XXVIII [corrigé]

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Les ordres du clergé sont simples. Si les civils se rendent et se convertissent, leurs vies seront épargnées. Ils seront relogés au sein de Cyclone, nourris et éduqués. Trop longtemps cette ville nous a insultés, alors que l’Église protège ses frontières au sud et à l’est des abominations de l’Extérieur. Nous ne demandons qu’à vous ramener dans la lumière, celle de nos créateurs : les Agides.

L’orateur, connu sous le nom d’Auroch Le Juste, accompagnait le moindre de ses phrasés par des gesticulations ridicules. À chaque syllabe, ses mèches blondes gigotaient comme de la gelée au miel. Sélène soupira.

L’immense majorité des civils s’était massée dans la bibliothèque sur ordre de son amie. Et toujours selon ses directives, pas un n’était descendu. Sélène et l’Étranger y avaient veillé.

Mais plus personne ne savait quoi faire maintenant. Quelques minutes auparavant, l’escalier de sable s’était affaissé, laissant un petit monticule au pied de l’édifice.

Le guignol accoutré d’une bure noire griffée de l’étoile à onze branches continuait ses invectives avec ses grands gestes, mais personne ne l’écoutait vraiment.

Les murmures qui parcouraient les rangs des pauvres réfugiés témoignaient de leur incompréhension face à la situation présente.

Debout dans l’encadrement élargi par l’Échosiane, la jeune fille aux cheveux cendrés contemplait le ciel sans nuages, caressant machinalement le manche de son arbalète. À l’instar des autres, elle ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Si Anna pensait tenir un siège, le palais et ses cuisines auraient été un meilleur choix. Mais elle savait son amie intelligente. Et cette lueur… cette lueur qui brillait au fond de ses yeux quand elle a donné ses ordres annonçait des merveilles.

Soudain, les nues se fendirent sous un éclair lent et gris qui provenait à ne pas en douter du sommet de la tour. Il disparut au sud comme il était venu : en silence.

« Anna… qu’est-ce que... » s’interrogea la jeune fille. Mais elle comprit rapidement.

« Tu es soit complément folle, soit brillante comme jamais. Ou peut-être un peu les deux ».

Un grondement sourd couvrit peu à peu les élucubrations du mage ridicule, lequel finit par s’interrompre pour regarder à sa droite.

Une onde plus haute que les maisons surgit soudain et s’abattit sur le contingent de l’Église.

Le raz de marée emporta tout avec lui ; l’eau boueuse recouvrit bientôt la place et toutes les ruelles en amont et en aval. De la Perle du Sud il ne resta rapidement que les décombres. Des ruines éventrées, étalées dont les charpentes crevaient le sable et l’eau comme autant d’os fracassés. Si Huriya était la ville engloutie par le sable, Ain Salah l’était désormais sous les flots. Progressivement, le courant se calma, mais le chaos demeurait.

La tour se dressait, inaltérable, hors de l’ancien lit du fleuve, protégeant ses occupants des vagues qui s’échouaient sur les édifices les plus robustes. Au loin, le palais brillait sous la lumière du désert. De sa grandeur il ne restait plus que l’alcazar, le reste avait été emporté.

Sélène sursauta quand Smaël vint se camper près d’elle. Il observa un moment en silence la scène d’apocalypse qui se dressait devant lui. L’homme si robuste paraissait défait.

J’ignore si nous avions d’autres options, mais j’ai peur que celle-ci nous condamne tout autant que si l’Église avait gagné, se plaignit-il à voix basse. Si ce n’est par le fer des Templiers, nous mourrons de faim ou de maladie sans le fleuve contenu. Le lac s’est asséché, nos cultures ne sont plus irriguées. C’est la fin de la Perle du Sud...

Vous êtes en vie ! fulmina Sélène. Vous lui devez la vie. Si ce n’était par elle, vous seriez tous gisants sur le sable. L’Église aurait brûlé ce lieu et probablement détruit le barrage aussi. Mais pour l’heure vous êtes en vie. Vous reconstruirez Ain Salah : vos ancêtres ont bâti cette rétention, vous pensez-vous à ce point être moins capables qu’eux ? Ils étaient des réfugiés, des survivants, tout comme vous. Seulement eux venaient de traverser le désert depuis Huriya. Alors vous vous sortirez les doigts, et vous reconstruirez ce barrage pierre par pierre.

