dévastée et que ce n’est pas le moment. Mais je fais comment alors pour la consoler, la rassurer si je ne peux pas la toucher ?

Évidemment, un câlin ne résoudra rien, on sera toujours dans l’attente de ce rendez-vous. Une colère profonde me ravage. Je ne comprends pas qu’on puisse nous laisser ainsi dans cette incertitude.

« Charli, viens, s’il te plait.

– Je peux pas, murmure-t-elle. Je suis désolée, je vois que tu veux me consoler… mais je peux pas. Je veux garder tout ça encore un peu, ce sentiment entre tristesse et espoir, juste encore un peu avant de basculer complètement. »

Je laisse retomber mes bras.

« Je suis désolée.

– Non, je comprends. »

Elle me regarde et je tente mon expression à la fois confiante compatissante, celle qui dit qu’elle peut se reposer sur moi.

« Dépêche-toi, tu vas être en retard.

– Avoue que tu as peur que je découvre les films que Christen a sélectionné pour ce soir.

– Avoue que tu es juste curieux ! »

Si on n’est pas doués pour les contacts, on arrive toujours à échanger sur ce ton d’humour.

« Bien sûr, tu n’as rien voulu me dire.

– On a choisi de déposer nos cerveaux ce soir.

– Blockbuster avec plein d’action ?

– Non, on va les poser un étage plus bas. »

Je réfléchis et pour me donner un indice, elle esquisse une petite dance lascive.

« Oh ! Vous les déposez pas, vous les enterrez !

– Jaloux, va ! »

Je ricane à l’idée que les frangines passent une soirée devant des films avec des stripteaseurs. Charline adore les films romantiques, elle aime également les scènes de sexe que ce soit en livres ou en films, mais pour elle, elle n’arrive pas à concevoir ou à éprouver le désir de le vivre. Je dois dire que c’est encore différent pour moi. Toute manifestation sexuelle m’est profondément indifférente. Mais les gestes d’amour me comblent, et ils me manquent.

J’en voudrais, un tout petit, avant de partir. Du dos de la main, j’effleure celle de Charline.

« À plus tard. »

* * *

La porte de l’appartement d’Evan et Simon s’ouvre et je tombe sur Issun.

« Hé, cousin ! »

En un instant, je le récupère contre moi et lui rends son étreinte. Mon manque de contact se manifeste en un instant, je resserre mes bras autour de ses épaules un peu trop fort. Il se recule, puis me regarde et incline la tête une seconde, l’air suspicieux.

« Non, Sun ! menacé-je.

– J’ai rien fait.

– Si, et tu le sais très bien. Allez, laisse-moi entrer. »

Je glisse ma main le long de son dos pour le faire avancer et le rassurer en même temps. Mes deux andouilles n’ont absolument aucune intuition, ce n’est pas le cas d’Issun. Non seulement, il est très doué pour décrypter les gens, mais en plus, il adore mettre son nez dans les affaires des autres. Sauf qu’il ne peut rien y faire en l’occurrence, et moi non plus. Il y a juste à attendre ce foutu rendez-vous qui nous confirmera qu’il n’y a plus rien. Il y a encore trop de mots dans ma tête, fausse couche précoce, et cette déclaration qui se voulait rassurante de la part de la gynéco, à cette étape de la grossesse, avec un peu de chance, il n’y aura pas besoin de curetage. Je n’avais qu’une vague idée de ce que c’était, pas Charline, et devant mon regard interrogateur, elle s’est sentie obligée de m’expliquer que c’était la technique utilisée pour vider l’utérus après une fausse-couche. Et j’ai su qu’elle avait déjà lu tout ce qu’il y a à savoir sur cette étape précise. J’en ai marre d’avoir un temps de retard sur les pensées de ma femme, je suis incapable d’être présent, de la soutenir.

Issun et moi rejoignons Simon et Evan dans le salon. Je les étreins chacun à leur tour, assez pour me sentir allégé un tout petit instant, à peine suffisamment pour me sentir réellement bien.

