XXVI [corrigé]

15 minutes de lecture

Le premier ouvrage traitant en partie d’un Échosiane (bien que nommé simplement « magicien ») fut débusqué par Sélène seulement deux heures après le début des recherches. Il n’apprit, hélas, pas grand-chose à Anna : il s’agissait du récit de ce forgeron déjà raconté par l’Étranger, qui aurait fait fondre tous les métaux dans un rayon de plusieurs kilomètres. Il serait mort dans un incendie qu’il aurait lui-même causé, avec toute sa famille. Triste destin.

Alors qu’Anna voyait l’astre du jour céder sa place aux étoiles par l’une des nombreuses fenêtres, elle dégotta à son tour un incunable écrit de la main d’Azgan, un archéologue au service de l’Église. Celui-ci s’essayait à retracer tant bien que mal une chronologie de l’histoire des Agides. Selon lui, ils seraient les premiers habitants de Karfeld, bien avant l’homme qu’ils n’auraient d’ailleurs jamais croisé. Supportant mal la lumière et la chaleur, ils se seraient contentés de vivre au cœur des montagnes de la bordure, dans des royaumes souterrains aujourd’hui scellés ou détruits par le temps. Grâce à une technologie particulièrement avancée, les Agides auraient finalement réussi à s’implanter sur la colline qui surplombe le lac Lilial, là où se dresse aujourd’hui la capitale Cyclone. Mais dépendants de leur science, celle-ci s’avéra capricieuse et… et la calligraphie du livre changea subitement, comme écrite par quelque d’autre. Le nouveau texte s’engageait sur une pente délicate, affirmant que les Agides auraient donné naissance aux hommes et se seraient éclipsés pour leur laisser la place, laissant les bases de Cyclone comme berceau pour cette nouvelle race. Le terme Agides se transformait en anges, et la fin s’avérait bâclée et sans intérêt.

Un peu déçue, la jeune femme reposa le livre à sa place.

Plusieurs jours s’écoulèrent et le duo avançait lentement. Chaque mention d’un mage aux aptitudes supérieures se concluait de la même manière : l’Église résolvait tous les problèmes. Il en alla d’ailleurs de même au sujet des Agides. L’Extérieur restait absent de tout ouvrage. Anna pesta :

Ça ne va pas, nous ne trouverons rien tant que nous resterons dans les ouvrages réécrits par l’Église. Bon sang, nous sommes à Ain Salah, il devrait bien y avoir des textes non censurés quelque part ?

Je crois que nous devrions descendre plus bas. Nous ne sommes encore qu’au quatrième niveau et nous ne voyons même pas le fond, remarqua Sélène en se penchant au garde-corps qui la séparait du gouffre central.

Effectivement, même en penchant, les chaînes qui supportaient les braseros centraux se perdaient dans les ténèbres.

Tu as raison. Descendons. Fais sonner la cloche qu’on nous installe notre campement plus bas. Beaucoup plus bas.

Sélène s’activa. Le tintement cristallin remonta jusqu’au sommet. D’abord il ne se passa rien. Puis après quelques minutes, un majordome se présenta devant les deux femmes.

Salam alaykoum, sayidat. En quoi puis-je vous être utile ?

Nous aimerions descendre le camp. Pouvez-vous l’amener… disons… en fait venez, nous allons vous montrer où, finit par conclure Anna.

En effet, dans un édifice descendant en spirale de la sorte, il devenait compliqué de parler d’étage ou de niveau passé les trois tours faits sur soi-même. De fait, les deux jeunes femmes menèrent en silence le majordome jusqu’à un endroit vide de toute étagère, non loin d’une fontaine et d’une fenêtre.

Ici, ça serait parfait firent-elles à l’unisson.

Très bien sayidat. Ça sera fait pour ce soir.

Une nouvelle fois, il claqua les talons et s’en fut vers le haut de l’édifice. Les deux jeunes femmes haussèrent les épaules et se remirent au travail.

Curieuse, Sélène se rendit près d’une fenêtre et s’y pencha le plus possible pour voir le sol. Si l’estimation s’avéra compliquée, elle évalua qu’elles se trouvaient environ à mi-chemin entre la base et le sommet de la tour. Un doute la prit. Elle trottina jusqu’au centre et tenta en vain d’en distinguer le fond. Pourtant les braseros illuminaient encore de leur flamme blanche loin dans la nuit. Elle aurait dû voir le rez-de-chaussée. La perspective que cette bibliothèque continuait encore loin dans les entrailles de la Terre lui fit tourner la tête, à tel point qu’elle du se laisser choir sur la dalle fraîche du parterre.