La jeune fille plongea son regard dans celui du seigneur salaïde.

Avez-vous donc si peu de foi en votre peuple ? Pensez-vous réellement qu’il se laisse aller à dépérir ? Il attend de son chef qu’il montre l’exemple, de se relever et de reconstruire. Alors cessez de geindre comme un mioche et de vous plaindre. Baisez les pieds de celle qui vous a sauvé, car sans elle, plus personne ici ne respirerait.

Elle a raison monseigneur.

Radil fit un pas en avant et sortit de la foule. Il se tenait droit, les bras croisés sur son torse comme pour relever un défi.

Elle a raison, répéta l’homme aux tempes grisonnantes. Ces al awghad ne sont pas venus ici échanger des épices ou acheter des tapis. Ils venaient nous exterminer, nous et notre culture. Notre agnosticisme les terrifie. Leur survivre est déjà une victoire, mais reconstruire la ville comme s’ils n’étaient jamais venus, ça les anéantirait. Mon père et son père avant lui travaillaient à la consolidation du barrage. Avant que le soleil ne se couche, je gravirai à mon tour la colline et de mes propres mains je commencerai à creuser le canal de dérivation. Le prochain barrage sera plus haut, plus robuste, et demain, Ain Salah sera plus resplendissante que jamais. Que sont quelques briques par rapport à nos vies ?

Et l’Église ? gémit Smaël. Pensez-vous qu’elle en restera là ? Pensez-vous que son armée se compose de six cents soldats et une poignée de mages ? Elle reviendra. Mieux préparée. Et nous serons sans défense, sans logis et affamés.

Sélène eut un léger rictus.

Je pense que le Pape y réfléchira à deux fois avant d’envoyer ses troupes affronter une Échosiane. Il ne prendra pas le risque d’une troisième défaite causée par une seule et même personne. Il mettra un blocus en place, empêchant les marchands de joindre la Perle, mais cela ne fera que vous offrir du temps.

À la suite de cet échange dont chaque syllabe se trouvait portée par la structure de la tour, des discussions animées s’élevèrent de la foule. Certains abondaient dans le sens de Sélène et Radil, quand d’autres arguaient contre et préféraient trouver refuge à l’Oasis d’Akhdar.

Nous débattrons de tout cela plus tard, scanda Smaël à l’attention de son peuple. Organisons déjà la sortie de cette tour. Retrouvons la lumière du jour, ça nous remettra les idées en place.

La jeune fille à l’œil marqué croisa ses bras sur son ventre et porta son attention vers le pied de la bibliothèque. En bas, à genoux face à l’eau qui draguait encore, débris, armures dorées et, hélas, quelques corps salaïdes, Auroch Le Juste sanglotait. Il était seul et pleurait à chaudes larmes.

Sélène arma son arbalète avant de prendre en joue le lamentable scélérat.

Que va-t-on faire de lui ? questionna-t-elle sans le quitter des yeux.

Nous allons l’interroger, répondit Smaël. Il semblerait que l’Église dissimule bien des secrets, sadiqa. J’aimerais tous les connaître.


***


À elle seule, l’évacuation de la bibliothèque par l’escalier conventionnel prit le reste de la journée. Pendant tout ce temps, Sélène n’avait pas bougé du promontoire élargi par Anna, braquant sans faiblir son arme sur le misérable en contrebas. Il tenta plusieurs fois de négocier avec la jeune fille, mais la promesse de la soigner de l’immondice difforme qui cerclait son œil pourtant si malicieux ne lui amena qu’un carreau planté entre ses deux pieds. Depuis lors, il avait lui-même jugé qu’il était plus prudent de se taire.

À la tête d’une armée de survivants, Smaël avait récupéré Auroch sans aucune résistance de la part de ce dernier, avant de gagner péniblement le palais en barbotant sans grâce dans l’eau boueuse.

Une demi-douzaine de majordomes, aussi peu loquaces qu’à leur habitude, mais toujours efficaces, avaient descendu le corps inanimé d’Anna jusqu’à leur camp au seuil des ténèbres.

Sélène l’avait confortablement installée dans leur lit. Par chance et malgré l’affluence des citoyens salaïdes, leur chambre de luxe demeurait relativement intacte.

J’espère que tout ira bien pour eux maintenant, dit-elle à l’attention des murs désormais dépeuplés, de la bibliothèque.