« Eve, t’as mis les petits plats dans les grands ou quoi ? dis-je en voyant les plateaux remplis de verrines colorés et de petits choux fourrés.

– Je profite, j’ai des cobayes. Vous allez me dire. »

Il a ce sourire un peu anxieux et je jette un œil à Simon. Il hausse les épaules et son visage se tord dans une grimace d’impuissance.

Issun est déjà volontaire pour tout tester. Avec des yeux gourmands, il goûte tout et surtout goûte son verre de nombreuses fois. Mais pas une seule fois, il ne se dépare de son sourire enthousiaste. Un peu plus et on pourrait croire qu’il est heureux, ce petit con. Oh non, il ne me fera pas ce coup-là une seconde fois. Je sais combien il peut se camoufler, se dissimuler sous un sourire. Je me demande si je ne suis pas un peu pareil. J’ai une vie plus qu’ordinaire, jamais de grands drames, des parents tout ce qu’il y a de plus aimants, des amis qui me sont tombés dessus tel un miracle, et Charline, enfin, alors que j’avais fait une croix sur une vie amoureuse. Je n’ai pas le droit de me plaindre, je n’ai jamais eu à me plaindre, au point que je ne sais pas comment faire sortir cette douleur. Evan et Simon pourraient l’entendre, Sun également, mais ni moi ni Charline ne voulons de ses regards de commisération chaque fois que le désir d’enfant sera évoqué.

Nous faisons honneur au plat d’Evan, un filet mignon cuit dans une croute de sel, de sésame et d’épices. Chaque bouchée fond dans la bouche et explose de saveurs, une pure merveille. Issun lève sa fourchette et la tend vers Evan dans un geste accusateur.

« Je peux savoir pourquoi on m’a nourri de pizzas surgelées pendant des années ?

– Parce que je savais pas faire ça ! rétorque Evan. Enfin, j’avais bien des idées, j’avais essayé des recettes, mais jamais rien d’aussi élaborés. Et je t’ai fait des crêpes !

– Je sais, j’te charriais. C’est délicieux. »

Le visage d’Evan s’éclaire d’un sourire.

« Merci. Bon, ça fait bizarre quand même.

– Quoi ?

– De manger à table. D’habitude, on est vautrés sur le canapé. »

Je rigole doucement.

« Non, d’habitude, vous êtes vautrés par terre !

– Ces traditions qui se perdent, s’amuse Issun. »

Par respect des traditions, nous finissons par gagner le canapé, avec le dessert et une bouteille dont la couleur qui ne me dit rien qui vaille. Je doute que distiller des fruits ou des plantes puissent donner cette couleur bleue naturellement.

« Où est-ce que tu as trouvé ça ? demandé-je à mon cousin.

– Étienne. »

Je ne dis rien, mais je regarde le liquide avec suspicion.

* * *

Et j’avais bien raison ! Ce truc a dezingué le cerveau d’Issun et Evan en deux verres, à peine. À ce stade, je cherche ce qu’ils ont encore d’humain.

« Evie, arrête de lécher la table basse ! gronde Simon.

– Y a de l’alcool dessus, je gâche pas de l’alcool !

– Bon dieu, Sun, arrête de lécher Evan !

– Il a un goût de gâteau, je gâche pas des gâteaux ! »

Eve et Issun se regardent, explosent de rire et se lancent dans la découverte du parquet. Je crois qu’ils viennent de tomber sur un nœud dans le bois tout à fait passionnant, ils s’accordent pour dire que ce nœud possède une forme d’anus, de quoi les rendre complètement hilares durant de longues minutes. Ils partent ensuite à la recherche de tous les anus du salon, en rampant évidemment et en prenant une dose d’alcool pour se donner du courage. Je ne peux m’empêcher de rigoler à mon tour. Et en même temps, de sentir ce petit vague à l’âme en les regardant. Ils ont toujours agi ainsi. Oui, c’est moche, c’est mal, c’est mauvais pour la santé, et on devrait les en empêcher. Mais ils ont besoin de flirter avec cette limite, de plonger et de se laisser tomber. De toucher le fond. Et je me sens parfois si différent à tenter de tenir malgré tout, à être toujours ce gars trop sérieux.