Anna ?

Oui, Sélène ? répondit l’intéressée sans lever les yeux d’un parchemin.

J’espère que l’Église prendra son temps pour attaquer. Les étages s’enfoncent sous la surface. Ça nous prendra des siècles pour tout fouiller. Je ne savais pas que l’être humain aimait à ce point écrire.

L’Église nous apprend qu’avant Elle, l’homme vivait de tradition orale, que rien ou presque n’avait été écrit avant Son avènement. Je crois que c’est faux. Le clergé tient à ce que l’on pense qu’avant Son ascension, les hommes vivaient dans la barbarie, l’ignorance et le péché. Un autre mensonge. Tout ce que nous pensons savoir de l’époque ancienne est faux. Et même ici, à Ain Salah, alors qu’ils ont sous leurs yeux la preuve de ces mensonges, je suis prête à parier que les habitants sont aussi ignorants qu’à Cyclone. Il est tellement plus simple de croire ce que l’on nous dit, ou de ne lire que les textes bien écrits par les copistes et faciles d’accès dans les premiers étages.

La jeune femme s’arrêta un instant et désigna de son index une ligne en particulier de son palimpseste qu’elle entreprit de lire à voix haute :

...Ainsi il advint que Lubellia dans son infinie bonté fit don de son corps à la Terre. De chacun de ses orteils jaillirent des myriades d’animaux. De ses jambes naquirent les plus beaux arbres. De ses hanches, les collines et les montagnes. De son ventre émergèrent les plaines fertiles et de son buste les terres arides. Ses bras enlacèrent sa création et formèrent la chaîne de montagnes qui borde notre territoire. Ses doigts se changèrent en arbustes aux fruits sucrés. Le moindre de ses cheveux fertilisa le sol et en germèrent toutes les herbes, nourries par la pluie, les rivières et les lacs issus de ses yeux. Enfin, sa tête s’éleva au-dessus de nous et se mit à briller pour illuminer ce monde, disparaissant de temps à autre pour avoir la joie de le retrouver chaque jour un peu différent de la veille.

» Je n’avais jamais entendu parler de cette version de la création de Karfeld. C’est magnifique.

Une semaine entière passa. Anna paraissait parfaitement à l’aise dans cet univers, jonglant entre les parchemins et les rares livres encore reliés, tandis que Sélène perdait chaque jour en motivation. Anna pouvait le voir : la lumière du jour sur sa peau lui manquait et lire encore et encore lui causait un mal de crâne difficilement supportable. Mais têtue comme elle était, elle gardait son mal pour elle et continuait sans relâche à aider son amie.

Cependant, ce fut bien Sélène qui découvrit l’ouvrage le plus intéressant jusqu’alors :

Anna ? J’ai un truc bizarre ici, mais je ne suis pas sûre de comprendre.

Sa comparse rappliqua au pas de course. La jeune fille continua :

C’est un journal tenu par un prêtre de l’Église aux débuts de celle-ci, je crois. Et ce prêtre, il semblerait que c’eut été un Échosiane…

En effet, l’ouvrage finement relié relatait l’ordinaire d’un membre du clergé de l’Église, alors encore en pleine expansion. Anna le lut à haute voix.

Il racontait vivre dans un monastère afin de protéger l’un des cols les plus accessibles de l’extérieur. Dès les premières pages, il expliquait ressentir dans son ventre comme des torsions, des vibrations qui devenaient chaque jour plus difficiles à supporter. Un matin, alors qu’il était parti cueillir des plantes médicinales, une douleur violente le prit au ventre. Incapable d’y résister, il poussa un hurlement et s’évanouit. Lorsqu’il se réveilla, il reposait au milieu d’une plaine à l’herbe violacée. Il reconnut immédiatement l’Extérieur. Pris de démangeaisons extrêmes, il se hâta de regagner le col et son monastère où il s’enferma plusieurs jours. Lorsqu’il en sortit, il croisa plusieurs de ses confrères, mais il remarqua comme un fil d’araignée tendu au-dessus de leur crâne. Pensant leur rendre service, il brisa le fil de l’un d’eux, mais l’effet fut inattendu : frère Namir auquel était rattaché le filin rompu s’écroula. Mort. D’autres expériences furent menées, et prouvèrent que l’auteur anonyme était capable de voir et sectionner la ligne de vie des humains.

Le reste des pages décrivaient comme le Pape lui-même considérait l’auteur comme un ange de la mort. Les dernières notes ne voulaient plus dire grand-chose, mais on pouvait deviner qu’il finit par rompre son propre lien de vie.