Les Salaïdes forment un peuple formidable et fier, Sélène.

L’Étranger se tenait là, près du paravent qui séparait leurs appartements de l’ouverture béante d’où le vent s’engouffrait en sifflant.

Ne t’en fais pas mon amie, continua-t-il. Smaël a déjà reprit contenance. Dès demain, il organisera la reconstruction de la ville. D’ailleurs, il s’agit surtout de la réédification du barrage, car la plupart des bâtiments civils ont tenu bon face au déluge.

Il posa ses yeux sur Anna.

Comment va-t-elle ?

Bien. Elle fait ça à chaque fois. Quoiqu’enchaîner deux sortilèges est une première pour autant que je sache.

Sélène dévisagea le jeune homme à la veste bleue.

Vous avez du courage à rester ici, monsieur l’Étranger. Si elle se réveille, vous risquez votre vie.

Il soupira, sans décrocher son regard de son ancienne compagne de voyage avant de se rapprocher du chevet de la belle endormie.

Je le sais bien. Et si j’étais à sa place, j’aurais bien du mal à me pardonner également… J’aimerais lui dire ce qu’il s’est passé. Tout lui raconter, mais elle ne m’écoutera jamais.

Dites-le-moi. Elle m’écoutera, moi, suggéra Sélène d’une voix douce.

Peut être bien…

Le jeune homme se racla la gorge :

Sa meilleure amie est morte à Val-de-Seuil. Elle a succombé à une simple maladie pourtant si facile à guérir. Le frère d’Anna et conjoint d’Esther, Valian, l’a descendue jusqu’à Sigurd dans l’espoir de se procurer un remède, mais même là-bas ils n’ont trouvé aucun médecin, aucun guérisseur. L’Église ne s’occupe plus du tout de ses devoirs. Toutes Ses pensées sont dirigées vers la prise de contrôle totale de Karfeld. Mais nous y reviendrons quand elle sera éveillée, car ce sujet l’intéressera, j’en suis certain. Bref, après la mort d’Esther, Valian est devenu… instable. Il s’est fait forger une épée et un bouclier et s’apprêtait à partir en découdre seul. C’est à ce moment que je suis arrivé à Val-de-Seuil. Ils m’ont tout raconté, et… et j’ai trouvé que c’était le prétexte idéal pour rassembler tout le monde afin d’aller confronter le Pape. La suite tu la connais.

Vous vous êtes servis de la mort d’Esther comme cri de ralliement. Il vaut mieux que je l’entende plutôt qu’elle, je confirme, fit Sélène avec un rictus forcé.

Ça n’était pas très… respectueux, mais le temps pressait. J’avais entendu dire que l’Église rassemblait des troupes. Seulement j’ignorais qu’il s’agissait de Templiers et en si grand nombre. Je crois que c’est ce qui a fini par faire perdre la raison à Valian : ce bain de sang aux portes de Cyclone. Je l’ai vu tuer à tour de bras en ne faisant que peu de distinction entre ami ou ennemi. Et il ne cessait de hurler cette même phrase : vous avez tué Esther, vous avez tué Esther ! Il n’a probablement même pas reconnu sa propre sœur. Même lorsque…

Il ne termina pas sa phrase. Ses yeux s’embuèrent, mais Sélène resta stoïque.

Vous aviez tort, monsieur l’Étranger, déclara-t-elle sans émotion. Elle vous a écouté du début à la fin.

Car la jeune fille avait dû remarquer les yeux entrouverts de sa comparse allongée dans le lit. Et au fond de ces yeux s’agitaient les lumières de la conscience.

Je vais vous laisser un moment, conclut-elle en s’éloignant.

Seul le silence accompagna l’écho des bruits de pas de Sélène. Et ce silence dura un plusieurs minutes. L’Étranger s’était assis dans le fauteuil, la tête entre les mains tandis qu’Anna restait étendue sur le dos dans son lit. Elle finit par entamer le dialogue d’une voix monocorde :

Tu sais que je ne te pardonnerai jamais, n’est-ce pas ?

Je ne suis pas tout à fait certain de vouloir l’être. Je me suis engagé dans cette quête parce que je pense qu’elle nous dépasse tous individuellement. Et chaque jour l’Église me prouve que j’ai raison de la combattre. Il faut destituer ce Pape avide de pouvoir. Il faut ramener les choses là où elles étaient sous le règne de Edmond III de Célune. Je savais dès le départ qu’il faudrait faire des sacrifices, que certains mourraient.