« Il semble que ton plan se déroule parfaitement, commente Simon.

– Oui, je pensais pas qu’Evan allait suivre avec autant d’enthousiasme. Sun, je sais qu’il ne va pas très bien, mais il a quoi Eve en ce moment ? »

J’observe Evie en train de fouiller dans un placard à la recherche d’une nouvelle bouteille puis je me tourne vers Simon, attendant qu’il éclaire ma lanterne.

« Il a beaucoup de commandes pour la Saint-Valentin et il a peur de se planter.

– Tu lui as dit que ses gâteaux étaient sublimes ?

– Non, je lui ai dit qu’ils étaient dégueulasses. Bien sûr que je lui ai dit ! Ça change rien ! Et il a des paperasses à remplir pour des demandes de crédits, de subventions pour son local et il se sent incapable de les remplir.

– Pourquoi il m’a pas demandé ?

– Il voulait pas t’embêter, tu sais comment il est.

– Con ? »

Simon rigole.

« Après, je dois bien avouer, c’est plutôt Charline la spécialiste, mais je peux l’appeler, il va me falloir un peu plus de calme par contre. Tu me prêtes ton balcon ? »

Evan surgit à côté de moi, me plaque un baiser sonore sur la joue et demande :

« T’as des chaussures de bal ?

– Quoi ?

– C’est un balcon Cendrillon, chuchote-t-il sur le ton de la confidence. Mais ça va, toi, t’es pas trop moche !

– Merci, j’apprécie le compliment. »

Evan m’enlace encore une fois, puis se recule et hurle :

« Sun ! J’en ai trouvé un autre ! »

Et il se précipite sur le sol suivi par mon cousin.

« Oublie le balcon, conseille Simon, on passe dans la cuisine. »

En cuisine, des paquets de sablés emballés dans des sachets transparents s’empilent sur une table.

« Wow ! m’exclamé-je sans pouvoir me retenir. »

Les décorations en glaçage sont magnifiques, précises et délicates. Et je sais que ce n’est pas seulement beau, mais aussi bon.

« Tu penses qu’il prend des commandes de dernière minute ?

– Evan passerait la nuit à te faire des sablés si tu demandais. Qu’est-ce que tu as prévu pour Charline ? »

Je lève la tête et la rebaisse sur les sablés. Toutes mes idées ont tourné autour de cette esquisse d’enfant, et je me rends compte combien célébrer l’amour m’est douloureux. J’éloigne mon regard de ces gâteaux qui content un amour bien trop idyllique.

« Je réfléchis encore.

– Au moins, t’es pas limité à vingt balles.

– Je vois qu’Evan est encore fauché.

– Ça doit être une des lois de l’univers. »

J’appelle enfin Charline, mettant le haut-parleur.

« On n’interrompt rien d’intéressant ? demandé-je.

– Si ! hurle les deux sœurs en chœur avant d’exploser de dire. »

Je souris en les entendant. Puis, après quelques secondes, j’ai Charline pour lui expliquer le problème. J’aime la façon dont elle s’empare de l’affaire.

« Ok, Simon, tu pourras m’apporter les papiers de sa boite et les paperasses qu’on lui a données, je vais faire le tri et voir ce qui convient à son domaine.

– Ok, sans problème. Tu me sauves la vie.

– Je sais, d’ailleurs, il me faut une cape à moi aussi. »

Je me marre.

« Je te prêterai la mienne si tu veux.

– Tu me feras un ourlet ? Parce que je risque de marcher dessus.

– Bien sûr, ma chérie.

– Et tu me broderas un gros C en fil doré ?

– Tout ce que tu veux. »

Simon sourit lors de notre étrange discussion.

« Et tu me prêteras le truc qui fait zdouingtagadatsointsoin pour démonter les vilains ?

– Ah non, pas le zdouingtagadatsointsoin, c’est mon préféré ! »

Elle éclate d’un rire presque léger. Elle sait aussi bien faire semblant que mon cousin.