Un voyage instantané dans l’espace et un pouvoir de vie ou de mort… Il y a effectivement peu de doute quant au fait que c’eut été un Échosiane. Encore un qui a mal terminé, soupira Anna.

Mais Sélène ne répondit pas. Elle était là, debout, pâle comme un linge, le regard dans le vide.

Anna passa une main devant ses yeux. Une fois, deux fois, puis son amie réagit enfin :

Il est mort comme ça ? Frère Namir est mort comme ça ? Je…

Mais elle ne termina pas sa phrase. Visiblement traumatisée par le sort du pauvre moine, elle retourna s’isoler dans les innombrables rayonnages de la bibliothèque, sous le regard inquiet d’Anna.

Chaque nouveau récit qu’elles trouvèrent à propos des Échosianes, à défaut de lui apprendre quoique ce fut, allait dans le sens de la théorie de la jeune femme : tous mourraient jeunes. La plupart se suicidaient pour fuir un pouvoir qui leur faisait perdre la raison.

À chaque témoignage, l’espoir de trouver comment maîtriser ce fléau s’amincissait, et plus l’espoir était ténu, plus Anna perdait en volonté.

Alors c’est ainsi ? Tout cela pour rien ? J’ai traversé l’entièreté du royaume pour rien ? Pas même une chance de voir la lumière. Rien que la mort et la destruction. C’est tout ce dont sont capables les Échosianes de tout temps !

Nous ne sommes remontées qu’aux origines de l’Église. Il nous reste encore beaucoup à fouiller, Noiraude, tenta de rassurer Sélène. Viens, continuons. Moi j’y crois encore. Nous finirons par trouver quelque chose dans les textes anciens. Que croyais-tu ? Que l’on tomberait sur une recette de cuisine Comment devenir une bonne Échosiane en cinq étapes ? Allez. Lève-toi et descendons encore. Descendons là où les braseros ne brillent plus depuis longtemps.

Peut-être la jeune fille avait-elle raison. Mais Anna était si fatiguée. Cependant, même si son destin s’avérait funeste, il restait une chose pour laquelle une force inconnue la poussait à continuer : en apprendre plus sur les Agides et sur l’Extérieur.

La nuit tombée, elles regagnèrent leur camp, où elles eurent la surprise d’être accueillies par Smaël en personne. Le seigneur d’Ain Salah tenait à la main des paniers remplis de provisions.

Salam alaykoum, sadiqat. Comment se passent vos recherches ? demanda l’homme sans autre intromission.

Pas mal, mentit Anna, mais nous avons encore beaucoup de travail. Nous allons descendre. Beaucoup plus bas, dans les entrailles de la tour. Pensez-vous qu’il soit possible de déménager notre camp une nouvelle fois ?

Ça sera fait oui, cependant…

L’homme hésita un instant, se grattant le menton d’une main fébrile.

Les étages où ne brille aucune lumière sont abandonnés. Depuis longtemps. Aucun copiste, enlumineur ou restaurateur n’y est allé depuis des décennies, peut-être des siècles. Et il y a d’étranges rumeurs. Des légendes, j’imagine.

À quels propos, ces légendes ? s’enquit Sélène.

Des créatures qui vivraient dans le noir absolu. Mais ni de mon vivant ni du temps de mon père n’y a-t-il eu la moindre preuve de l’existence ces bestioles-là. Enfin, avant la nuit prochaine, nous descendrons votre camp jusqu’aux dernières fenêtres. Nous vous fournirons également des torches froides afin que vous puissiez déambuler à votre aise dans ces couloirs.

Smaël s’assit sur le rebord du lit.

Maintenant, dites-moi. Qu’avez-vous trouvé ?

Le duo raconta dans les grandes lignes leurs découvertes, omettant volontairement le sort tragique de tous les Échosianes. Le seigneur salaïde semblait passionné par les récits, mais à aucun moment ne demanda à lire les écrits dont elles contaient les faits remaniés. Cela appuyait les propos d’Anna. Si même les seigneurs se contentaient des « on dit », comment espérer du peuple qu’il cherche à comprendre par lui-même ?

Le jour qui suivit fut consacré à l’exploration minutieuse des derniers étages illuminés à la fois par les meurtrières qui donnaient maintenant à une dizaine de mètres au-dessus de la place de la bibliothèque, et des braseros dont les flammes blanches vacillaient de leurs ultimes instants.

Ce fut Sélène qui brisa le silence :

Je crois… que cette bibliothèque n’a pas été construite par l’homme.

Le texte qu’elle avait trouvé s’avérait difficile à lire et à comprendre puisque beaucoup de mots empruntaient au lexique de l’ancien Salaïde qui, elles l’apprirent dans le manuscrit, devrait s’appeler l’ancien Huriyen.