Je ne te parle ni d’Esther ni de Valian. J’aurais probablement fait pareil à ta place. Pour ça je pourrais te pardonner un jour, je pense. Non ce que je ne pourrais jamais effacer, c’est le fait que tu as choisi pour moi ce destin qui est le mien désormais. J’aurais pu rester chez moi, dans mes montagnes, ignorante. J’aurais pu assister aux derniers jours d’Esther et la tenir une dernière fois dans mes bras. J’aurais pu mourir jeune à cause de ce syndrome qui fait de moi une Échosiane. À la place, je ne peux que vivre en sachant que tôt ou tard, je serai à l’origine d’une catastrophe. Nous avons vérifié : à chaque fois les Échosianes connaissent un destin funeste. Dans le meilleur des cas, ils disparaissent sans que l’on n’entende plus parler d’eux. À traduire : ils sont partis mourir loin des autres.

Il y a eu trop peu de cas, mon amie. Tu ne peux être certaine de ton destin.

Je le peux. Tu devras me croire sur parole quant à ce que je m’apprête à te raconter : les livres du bas de la tour sont, je crois, écrits en langue Agide. J’ignore comment, mais je suis capable de les lire. Pas à la manière d’un écrit classique, mais lorsque mes yeux se posent sur ces symboles, j’en comprends intuitivement le sens. Et l’un de ceux que j’ai commencé à décrypter parle d’un Échosiane : un Échosiane Agide. Ils ne s’expriment pas comme nous et sont avares en détail, mais le texte raconte que tous ceux qui vivaient dans la grande cité de Mär-völ sont morts en une nuit. Et ce, de la simple volonté d’un des leurs. Ça n’est pas propre à nous, humains. Ce pouvoir est un fléau, une pomme juteuse et sucrée imbibée de ciguë.

Et pourtant tu as sauvé toute une ville aujourd’hui.

Au prix de combien de vies ! vociféra-t-elle. Bon sang, crois-tu qu’après le meurtre de milliers de gens quelques centaines passent inaperçus ? J’ai plus de sang sur les mains que quiconque dans l’histoire de Karfeld ! Je n’ai jamais voulu être inscrite dans les récits de notre Histoire, et maintenant on y trouvera mon nom comme la plus grande génocidaire de nos temps !

Mais en tuant ceux-là, tu en as sauvé un nombre bien plus grand encore !

L’Étranger se leva de son assise et vint se poser devant Anna et reprit :

Tu n’as pas tué quatre cents Templiers, tu as sauvé des milliers de civils. Ton nom dans les livres sera cité comme exemple. Tu seras celle qui aura su utiliser ses pouvoirs à bon escient au profit des plus faibles. Tu es une héroïne, Anna. Pas une meurtrière.

Mais je ne voulais rien être de tout cela moi.

Sa voix se perdit en sanglots et les draps du lit accueillirent ses larmes.

Je ne voulais pas être une héroïne ni une Échosiane. Je voulais grandir auprès de mon frère et de mes amis. Je voulais vivre la vie que mes parents voulaient pour moi. Mes parents…

Finalement les pleurs submergèrent le corps de la jeune femme qui se replia en chien de fusil, secouée de temps à autre par des hoquets plaintifs. Une fois encore, elle aurait voulu être forte, courageuse. Rester cette fille inflexible et téméraire que l’Étranger avait toujours connue. Elle se maudissait qu’il la voie ainsi.

Le jeune homme posa ses mains sur les épaules d’Anna qui, cette fois, ne le repoussa pas.

Après quelques minutes, la rivière de larme s’assécha, mais Anna n’osait pas bouger. Elle ne voulait pas affronter le regard compatissant de l’Étranger.

Néanmoins, il lui fallait se relever et reprendre sans tarder la lecture des écrits Agides. Car c’était principalement pour cette raison qu’elle avait accepté d’aider Smaël à repousser le clergé : lui offrir plus de temps en compagnie des livres. À vrai dire, elle ignorait parfaitement depuis combien de jours elles étaient enfermées entre ces murs, depuis combien de jours la pauvre Sélène endurait tout ceci.

Mais, quel que fût le but, elle en approchait maintenant.