« Au fait, gros ours, t’as ton lundi ? demande Charline.

– Ouais, je bosse pas.

– Parfait, j’ai une frangine qui m’a plantée alors tu vas venir avec moi. Je t’attends à midi avec les paperasses et tes affaires de piscine ! J’y vais, j’ai Matt Boomer et Joe Manganiello qui m’attendent pour enlever leur pantalon. »

Je ricane puis fixe Simon qui prend un air interrogateur.

« Qui ?

– Demande à Evan, je suis sûr qu’il sait. »

Je pousse Simon jusqu’au salon et nous retrouvons nos deux alcooliques dont l’état ne s’est guère amélioré, bien au contraire. Je confisque la bouteille de vodka et aide mon cousin à s’installer sur le canapé.

« Vous avez prévu de le faire dormir là ? demandé-je à Simon.

– Y avait de fortes probabilités pour que ça finisse comme ça. J’ai préparé le clic-clac. »

Sun le remercie et se cale contre Simon. Mais mon cousin étant mon cousin, il ne peut pas s’empêcher de laisser glisser ses yeux un peu trop bas, puis ses mains. Il roucoule de contentement.

« Sun ! C’est toujours mon cul ! grogne Simon.

– C’est la faute d’Evie, il m’en fait des exposés en long, en large et en travers de ton cul. Je veux toucher, tu penses !

– L’écoute pas, Chewie, se défend Evan. Je fais jamais ça. Jamais, jamais. Sauf… sauf quand j’ai bu.

– Et comme il boit souvent avec moi, fait Sun. »

Mon cousin se recule et explose de rire, puis nous regarde avec ses grands yeux. Et soudain, il baisse la tête comme un gamin honteux et des larmes coulent sur ses joues. Je sens mon cœur tout serré en le voyant faire. Il est toujours là à voleter de partout, à sourire, à s’intéresser à tout le monde et à aucun moment, il n’écoute réellement sa peine. Je tends mes bras vers lui et le ramène contre moi. Il n’a pas besoin d’être souriant tout le temps, il a le droit d’être triste. Je chuchote des mots de consolation à son oreille, et il ne retient plus rien, il s’écroule contre moi.

Simon et Evan nous rejoignent, nous entourent et je pense que je pourrais sombrer à mon tour.

* * *

Simon a couché Sun dans la chambre d’amis. Il hésite à faire de même avec Evan. Mais ce dernier dort tranquillement à mes côtés sur le canapé. Alors, il s’installe entre nous deux. Je m’appuie sur le dossier du canapé et les regarde. En une seconde, Evan laisse tomber sa tête sur l’épaule de Simon, recherchant son contact dans son demi-sommeil.

« Vas-y, Yass, parle !

– Mais j’ai rien à dire !

– Mon cul, t’as ton air tout prêt à faire un exposé. »

Je me marre quelques secondes puis avoue :

« C’est compliqué avec Charline en ce moment.

– À cause de votre truc ?

– Notre truc ? Non, rien à voir avec notre « truc » ! Pourquoi ton « truc » te pose des problèmes ? »

Simon rigole, saisit les cheveux d’Evan entre ses doigts et secoue la tête.

« À moi, aucun, à mes collègues, un peu plus.

– Oh merde, t’as fait remonter au DRH ?

– Je viens de le faire.

– Celui de ta boite, crétin ! »

Il se marre à nouveau.

« Non, pas encore. En plus, c’est mon oncle mon boss, alors, je doute que ça arrange la situation. J’ai déjà eu le job par piston.

– Evan n’est pas le seul à manquer de confiance en lui, on dirait, constaté-je.

– Et toi alors, c’est quoi ton problème si c’est pas ton « truc » ? »

Pendant une seconde, je veux rire, gérer notre « truc » est la partie la moins difficile de ma relation avec Charline, mais c’est faux. On s’est tous deux construits dans cette société portée sur le sexe comme consécration de l’amour. On nous fait ressentir combien il nous manque quelque chose, que notre couple n’est qu’une passade avant la rencontre évidente, la personne idéale qui nous fera changer d’avis et grimper aux rideaux.