En effet, il s’agissait là d’un témoignage en parfait état de rescapés de la ville d’Huriya dont l’auteur ne racontait que la fin : une centaine de réfugiés et lui arrivèrent près d’un fleuve titanesque et salvateur au bord duquel la végétation poussait avec vigueur. Mais ce qui attira l’attention de l’écrivain fut cette tour solitaire grise qui s’élançait vers les cieux, au beau milieu du désert.

Ces gens sont les premiers Salaïdes. Ils ont fondé la ville ici, à proximité du fleuve contre lequel ils dressèrent le barrage. Mais cette description ne trompe pas : la bibliothèque était là avant, expliqua Anna tant à Sélène qu’à elle-même. Je crois que nous sommes remontées très loin, mon amie…

Pour la première fois, elles assistèrent à la translation de leurs appartements. Une quinzaine de majordomes tous habillés à l’identique amenèrent leurs affaires juste sous la toute dernière meurtrière de la tour. Le visage de Sélène s’illumina lorsque l’un des hommes amena sa précieuse arbalète, assortie d’un carquois rempli de carreaux finement décorés.

Mon arbalète ! Anna, ils me l’ont rendue !

Notre seigneur Smaël a pensé que cela vous rassurerait de l’avoir, déclara sans intonation l’improvisé déménageur. Quant aux carreaux ils...

Et il a bien raison ! Elle ne me quittera plus jamais ! l’interrompit-elle.

La jeune fille accrocha l’arme dans son dos comme à son habitude, et se munit d’une des nombreuses torches ramenées dans un panier en fer. Elle s’empressa de l’allumer grâce à l’allume-feu d’Anna et bientôt un halo blanc illumina la suite de la spirale.

Par curiosité, Sélène passa sa main au-dessus de la flamme. À bonne distance d’abord, puis de plus en plus près jusqu’à laisser sa main au milieu du feu.

Mais tu es folle ? Qu’est-ce que tu fais ? s’inquiéta l’Échosiane.

Ne t’en fais pas, ça ne brûle pas. Ça chatouille juste un peu, tout au plus. Au moins, pas de risque d’incendie.

Ne tente pas ta chance quand même, ironisa Anna.

Sélène retourna près de la cavité centrale de la tour et se pencha une nouvelle fois pour essayer d’en voir le fond. En vain. Elle soupira lourdement.

Ce n’est pas possible. Les écrits ici sont déjà difficilement compréhensibles. Qu’en sera-t-il tout en bas ?

Nous le découvrirons.

Le temps passa de manière furtive. Si loin dans les entrailles de la tour, la lumière qui filtrait à travers la dernière meurtrière était à peine visible. Impossible à dire combien de jours et de nuits se succédèrent. Mais Sélène avait raison : les textes maintenant exclusivement écrits sur des feuilles voire parfois des tablettes en pierre devenaient pratiquement illisibles. Non pas à cause de leur mauvais état, car tout restait incroyablement bien conservé, mais parce que la langue changeait peu à peu de structure. Des mots inconnus prenaient la place d’autres et rendaient le déchiffrage long.

Puis un jour où Sélène ne parvenait pas à sortir du lit, Anna s’engouffra seule dans les ténèbres, bien décidée à en atteindre le bout. Elle marcha une, deux, trois heures, mais elle continuait de tourner en rond en s’enfonçant de plus en plus profondément sous terre.

Par curiosité, elle attrapa un livre au hasard. Son esprit mit déjà du temps à traiter cette information : elle avait entre les mains un livre. Relié. Avec une couverture en cuir rigide.

Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’elle n’en trouvaient plus. Ses yeux se rendirent ensuite compte qu’il n’y avait plus d’étagère en bois, seulement des niches creusées dans la pierre. Comme hypnotisée par la descente en colimaçon constante, la jeune femme ne s’était pas rendu compte que tout autour d’elle s’était rétréci. Seul le gouffre central restait identique, mais elle parcourait depuis une bonne demie-heure maintenant une coursive large de deux mètres tout au plus, dont le mur extérieur n’était plus manufacturé, mais bien creusé à même la pierre. Des livres dans un état irréprochable présentaient leur tranche à la jeune femme, rigoureusement alignés comme si un bibliothécaire venait de les réagencer.

Elle ouvrit le recueil à une page au hasard, mais elle ne put même pas reconnaître l’alphabet. Chaque lettre, ou peut être phrase semblait composée de triangles de toutes les formes et orientations. Elle décida de le garder et le fourra dans sa sacoche.

