Le garage de minuit (univers du Bricoleur de baleines)

4 minutes de lecture

Note : ce texte fait écho à ma nouvelle sur le nain bricoleur de baleines : il l'a précédé et cette scène se passe dans le même univers.



La lune veillait doucement sur la métropole.

Plus particulièrement sur ce quartier-ci, étincelant sous sa clarté blanche, qui étendait en arc de cercle ses filaments d'acier et de verre et ses infrastructures gigantesques. Des phares, des projecteurs et des feux s'illuminaient avec langueur sous les gouttières, promenant des lueurs vertes, rouges et bleues le long des rues immobiles.

La zone industrielle.

Un bâtiment surplombait tout ceci, s'élevait vers le ciel en étirant ses longs os bardés de fer ; une large verrière fleurissait au sommet, sur son dos. Une porte d'entrée dédiée aux esprits du ciel.

Il s'agissait d'un garage, un simple garage spectaculaire sous la lumière de la lune. Un garage à baleines nimbé d'une aura délicate.

Il y eut soudain un frémissement sous les nuages, qui rida le surface de la nuit comme le dos d'un poisson l'aurait fait d'un étang. Un projecteur s'éveilla sur la surface ouest de l'infrastructure, projeta une onde rouge le long des rues avant de relever son pinceau de lumière vers la voûte céleste. Quelque chose d'immense y défilait lentement, étendant sa lourde masse au dessus du garage silencieux. C'était un long ventre pâle, strié de lignes irrégulières qui réfractaient la lumière écarlate à l'infini.

Un mugissement naquit entre les murs noirs, déployant des harmoniques artificielles et réveillant la bâtisse cybernétique. L'alarme vagit encore plusieurs minutes, le temps que de nouveaux projecteurs prennent vie le long de la verrière, qu'ils y tracent un laçage de lumière signalétique destiné à guider l'être qui se préparait à entrer.

Le garage déverrouilla ensuite son squelette de poutres métalliques dans une nuée de claquements rouillés ; puis il ouvrit le toit de verre avec un grincement de fin du monde, déployant lentement ses pales translucides comme il l'aurait fait d'une corolle de fleur. Des éclats de lumière apparurent dans le noir, dansèrent sur les murs environnants.

Un clignotement naquit dans les ténèbres du ciel, puis toute une ligne de diodes s'allumèrent à la chaîne, traçant les contours du ventre blanc de la baleine. Sa lourde masse s'inclina doucement vers le toit ouvert du garage, glissant dans l'air de la nuit avec l'immense délicatesse d'une plume. La lumière des projecteurs rouges éclaboussait sa peau rugueuse, dégoulinait le long de ses flancs mangés de mousse et de vermine ; mais les lacis de lumières implantées qui se déployaient le long de ses os, sous sa chair translucide, faisaient scintiller tout son corps meurtri sous des symboles chargés de poésie.

La ballerine monstrueuse pénétra doucement dans le garage, effleurant les pétales de la verrière avec son ventre lumineux ; elle patienta un instant, suspendue avec majesté entre les poulies et les mini-grues, les échelles métalliques et les diodes ensommeillées, nimbant tout cet appareillage de sa clarté phosphorescente ; puis un long bras robotique se déploya dans le silence, traversant toute la profondeur du garage avant d'ouvrir sa large paume de fer. La baleine cybernétique vint doucement poser sa masse dans le berceau ainsi formé ; sa longue gueule souriante s'entrouvrit d'aise et elle ferma les paupières, voilant ses iris minuscules.

Un deuxième bras robotisé cliqueta en s'éveillant, étira ses longs os de plastique jusqu'à venir caresser doucement la peau usée de la baleine. Il ouvrit sa gueule parsemée de symboles chimiques et cracha l'éclat jaune d'un scanner, promenant sa lumière le long du corps abîmé. Des tremblements agitèrent la lourde carcasse de sa cliente lorsqu'il enregistra dans un clic les tags toxiques qui couvraient son dos, les grappes de mousse humide et de lichens qui parasitaient les stries de son ventre, les fêlures qui étoilaient ses diodes et les verres cassés de ses lucarnes latérales.

Il lut ensuite le numéro de série imprimé le long de son flanc, rassembla et compulsa toutes ces données avant de les envoyer à la base mémorielle du garage.

Deux minutes plus tard, tout un ballet de petites machines malicieuses se déployait autour de l'être cybernétique, illuminant le garage et l'emplissant de cliquetis et de frottements de rouages agacés. Soupirant d'aise, la baleine à bosse roulait doucement sur le flanc, sur le dos, sur le ventre au rythme des bons soins de ses réparateurs. Elle fut douchée, désinfectée, frottée, savonnée, rincée, polie, cirée puis repeinte dans une nuance arc-en-ciel digne des aérobus de la métropole ; toutes ses lucarnes furent changées, ses oculaires remplacés. Son ventre fut ouvert à la scie circulaire, toutes ses articulations rouillées changées et remplacées par des prothèses flambants neuves ; ses vieux sièges en cuir percé furent extraits de son estomac puis brûlés, troqués contre des bancs en plastique multicolores. Les implants lumineux de sa chair furent retirés, puis réinsérés suivant un nouveau motif plus moderne qui traçait des arabesques délicates le long de ses muscles cybernétiques ; ses nageoires plastifiées furent découpées au laser le long de ses os, puis refondues selon une nouvelle forme asymétrique et percluse de découpes dentelées ; trempées dans un bain fluorescent puis ressoudées sur ses moignons de métal. Tous ses boulons furent dorés à la feuille et protégés d'une couche de vernis antioxydant.

Lorsque la baleine, qui s'était endormie, rouvrit ses yeux lumineux dans un bâillement digne de Gargantua, les petits robots lui tendirent un grand miroir en arc-de-cercle. Elle s'y mira, longtemps. Puis elle leva les nageoires, fit jouer sa nouvelle queue fluorescente, et s'éleva doucement vers la verrière qui ouvrait de nouveau ses pétales translucides.

L'aube nimbait à présent la ville, peignant un horizon teinté de violet et d'orange ; dans un silence fasciné, les petites machines du garage observèrent, tête levée, la baleine aérienne disparaître au loin, dans la brume dorée de l'aurore. Elle projetait des éclats multicolores à l'intérieur de tout le garage, étincelante comme un joyau lustré.

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