Je n’arrive pas à toucher Charline, à l’atteindre, et toutes ces pensées me hantent. Je veux être l’homme de sa vie, celui sur lequel elle peut compter.

« Yass ? Tu sais, il y a un grand sage qui m’a dit un jour que je devais parler. Je crois même me souvenir qu’il m’avait un peu beaucoup engueulé.

– C’était un idiot, pas un grand sage, bougonné-je. »

Le téléphone de Simon nous interrompt.

« C’est Max, dit-il en décrochant. »

L’échange dure moins d’une minute.

« Il arrive, annonce Simon en se réinstallant. Il a pas confiance.

– Mais non, il veut seulement être près de Sun. Comme toi, dis-je en désignant sa main qui a repris sa place sur la tête d’Evan.

– Mais Sun et Max sont pas ensemble.

– Ils sont autant ensemble que vous l’avez été, Evan et toi, pendant des années. On ne va pas commencer à hiérarchiser les relations.

– Et tu étais avec nous.

– Oui. »

Je sens la nostalgie monter à nos paroles.

« Ça te manque ? demande Simon.

– Parfois. Ce qui me manque le plus, c’était l’absence de responsabilités, l’impression que je n’avais pas à paraître fort, que tu allais l’être pour nous.

– Tu sais, Yass, j'ai toujours des bras pour deux, dit-il en m’invitant d’un geste. »

Je m’incline, savoure son contact et avoue avec lenteur :

« Charline ne va pas bien. Et je ne sais pas quoi lui dire, je n’arrive pas à savoir quoi faire pour la consoler. Elle est enfermée dans sa tristesse, et aucun de mes mots ou de mes gestes ne l’atteint. Elle ne veut pas être consolée.

– Yass, peut-être qu’elle a seulement besoin que tu sois triste avec elle. »

Je relève la tête, mais ne quitte pas son étreinte.

« Je veux dire, mes parents passaient leur temps à me dire que la marque sur mon visage n’avait pas d’importance. Mais tout ce dont j’avais besoin, c’est qu’ils admettent que si, elle en avait. Reconnais sa tristesse, n’essaye pas de la nier ou de l’effacer. »

Je le regarde, me demandant si mes deux andouilles ne sont pas plus observateurs que je ne pensais.

« Merci, Chewie.

– Toujours là quand tu en as besoin, Yass !

– C’est le moment des câlins ? marmonne Evan en ouvrant un œil.

– Il semblerait.

– Vous avez commencé sans moi, c’est pas sympa. Moi aussi, je veux faire des câlins. »

Il se redresse, bascule sur les genoux de Simon pour m’enlacer à son tour.

« Merci, répété-je. »

* * *

Mes pas se font plus rapides à mesure que je monte les escaliers jusqu’à mon appartement. J’espère que Charline ne sera pas endormie, mais la pénombre dans le salon n’est pas un signe encourageant. Je me glisse dans la chambre et elle se redresse dans le lit, son livre à la main.

« Je pensais que tu dormirais déjà, bredouillé-je en me rendant compte que j’ai encore mon manteau sur les épaules et mes chaussures.

– Moi aussi, entre deux andouilles.

– J’avais besoin de rentrer. J’avais besoin de… »

Charline pose son livre, ouvre le lit pour moi. Je fais valdinguer ma veste et mes chaussures et m’avance à genoux sur le lit. Mes yeux glissent jusqu’à son ventre et elle pose la main dessus, crispant ses doigts sur son tee-shirt.

Je veux Charline, je veux cet enfant. Je veux ce futur.

« Je suis désolé. Je suis tellement désolé.

– Hé, chéri. »

Elle approche ses mains de mon visage, le relève et mes larmes dévalent mes joues comme elles l’ont fait plus tôt sur celles de Sun. Je crois qu’on n’est pas cousins pour rien tous les deux.