Devant la lumière faiblissante de sa torche, l’Échosiane décida qu’il était temps pour elle de remonter au camp rejoindre Sélène. De toute évidence, ces niveaux de la tour ne leur seraient d’aucune aide.

Mais alors qu’elle s’apprêtait à faire demi-tour, une forme dans les ombres la fit sursauter. Lentement, comment attiré par le flamboiement de la torche, un être répugnant de la taille d’un loup (bien qu’il ressemblât plutôt à un batracien) émergea des ombres. Debout sur deux pattes atrophiées, il semblait regarder en sa direction, mais sur la masse ovale que composait son corps verdâtre, il n’y avait pas d’yeux.

Anna sentit son pouvoir s’éveiller. D’instinct, elle commença à psalmodier un air lugubre, messager d’une mort certaine.

D’une petite trompe qui devait faire office de bouche, la créature émit un petit bruit aigu qu’Anna devina interrogatif. L’Échosiane hésita.

Mais sortie de nulle part, Sélène plaqua sa main sur la bouche de son amie.

N’en fais rien. Ils ont l’air inoffensifs. Je les observe depuis un moment. Je crois que ce sont les petits bibliothécaires de ces lieux.

Elle ôta doucement sa main.

Mais il y en a plusieurs de ces bêtes ? questionna Anna.

Quelques unes oui. Tu as dû en dépasser une dizaine sans t’en rendre compte. Viens voir.

La jeune fille dont les cheveux platine brillaient intensément sous le reflet de sa torche attrapa son amie par la manche. Ensemble, elles remontèrent une paire d’étages avant que Sélène ne s’arrête.

Ha ! En voilà un ! Regarde.

Anna allongea son cou pour examiner un rayonnage de pierre. Au fond de celui-ci, une autre de ces créatures passait sa trompe méticuleusement sur chaque page d’un livre, puis le reposa à sa place. Sans trop savoir comment, l’Échosiane la devina déçue.

Se déplaçant par petits bonds successifs, l’étrange chose se dirigea vers une autre niche où elle disparut. Il y eut un bruit inquiétant, comme du bois que l’on casse, puis elle ressortit en sautillant, un bout d’amadouvier coincé entre ses petites excroissances qui lui servaient de bras. Il poussa un petit cri qui s’apparentait à une expression de joie, et bientôt trois autres créatures bousculèrent le duo pour se précipiter sur la trouvaille. Quelques bruits de succion désagréables plus tard, la troupe se dispersa. De l’amadouvier, il ne restait rien.

À voix basse, Sélène tenta d’expliquer :

Je crois qu’ils se nourrissent de champignons et des spores. C’est pour cela que les livres sont intacts. Ils les nettoient systématiquement de manière quasi religieuse. C’est grâce à eux si ces étages sont si bien conservés. Et ils nous ignorent complètement, inutile d’abattre ton courroux d’Échosiane sur eux.

Anna passa outre la pique et observa en détail la chose, occupée à feuilleter un nouvel ouvrage de sa trompe. Elle n’avait effectivement pas l’air menaçante. L’Échosiane décida d’écouter les conseils de son amie. Tant que ces troglodytes ne les dérangeaient pas, aucune raison de les exterminer. Et aucune raison de tenter la chance en appelant à sa magie.

Les deux comparses remontèrent jusqu’à leur camp. Sur le chemin, Anna choisit au hasard deux autres livres dans cette langue inconnue qui virent rejoindre le troisième emprunté plus bas.

De retour dans leurs appartements, Sélène s’empressa de dévorer une partie des vivres apparues comme par magie pendant leur expédition, tandis qu’Anna s’assit dans le lourd fauteuil, un des ouvrages incompréhensibles en main. Elle l’ouvrit à la première page. Ces symboles, quoiqu’indéchiffrables lui rappelaient un vieux souvenir. Une chimère éthérée recluse au fin fond de son esprit.

« La mine au-dessus de Val-de-Seuil ». C’était ça.

Comme une révélation douloureuse, un flot de réminiscences la heurta de plein fouet. Val-de-seuil, ses parents, un bouquetin, l’escalade, le vieux pin, le lac, le muret, la grotte, la porte, le cri le tremblement de terre… le tremblement de terre. Il n’y avait jamais eu de tremblement de terre dans cette région de Karfeld. Cependant, son accès de colère à Ain Salah avait causé une fissure dans le mur de la salle commune.

Il n’y avait jamais eu de tremblement de terre à Val-de-Seuil. C’était elle qui l’avait causé. L’Échosiane avait tué ses parents.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Ewøks ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0