Elle se détendit un peu alors que l’Étranger regagna le fauteuil. Ce dernier entreprit de feuilleter l’incunable Agide qui traînait encore au sol.

Effectivement, difficile à croire que tu saches lire cette langue. Difficile à croire qu’il s’agisse d’un alphabet, en fait.

Je crois que ça n’est pas le cas, rétorqua Anna en reniflant. Chaque symbole représenterait plutôt un son, ou une syllabe. Mais je n’en suis pas vraiment sûre.

Sélène profita d’un nouveau silence pour réapparaître. Et elle n’était pas seule.

Ils me suivent depuis tout à l’heure, ils me tirent sur la manche et n’arrêtent pas de piailler. Pourtant j’ai rien fait, j’vous jure !

Derrière elle, une quinzaine de troglodytes s’amassaient, à presque se marcher dessus pour atteindre la jeune fille. L’un d’eux se détacha et vint chiper le livre des mains de l’Étranger, avant d’en parcourir les pages avec sa trompe en émettant des couinements désapprobateurs.

Le jeune homme se leva subitement de sa chaise et tira sa lame au clair.

Ne vous affolez pas m’sieur l’Étranger, le rassura Sélène. Ils ne sont pas méchants. Ils prennent soin des livres. Anna, qu’est-ce que je dois faire ?

Les suivre. Nous allons les suivre, j’ai l’impression que c’est ce qu’ils réclament.

Et lui, il a droit de venir ? fit Sélène en désignant le jeune homme du menton.

Peu m’importe, répondit sobrement Anna en se levant de son couchage.

Si la fatigue coulait encore dans ses veines, elle arrivait à marcher d’elle-même et le trio s’engagea à la suite des créatures, vers les niveaux inférieurs de la tour.

À la lueur des torches que Sélène avait pris le temps d’emporter, ils avançaient à un rythme régulier, si longtemps qu’il devenait impossible de savoir si le jour s’était levé sur Ain Salah.

La jeune fille suivait de près les troglodytes, en silence. Derrière elle, Anna lisait un livre qu’une des créatures lui avait donné sitôt le camp quitté. Elle baissait l’ouvrage de temps à autre afin de voir où elle mettait les pieds, mais la plupart du temps, c’est l’Étranger, qu’elle devançait, qui lui faisait éviter les obstacles.

C’est incroyable ! s’exclama-t-elle. Ce livre parle de la ville de Mär-völ. Une cité entièrement creusée dans la roche. Ça doit être quelque chose… Mais ça n’est même pas le plus intéressant. Ici il est dit que cette tour, Söl-nochi, est en réalité la grande porte pour y accéder !

Cela confirme l’hypothèse selon laquelle ce bâtiment est un ouvrage Agide. Crois-tu que l’Église soit au courant ?

Je l’ignore, Sélène.

La marche continua encore et le trio s’enfonçait toujours plus loin dans les entrailles de la Terre. Les niches dans les parois des murs contenaient de moins en moins de livres. À la place, elles se faisaient plus profondes, de plus en plus larges et à mesure qu’ils descendaient, d’autres troglodytes en sortaient en couinant et se joignaient au cortège. C’était là qu’ils vivaient, au fond de ces grottes, sans la moindre lumière.

Au terme d’une randonnée interminable, Sélène s’extasia :

Je crois qu’on a trouvé la grande porte, Noiraude…

L’Échosiane abaissa son recueil. Elle ne s’en était pas rendu compte, mais ils étaient arrivés en bas. Tout en bas.

Elle se tenait debout sur une immense dalle de pierre sombre. Devant elle, une porte titanesque à double battant se dressait sur plus de trente mètres de haut. Tout le pourtour était gravé d’une multitude de symboles triangulaires qui bondirent aux oreilles de l’Échosiane :


Bienvenue en Mär-völ depuis Kär-feld.

Quittez la connaissance et entrez vers la sagesse.


Imitant ses compagnons, elle leva le nez en l’air. Au-dessus d’eux, le gouffre infini remontait sans interruption jusqu’au toit, d’ici invisible. Ils pouvaient cependant deviner les lumières blafardes des premiers braseros allumés, plusieurs centaines de mètres au-dessus de leur tête.

Tout autour d’eux, une légion de troglodytes s’agitaient et piaillaient d’excitation en sautillant sur place.

Nous avons touché le fond, ironisa Sélène dans un souffle.

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