« Je n’y arrive pas, je veux cet enfant, Charli, autant que toi. Je suis si j’arrive pas à me montrer fort, je suis désolé, mais ça fait si mal.

– Oui, je sais. »

Elle m’entoure, me plaque contre elle. Et je comprends qu’on étreint notre tristesse, qu’on ne l’éteint pas entièrement, mais qu’on la partage. Et mes sentiments hurlent. Je suis impuissant et désemparé. Charline me berce lentement, et redécouvre mon corps comme au début, dans ces gestes doux et tendres qui n’appellent rien d’autre, que l’envie de se toucher.

« Ne refais plus jamais ça, Yass ! Ne te montre pas fort pour moi !

– Pardon.

– T’en fais pas, j’ai deviné depuis le début que t’avais un petit côté andouille toi aussi. »

Ses yeux se parent de larmes à leur tour, et elle les laisse couler d’un clignement d’yeux. Je les essuie de mes doigts, puis pose des baisers sur ses joues. Je le ressens à l’intérieur, ce besoin de la toucher, aussi impérieux que le désir. Oh, peut-être que c’est aussi du désir, je ne vais pas hiérarchiser le désir non plus. Je frôle ses lèvres des miennes.

« Pardon, murmuré-je.

– Non, c’est bien. »

Et elle me rend mon baiser. Puis, lentement, elle m’ôte mes vêtements pour entrer davantage en contact avec moi. Je me retrouve en sous-vêtement, collé à son corps, dans une étreinte qui ne rend pas la peine moins violente, seulement moins solitaire.

« Tu sais, Yass, il y a plein de raisons qui font que je suis tombée amoureuse de toi, mais la principale, c’est que tu ne caches pas tes sentiments. Tu ne les étales pas non plus, mais tu n’as jamais eu peur de les exprimer. Tu as su me dire que tu m’aimais ou combien notre relation t’angoissait autant que moi au début. Fous-moi cette cape au placard, j’ai pas besoin d’un super-héros, je veux juste l’homme que j’aime. »

Ma main gagne son dos, le caresse jusqu’à sa taille pour l’enserrer un peu plus.

« Je me sens si idiot, je ne comprends rien, Charli. Je sais pas comment on est passé de ce bonheur parfait à ce doute permanent. Je suis triste, j’ai peur pour toi, et je sais pas à quoi va ressembler notre avenir. Je voulais tellement cet enfant avec toi. »

Je m’empresse de me reprendre.

« Je veux cet enfant…

– On l’aura, promis. Peut-être plus tard. Bon, d’accord, pour ça, on va devoir refaire l’amour.

– Mince, quelle galère ! »

On ricane tous les deux.

« M’en parle pas, c’était affreux ! soupire-t-elle.

– À ce point pour le côté affreux ? »

Elle éclate de rire.

« Non, Yass et tu le sais. Mais c’est comme pour toi, je trouve qu’il y a beaucoup plus de choses intéressantes à faire dans la vie. Surtout pour trois secondes de plaisir qu’on peut tout à fait trouver avec un fondant au chocolat.

– Un fondant au chocolat ?

– Et en plus, le fondant au chocolat dure plus longtemps ! »

Bon, à ce stade, mon égo martyrisé se rebelle un petit peu.

« Hé, je fais de mon mieux !

– Et c’était très agréable pour tous les deux. Mais laisse tomber, le sexe, même avec toi, perd quand même contre un fondant au chocolat. »

Elle s’allonge, éteint la lumière et me ramène dans ses bras.

« Mais tes câlins gagnent à tous les coups.

– Peut-être qu’on devrait y ajouter un fondant au chocolat ?

– Tu viens de trouver mon point sensible, chéri.

– Je croyais l’avoir trouvé quand j’ai regardé La Plus Belle Victoire avec toi et une brioche au chocolat.

– J’ai plein de points sensibles. Et ce film est terriblement sous-coté. »

Elle me serre un peu plus fort et je sens ses joues humides contre les miennes.

« Mais ce soir, j’ai seulement besoin de toi, Yass.

– Je suis là. »

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